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    "On me compare souvent à Miyazaki" : le réalisateur de Suzume évoque Ghibli et la 3D en animation
    Vincent Formica
    Vincent Formica
    -Journaliste cinéma
    Comme de nombreux enfants des années 80, il découvre l'animation japonaise grâce au Club Dorothée. Nicky Larson, Dragon Ball Z... autant de séries qui l'initient à la japanimation. Après l'arrêt du célèbre programme, il continuera à se passionner pour les animes jusqu'à aujourd'hui.

    Suzume, le nouveau bijou d'animation de Makoto Shinkai, est sorti en salles le 12 avril. Pour l'occasion, AlloCiné a rencontré le maestro japonais, qui nous a reçu avec toute l'humilité qui le caractérise.

    Après le triomphe de Your Name et des Enfants du temps, Makoto Shinkai est de retour avec Suzume, son nouveau film d'animation. Cette fois, le cinéaste japonais nous emmène dans une petite ville paisible de Kyushu.

    Une jeune fille de 17 ans, Suzume, rencontre un homme qui dit voyager à la recherche d’une porte. Décidant de le suivre dans les montagnes, elle découvre une porte délabrée trônant au milieu des ruines, seul vestige ayant survécu au passage du temps.

    Suzume
    Suzume
    Sortie : 12 avril 2023 | 2h 02min
    De Makoto Shinkai
    Avec Lévanah Solomon, Nanoka Hara, Benjamin Jungers, Hokuto Matsumura, Marie Giraudon
    Presse
    3,8
    Spectateurs
    4,2
    Voir via MyCanal

    Cédant à une inexplicable impulsion, Suzume tourne la poignée, et d’autres portes s’ouvrent alors aux quatre coins du Japon, laissant passer toutes les catastrophes qu’elles renfermaient. L’homme est formel : toute porte ouverte doit être refermée.

    Suzume s’est égarée où se trouvent les étoiles, le crépuscule et l’aube, une voûte céleste où tous les temps se confondent. Guidée par des portes nimbées de mystère, elle entame un périple afin de toutes les refermer. À l'occasion de la sortie du long-métrage, AlloCiné a rencontré Makoto Shinkai à Paris.

    Bestimage
    Makoto Shinkai

    AlloCiné : Comment avez-vous eu cette idée de porte donnant sur un autre monde pour Suzume ?

    Makoto Shinkai : Avant d'avoir l'idée de la porte, j'ai d'abord eu l'idée des ruines. Aujourd'hui, il y de nombreux endroits désertés à cause des catastrophes naturelles ou la diminution de la population. Je voulais vraiment raconter une histoire d'aventures qui nous fait visiter ces ruines.

    Ces dernières peuvent être des symboles de nombreuses choses et c'est idéal pour situer des scènes d'action. Dans les ruines, on trouve aussi toujours des portes, elles symbolisent notre vie quotidienne.

    On passe notre temps à passer des portes, on dit au revoir à nos proches le matin, on leur dit à ce soir etc. À travers ces éléments, je pouvais exprimer pas mal de choses.

    2022 "Suzume" Film Partners

    Pourquoi avoir choisi de mettre en scène un personnage féminin pour votre nouveau film ?

    Dans mon film précédent, Les Enfants du temps, j'avais choisi de raconter l'histoire du point de vue d'un garçon. Je me suis dit que j'allais peut-être mettre en scène une héroïne pour le prochain.

    Quoi qu'il en soit, ce n'est pas une histoire d'amour ; évidemment, il y a quelques bribes de romance mais ce n'est pas vraiment une histoire d'amour.

    Le protagoniste pouvait être aussi bien un homme qu'une femme. Finalement, j'ai créé deux personnages, Suzume et Sota, l'un féminin et l'autre masculin. Mais ça aurait aussi pu être l'histoire de deux filles ou deux garçons.

    Votre oeuvre est très influencée par la nature, la beauté des paysages. Comment vous parvenez à un tel degré de réalisme et d'esthétisme ?

    Suzume est un road-movie qui traverse tout le Japon. Par conséquent, je voulais montrer les caractéristiques et la réalité de chaque lieu visité. Pour le côté réaliste, nous avons eu besoin de faire beaucoup de repérages partout dans le pays.

    Nous avons beaucoup observé la nature, les plantes, des murs en pierre... On regardait vraiment attentivement la forme de chaque pierre. C'est de cette manière qu'on arrive à rendre réalistes ces décors naturels en animation.

    2022 "Suzume" Film Partners

    Comment se déroule une journée de travail avec Makoto Shinkai ?

    Ça dépend des équipes avec lesquelles je travaille ; pour faire un film d'animation, il faut engager de nombreux artisans. Une fois que la production est terminée, ces équipes indépendantes vont travailler sur d'autres oeuvres.

    Comme ils sont indépendants, ces personnes peuvent choisir d'arriver au studio le matin et travailler jusqu'au soir mais d'autres préfèrent travailler la nuit. La production de Suzume a eu lieu durant la période de la pandémie.

    J'ai passé la moitié du temps à la maison avec mon chat, qui s'appelle Suzume. J'étais très heureux de passer du temps avec lui.

    Beaucoup de collaborateurs ont notamment travaillé à distance. Moi-même, j'ai passé la moitié du temps à la maison avec mon chat, qui s'appelle Suzume. J'étais très heureux de passer du temps avec lui.

