Mon compte
    "Comme un virus, la haine des femmes en ligne se propage avec virulence" : le documentaire choc sur le cyberharcèlement arrive au cinéma
    Vincent Garnier
    Vincent Garnier
    -Rédacteur en chef
    Cinéphile omnivore, Vincent « Michel » Garnier se nourrit depuis de longues années de tous les cinémas, sans distinction de genres ou de styles. Aux côtés de Yoann « Michel » Sardet, il supervise la Rédac d’AlloCiné et traque les Faux Raccords.

    "Je vous salue, Salope"... Un titre qui ne passe pas inaperçu pour attirer l'attention sur le harcèlement en ligne dont les femmes sont victimes dans le monde entier. Un film sans fard ni fausse pudeur signé Léa Clermont Dion et Guylaine Maroist.

    AlloCiné : Comment est né Je vous salue salope : la misogynie au temps du numérique ?

    Léa Clermont Dion : J’ai subi des menaces de mort parce que je m'exprimais dans l’espace public au Québec. Je suis féministe et je ne pensais pas que revendiquer l’égalité des sexes susciterait une telle haine. Cela a été l’élément déclencheur de cette quête visant à comprendre l’ampleur de la misogynie en ligne. Parallèlement au film, j’ai réalisé une thèse de doctorat en science politique portant, entre autres, sur les cyberviolences faites aux femmes.

    Guylaine Maroist : Quand Léa m’a proposé d’investiguer avec elle la misogynie en ligne et de co-réaliser un documentaire, j’ai tout de suite dit oui. À l’époque, en 2015, les suicides de deux jeunes filles, Amanda Todd et de Rehteah Parsons, avaient été largement médiatisés au Canada et aux États-Unis. J’étais, comme tout le monde, choquée. J’avais l’impression que c’était un phénomène qui touchait davantage les jeunes filles mais rapidement, dans le processus de la recherche, je me suis rendu compte que la cyberviolence touchait les femmes de tous âges, particulièrement celles qui s’expriment haut et fort dans l’espace public. Le but des harceleurs est de faire taire les femmes, de les «renvoyer à la cuisine». Une stratégie fort efficace : de plus en plus de femmes décident de ne pas faire une carrière publique de peur d’être attaquées en ligne et traquées. L’impact de cette nouvelle forme de violence envers les femmes est extrêmement dévastateur, mais rien n'est fait. Nous avons fait ce film pour qu’on cesse de banaliser.

    Vous avez choisi une approche universelle pour développer votre propos. Pourquoi ne pas vous être concentrées uniquement sur le Canada ?

    Léa Clermont Dion : Parce que c’est un enjeu qui n’a pas de frontières. Comme un virus, la haine des femmes en ligne se propage avec virulence.

    Guylaine Maroist : En suivant dans leur quotidien quatre femmes issues de différents milieux et différentes cultures, on comprend que la misogynie en ligne est un phénomène qui touche tout l’Occident, même les pays considérés en avance quant aux droits des femmes.

    Avez-vous été surprise par l'ampleur du phénomène ?

    Léa Clermont Dion : Oui, vraiment. Je ne croyais pas que ce phénomène était à ce point répandu. Je ne m’attendais pas à constater que la haine des femmes est en croissance. Depuis la pandémie, c’est pire. Les études démontrent que la misogynie atteint des niveaux inégalés.

    Guylaine Maroist : En 2015, quand nous avons amorcé le projet, j’étais déjà consternée parce qui était véhiculé sur les réseaux sociaux. Nous avions l’impression que nous étions face à un «far web» qui allait rapidement se réglementer. Le pire a été de voir le phénomène croître exponentiellement durant la pandémie.

    Je vous salue salope : La misogynie au temps du numérique
    Je vous salue salope : La misogynie au temps du numérique
    Sortie : 4 octobre 2023 | 1h 20min
    De Lea Clermont-Dion, Guylaine Maroist
    Presse
    3,1
    Spectateurs
    2,5

    Qu'avez-vous appris en réalisant ce documentaire ? Vous attendiez-vous à un tel déluge de violence ? Dans quel état émotionnel ressort-on d'un tel documentaire ?

