Michael Haneke qui filme deux vieux dans un appartement, AMOUR me faisait la promesse d'un drame brutal qui m'aurait flanqué les larmes aux yeux. Et hier soir, j'avais envie d'être ému. Une heure de film se passe et je n'ai toujours pas éprouvé le pincement au coeur que je recherche tant. Je ressens même un profond agacement face à la froideur clinique de Michael Haneke. Le réalisateur ne me donne pas à manger, ne daigne à aucun instant faire preuve d'humanité. Je soupire, je m'exaspère face au déroulement d'un film qui me montre la déchéance d'un corps sans aucun point de vue. Alors je m'interroge: "Est ce que c'est moi qui ai un rapport compliqué avec la vision des corps frippés des personnes âgées? Suis-je en train de faire un déni face à la rudesse des images?". Non. Ce qui me choque, c'est le manque d'humanité du cinéaste. Comme si le fait de mettre un tant soit peu de sensibilité lui faisait horreur. Je l'imagine alors dans son salon bourgois autrichien, fumant sa pipe et déclarant à un journaliste des cahiers du cinéma: "Je conchie la sensibilité, la sensiblerie est LA tare de l'être humain..." Les minutes défilent et je regarde AMOUR avec dégoût, avec un regard extérieur qui provoque rapidement en moi un ennui poli. Je n'en peux plus de cet appartement bourgeois décrépit, je ne supporte pas le personnage d'Isabelle Huppert, cette musicienne prétentieuse, je ne supporte plus les personnages du film...Pour moi, à cet instant, le film AMOUR est plié, rangé, oublié, je n'y crois plus... Mais, au détour d'une scène que je n'attendais plus, le film prend subitement son envol. Peut être pour la première fois de sa carrière, Haneke fait preuve de compassion pour ses personnages. Les larmes me viennent en quelques secondes, je suis bouleversé. AMOUR, qui n'était qu'un film sadique et sans propos, prend alors tout son sens. Je m'interroge à nouveau et je me rends compte que mon énervement était un sentiment voulu par le cinéaste. Pendant une heure, je me suis senti au dessus de ce film, je l'ai jugé. En réalité, je n'étais ni plus ni moins manipulé par le cinéaste et j'ai exprimé les émotions que ce dernier cherchait à obtenir du spectateur. Première claque. Dans la dernière partie du film, Haneke donne enfin de l'humanité à ses personnages et nous cueille quand on s'y attendait le moins. J'avais oublié que j'avais affaire au réalisateur du chef d'oeuvre CACHE et je retrouve avec plaisir sa science de la mise en scène. AMOUR est au final un grand film, une oeuvre unique sur la puissance des sentiments qui peuvent, parfois, ne jamais mourir. Un grand film d'amour, tout simplement.