    En parlant de chat, vous en avez mis un dans le film, le facétieux Daijin, qui est très drôle. Vous aviez la volonté d'ajouter des petites plages comiques dans l'histoire pour équilibrer avec le reste du récit très dramatique ?

    Je suis vraiment très content que vous parliez de cela. En effet, je voulais ajouter des petites touches humoristiques dans cette histoire très sombre. J'ai traité le sujet du grand tremblement de terre du nord-est du Japon, qui s'est réellement produit, c'est un thème très lourd et il ne fallait pas non plus plomber les spectateurs.

    Je voulais qu'ils prennent plaisir à regarder ce film. Je ne voulais pas que le public s'ennuie une seule seconde. Toutefois, même si je souhaite que les gens passent un bon moment, je voudrais aussi qu'ils se posent des questions leur vie quotidienne.

    Si je souhaite que les gens passent un bon moment, je voudrais aussi qu'ils se posent des questions leur vie quotidienne.

    Par exemple, le Japon est toujours en reconstruction suite à ce tremblement de terre qui a généré de nombreux sinistrés. Je souhaiterais que les spectateurs se posent aussi ce genre de questions graves. C'est ce qui donne du sens au fait de faire ce film.

    2022 "Suzume" Film Partners
    Daijin

    Vous évoquez les catastrophes naturelles, le film est aussi empreint d'un message écologique, comme vos oeuvres précédentes ; comment évoquer ces thèmes sans donner de leçons de morale aux spectateurs ?

    Encore une fois, je suis très content que vous évoquiez cela car c'est une chose à laquelle je fais très attention. Je ne voudrais surtout pas donner des leçons aux spectateurs.

    Je ne voudrais surtout pas donner des leçons aux spectateurs.

    Je suis souvent comparé à d'autres réalisateurs, des grands maîtres comme Hayao Miyazaki, et certains disent que mon cinéma est beaucoup plus plat, très léger par rapport au sien, qui est très profond.

    D'autres me comparent à Hideaki Anno ou Mamoru Hosoda en disant que mes films sont moins intéressants que les leurs ; mais ce qui est très important pour moi, c'est que je ne veux vraiment pas donner de leçons de morale. J'assume de faire du divertissement et si mes oeuvres donnent quelques clés de réflexion au public, j'en serais déjà très heureux.

    J'assume de faire du divertissement et si mes oeuvres donnent quelques clés de réflexion au public, j'en serais déjà très heureux.

    Pourquoi je tiens autant au divertissement ? Je suis convaincu qu'il a une vertu pédagogique et éducatif. Pendant les 2 heures du film, le public va vivre la même expérience que Suzume et il va pouvoir s'identifier à ce personnage.

    En 2 heures, les spectateurs vont évoluer en même temps qu'elle, apprendre des choses et peut-être mieux comprendre les autres en sortant de la salle. Et s'ils le font en prenant du plaisir, c'est encore mieux.

    En 2016, lors de notre rencontre pour Your Name, vous me disiez que vous aimiez raconter des histoires sur l'adolescence. 7 ans plus tard, avec le recul, est-ce que vous toujours envie de mettre en scène des ados ou vous avez envie de changement ?

    Selon moi, l'animation est un média qui est fait avant tout pour les jeunes. Les adultes ont beaucoup d'autres loisirs comme l'alcool, la fête etc... Les ados, eux, partagent surtout leur temps entre l'école et la maison et regardent beaucoup d'animes et de divertissements.

    En même temps, je ne suis plus tout jeune aujourd'hui et je ressens la distance qui me sépare de la jeune génération. En plus, de jeunes réalisateurs commencent à émerger.

    Je viens d'avoir 50 ans et il est peut-être temps que je raconte des histoires sur des personnages plus âgés. Les gens entre 50 et 70 ans sont les plus nombreux au Japon et je pourrais donc proposer autre chose pour ce public.

    2022 "Suzume" Film Partners

    Ghibli a récemment sorti Aya et la sorcière en 3D, que pensez-vous de cette technologie et souhaitez-vous l'utiliser à l'avenir ou vous préférez rester sur l'animation traditionnelle ?

    Ce film est sorti en France ? C'est pour cela que vous le connaissez ?

    En effet, il est sorti en juin dernier.

    Et comment le film a-t-il été reçu ?

    Pas très bien.

    (Il rit) Ah d'accord, en fait, j'étais assez intrigué par ce projet car il est de Goro Miyazaki, le fils d'Hayao.

    Aya et la sorcière
    Aya et la sorcière
    Sortie : 21 juin 2022 | 1h 22min
    De Goro Miyazaki
    Avec Sylvia Bergé, Shinobu Terajima, Thierry Hancisse, Etsushi Toyokawa, Micha Lescot
    Presse
    2,2
    Spectateurs
    2,2
    Voir sur Netflix

    Il y a des choses réussies dans ce film mais il y en a d'autres qui me font vraiment comprendre ceci : seule l'animation traditionnelle peut exprimer certaines émotions. J'ai vraiment compris que le dessin manuel avait encore de beaux jours devant lui en voyant ce film.

    Seule l'animation traditionnelle peut exprimer certaines émotions.

    Cependant, le fait que le studio Ghibli ait essayé de faire un film en 3D images de synthèse est une chose admirable. Aujourd'hui, de moins en moins d'animateurs travaillent à la main.

    Moi-même, je ne tiens pas forcément à la méthode manuelle mais j'aimerais bien utiliser les images de synthèse pour tenter de sublimer les images réalisées de manière traditionnelle.

    Propos recueillis par Vincent Formica à Paris

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