Quand on sait que la trilogie romanesque à succès de Stieg Larsson a déjà été honorée d’une adaptation cinématographique suédoise réalisée par Niels Arden Oplev et d’une série télé, on peut légitimement se demander quel est l’intérêt pour un cinéaste américain de pondre un remake de "Millenium" ? Il n’y en a aucun, malheureusement. Mais une fois le projet tombé dans les mains de David Fincher, on aurait pu espérer un miracle, une prouesse artistique qui serait venue justifier cette adaptation. Il n’en sera rien. Reste encore et toujours cette impression que les Américains doivent se réapproprier chaque bonne idée qui ne vient pas de leurs contrées. Toutefois, en étant bons joueurs, il faut admettre que cette histoire colle comme un chewing-gum à une basket à l’univers de Fincher et c’est bien ce qui m’a poussé à regarder le film. Ça et le fait que j’aime le travail du bon David (avec une préférence pour Fight Club, Se7en et Zodiac).
Certains justifient l’intérêt du film par le savoir-faire incontestable de Fincher en matière de thriller, d’autres arguent que la version de Niels Arden Oplev souffre d’un manque de technique, de moyens et qu’elle se confinait dans la froideur du cinéma nordique. Si ces deux arguments tiennent la route, il n’empêche qu’il faut un peu plus de substance pour faire un grand film. Pour en venir au fait, ce "Millenium: les hommes qui n’aimaient pas les femmes" est un thriller de bonne facture, un film de divertissement tout à fait honorable, soutenu par une mise en scène maîtrisée, une musique signée Trent Reznor et Atticus Ross qui installe une ambiance cohérente avec le récit et des mouvements de caméra toujours plaisants, mais qui peine à transcender. Bizarrement, tout est fort propret et canalisé. On attendait plus d’un réalisateur comme Fincher : une ambiance plus fiévreuse, un rythme plus anxiogène, des personnages plus sur le fil et une claque plus violente. Parce que du coup si Fincher comble les lacunes de la mise en scène archaïque et faiblarde de Niels Arden Oplev, il n’arrive pourtant pas à instaurer une angoisse et une gêne aussi fortes que celles de son collègue suédois au moment des scènes marquantes
(celle du viol, celle de la « vengeance » de Lisbeth, la conversation finale entre le serial killer et Mikael et toute la fin du film de manière générale)
. Le film de Niels Arden Oplev donnait l’impression (parfois gênante, parfois utile) d’avoir été monté avec un bout de ficelle et un clou (un peu à la MacGyver en somme) alors que celui de Fincher montre le travail d’un réalisateur plein de maîtrise (Cf. l’introduction très clipesque, mais ultra jouissive) et de qualités, mais ce, au détriment de l’émotion.
Ce « manque » de tension et de frissons tient aussi, selon moi, de l’interprétation du duo Lisbeth (Rooney Mara) / Mikael (Daniel Craig) qui font le job correctement, mais sans grands éclats. Personnellement, si j’avais été interpellée par le Millenium suédois, c’était en grande partie grâce à l’incroyable puissance d’interprétation de Noomi Rapace dans le rôle de Lisbeth. Chacune de ses apparitions me scotchaient à mon canapé ce qui ne fut, malheureusement, pas le cas avec Rooney Mara. Elle se démerde plutôt pas mal, mais il lui manque cette folie dans le regard, ce côté vraiment dangereux et instable qui habitait la Lisbeth jouée par Noomi Rapace. Quant à Daniel Craig il est un Mikael Blomkvist un peu trop bodybuildé, un peu trop James Bond et un peu trop acteur bankable, mais son interprétation tient cependant la route.
Au final, Fincher nous offre donc un thriller au-dessus de la moyenne générale, bien réalisé, pas mal interprété, avec quelques jolis plans et quelques belles idées, mais qui semble en fin de compte un peu trop lisse pour le réalisateur de "Se7en".