Mon compte
    Orange mécanique : le roman qui a inspiré le film culte de Kubrick décrypté dans un documentaire ARTE passionnant
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    Accusé à tort de magnifier la violence dans son roman d'anticipation choc, adapté au cinéma par Stanley Kubrick, Anthony Burgess y dépeint au contraire avec une inquiétude visionnaire un monde en train d'advenir : le nôtre.

    Composé dans une langue inventée, le "nasdat", un anglais argotique hybridé de mots russes, L'orange mécanique, écrit par Anthony Burgess, a provoqué une double onde de choc. La première, à sa parution, en 1962. Puis en 1971, lors de son adaptation au cinéma par Stanley Kubrick.

    Accusé de faire l'apologie de la violence, en écho à des actes criminels qui s’étaient revendiqués de son œuvre, l’écrivain britannique, profondément blessé, expose alors dans un manuscrit autobiographique rédigé en 1972-1973, The Clockwork Condition ("La condition mécanique"), son inquiétude sur le monde en train d'advenir.

    Interdit au moins de 16 ans, ultra violent... Orange mécanique a traumatisé l'acteur de Chantons sous la pluie

    Il y présente la vision humaniste qui lui a inspiré cet univers dystopique où la violence nihiliste d'une jeunesse sans espoir se fracasse sur un pouvoir décidé à contrôler les êtres par le conditionnement, en usant de technologies toutes-puissantes.

    Jamais publié, ce manuscrit ne fut découvert qu'après son décès, en 1993. C'est sur cette trame passionnante que revient l'excellent documentaire diffusé sur Arte ce 15 novembre à 22h20 : Orange mécanique, les rouages de la violence.

    Une analyse très en phase avec son époque

    Si Burgess accepta de vendre les droits de son roman à Stanley Kubrick et Warner en 1966, le film ne sortira donc qu'en 1971. Frappé de censure dans plusieurs pays (dont certains n'ont levé l'interdiction qu'en 2000 comme en Italie), le film fut exploité pendant deux ans en Grande-Bretagne avant d'être retiré des salles à la demande express de Kubrick (et ne ressortira là-bas qu'à sa mort).

    Si Kubrick a façonné une version toute personnelle du personnage principal, Alex, alors que dans le roman il s'agit d'un adolescent de 15 ans, le cinéaste comme l'écrivain ont su capter avec une acuité effrayante et déjà très avant-gardiste la violence qui gangrène notre société.

    Ulf Andersen
    Anthony Burgess

    "L'un des problèmes sociaux les plus déroutants de nos jours est "comment maintenir l'autorité sans être répressif ?" Il y a ce sentiment grandissant parmi les jeunes, que la politique et les moyens légaux pour faire évoluer la société sont trop lents et sûrement inutiles. D'un autre côté, l'autorité se sent menacée par le terrorisme et ce sentiment croissant d'anarchisme" expliquait alors Kubrick.

    Ajoutant : la question est : "comment trouver, si c'est encore possible, un équilibre ?" La réponse n'est pas dans la vision optimiste très utopique visant à détruire l'autorité pour en tirer du bien. Et ce n'est pas non plus en disant que l'autorité doit s'imposer par la force. C'est un dilemme".

    Burgess acceptera de s'associer à la promotion du film, mais sera blessé par les attaques incessantes sur son oeuvre -désormais portée à l'écran. "Depuis la sortie du film, on m'associe à sa violence. Si on violait des nonnes, les journalistes m'appelaient pour savoir ce que j'en pensais et si je ne me sentais pas responsable. On m'a étiqueté expert dans la violence, ce que je ne suis pas" commentait l'auteur dans une interview télévisée dont un extrait est diffusé dans le documentaire.

    "Nous devenons indifférents lorsque les médias nous abreuvent, jour après jour, de reportages et d'images d'une réalité violente" expliquait Burgess, qui décrit aussi dans son roman, à travers le fameux traitement Ludovico que subit Alex, les techniques coercitives menées par les gouvernements pour "guérir" toutes sortes d'habitudes anti-sociales : l'alcoolisme, la toxicomanie, ou encore l'homosexualité. Ce sont les fameuses et infâmantes thérapies de conversion.

    Le libre arbitre en danger

    In fine, la question du libre arbitre est centrale chez Burgess et dans son oeuvre. "L'idée que notre capacité puisse être limitée par une force extérieure me terrifie" écrivait-il dans The Clockwork Condition. "Je crains que l'Etat ne soit prêt à s'emparer de nos cerveaux et à faire de nous de bons petits citoyens privés de libre arbitre. Autrement dit, des oranges mécaniques". Plus de 50 ans plus tard, cette interrogation reste, à l'ère de surveillance des masses, plus que jamais d'une brûlante actualité.

    "Orange mécanique, les rouages de la violence", diffusé ce mercredi 15 novembre sur Arte à 22h20. Egalement disponible sur arte.tv jusqu'au 12 mai 2024.

    FBwhatsapp facebook Tweet
    Sur le même sujet
    • "105 prises alors que la 2e était bonne !" Kubrick a rendu fou le compositeur de Barry Lyndon
    • "Je l'ai vu 18 fois au cinéma" : James Cameron et Steven Spielberg ne se lasseront jamais de ce chef-d'œuvre
    Commentaires
    Back to Top