Dans la mouvance des films d'épouvante de la Universal, «The Invisible Man» (USA, 1933) de James Whale ouvre une porte à l'épouvante d'élégance, à la mise en place d'une mythologie de l'horreur, basée sur les frayeurs communes à une époque et à un milieu géo-politique. Sur la traces de la crise financière de 1929, l'homme invisible détient d'ores et déjà toute les caractéristiques qui habitent le cinéma américain des années 2000. Ouverture totale des zones de craintes, effacement des frontières, mise en branle des flux, le cinéma US du début XXème
peut trouver ses origines dans la seule personne, nécessairement abstraite, de l'homme invisible. Après une malencontreuse opération chimique, un docteur devient invisible et se livre à la folie. Dans une violence incontenue, où des corps sont projetés à bas des escaliers, des meubles lancés en pleine face, le personnage de l'homme invisible, caché derrière d'étranges bandelettes blafardes et portant une paire de lunettes noires, se verra sauver par l'amour. En respectant les codes usuels du film d'aventure, Whale ajoute en support de nouvelles donnes, celle d'un cinéma de l'horreur, qui effraie le spectateur par des artifices de maquillage (comme dans «Frankenstein») ou, comme dans ce cas, par des effets spéciaux aujourd'hui encore efficaces. Lorsque, pourvu d'une seule chemise, le monstrueux docteur se lance à la poursuite de ses assiégeants, seul un vêtement flotte dans les airs, épousant les formes d'un torse et dressant le poing comme le ferait un corps en action. Par là, Whale évoque directement l'imagerie médiévale, et donc européenne, du fantôme. Il peut-être plaisant de répertorier ainsi tous les faits qui rapprochent le film de la culture européenne, nécessairement ralliée à celle des Etats-Unis. La relative courte durée du film en fait une brève expérience sur la condition de l'anonymat dans un pays grandissant dont le risque, aujourd'hui avéré, est de perdre l'individu dans une masse englobante et aliénante.