    Léa Clermont Dion : J’ai appris que les violences à l’égard des femmes sont unies par certaines caractéristiques. Elles ciblent le corps des femmes et leur sexualité, ce qui est directement lié à une volonté de contrôle du discours. Les réduire à un état d’objet plutôt que de sujet, c’est vouloir exercer une domination à leur égard. De plus, j’ai appris que cette hostilité à l’égard des femmes prend une nouvelle forme aujourd’hui grâce aux outils numériques. La violence peut être graphique, auditive et se propage à une vitesse grand V. J’ai découvert tout un pan de groupes antiféministes qui souhaitent voir les droits des femmes reculer. Ils ne se cachent pas de cette idéologie et voient le féminisme comme une menace. J’ai été extrêmement affectée durant la création de ce film. Je rêvais des horreurs que je lisais… J’ai dû prendre des pauses devant autant de haine. Mes enfants m’ont donné espoir.

    Guylaine Maroist : Le plus grand choc a été de constater qu’il y a une réelle menace de recul des droits durement acquis par les femmes. Observer tout ce qui se passe sur Internet, cette misogynie décomplexée qui y sévit, c’est une chose. De voir ensuite de jeunes hommes adopter ces comportements et les droits des femmes reculer dans certains pays, à commencer par les États-Unis, ça fait peur. Mais j’ai vécu, lors des nombreux ciné-débats entourant la sortie du film, un tout aussi fort sentiment d’espoir et de mobilisation. de la part de femmes mais aussi d’hommes. Nous avons fait ce film pour que les gens se lèvent. Et c’est ce qui se passe de plus en plus.

    Comment avez-vous choisi les différents témoins ?

    Léa Clermont Dion : Nous avons sélectionné les participantes après avoir fait une longue recherche rassemblant plus d’une centaine d’experts et de victimes. L’idée était de construire le meilleur fil narratif pour faire comprendre le phénomène. Nous avons aussi retenu les protagonistes qui avaient les mots pour le dire.

    Guylaine Maroist : Notre principal défi a été de trouver des femmes prêtes à être filmées dans leur quotidien alors qu’elles étaient toujours victimes de cyberviolence. Nous les avons suivies, à la caméra, en temps réel pour permettre au spectateur de vivre, au plus près, l’horreur de leur situation, pour donner la mesure de ce que les victimes ressentent : un état de terreur.

    On imagine que vous aviez une matière très (trop) riche et que vous avez dû faire des choix. Envisagez-vous de réaliser une suite à Je vous salue, salope ? Une déclinaison en série documentaire a-t-elle été envisagée ?

    Léa Clermont Dion : Pas de mon côté ! J’ai toujours voulu faire un film.

    Guylaine Maroist : Moi également ! Il n’y aura pas de suite, je serais incapable de plonger de nouveau dans cette haine. Mais le film n’est pas sans suite : il débute sa vie en salle en France et dans plusieurs pays. Les gens, en mode associatif ou personnel, créent foule d’initiatives autour des projections du film. Ça nous fait chaud au cœur.

    Comment avez-vous trouvé le titre de votre documentaire ?

    Léa Clermont Dion : Je laisse ma collègue vous répondre, car l’idée vient d’elle.

    Guylaine Maroist : Il fallait un titre qui soit choquant, malaisant, dérangeant comme la haine déversée sur les femmes en ligne. Nous avons travaillé pendant 6 ans avec le titre de travail «Misogynie 2.0.». J’ai été inspirée par le titre de Jean-Luc Godard, Je vous salue, Marie. En remplaçant le nom de Marie par Salope, nous avions à la fois l’insulte la plus courante faite aux femmes, et à la fois, la réappropriation de l’insulte. Ce titre est aussi un salut à toutes ces femmes qui sont cyberharcelées et refusent de se taire.

    FBwhatsapp facebook Tweet
    Sur le même sujet
    Commentaires
    Back to Top