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    George Lucas à Cannes : un des films du papa de Star Wars a failli ne jamais sortir au cinéma !
    Maximilien Pierrette
    Boulevard de la mort, Marie-Antoinette, Leto, Paterson ou Mademoiselle côté salles. Bill Murray & Tilda Swinton, Jodie Foster, Park Chan-wook, Eva Green, Joachim Trier ou, récemment, Adam Driver, côté interviews : certaines de ses plus belles séances et rencontres ont eu lieu sur la Croisette.

    Lauréat d'une Palme d'honneur, George Lucas est revenu sur sa carrière dans une masterclass au 77ème Festival de Cannes. Voici quelques extraits, où il n'est pas (beaucoup) question de "Star Wars".

    Dans l'Histoire du Cinéma, George Lucas est le créateur de Star Wars, oui. Mais pas que. Et lors de la masterclass qu'il a donnée, à la veille de recevoir une Palme d'honneur au 77ème Festival de Cannes, il est notamment revenu sur d'autres marquants de sa carrière.

    Pas liés à la galaxie lointaine, très lointaine. Même si tout y mène d'une manière ou d'une autre. Et que le succès de Star Wars a eu une incidence sur la suite de son parcours. Sauf si l'un de ses films n'était pas sorti en salles, comme cela a failli arriver.

    Quand il a révolutionné Hollywood

    Pour être tout à fait honnête avec vous, nous étions moins intéressés par le fait de gagner de l'argent que de faire des films. C'était ça la grande différence, car nous aimons tous les films. Quand nous étions dans notre école de cinéma, nous avions vu qu'on ne pouvait pas entrer dans l'industrie du cinéma. Que ce n'était tout simplement pas possible, à moins d'être le parent de quelqu'un déjà en place ou de connaître celui ou celle qui vous ferait entrer.

    Mais vous ne pouviez pas aller dans les studios, c'était complètement verrouillé. Aucun d'entre nous ne pensait donc vraiment qu'il allait un jour faire des films. La première fois que notre instructeur de caméra est venu, il a demandé combien d'entre nous voulaient faire des films : tout le monde a levé la main, et il nous a dit "Aucun d'entre vous ne va faire de films. Vous n'irez pas plus loin. Donc, si vous voulez faire des films, vous êtes dans une section sans espoir où vous allez perdre deux ans et oublier."

    Nous étions moins intéressés par le fait de gagner de l'argent que de faire des films

    Le truc, c'est que nous aimions tous les films et que tout ce que nous voulions vraiment, c'était en faire, même s'il ne s'agissait que de courts métrages réalisés à l'école. Et le timing a été magique à Hollywood, au milieu des années 60, car ses fondateurs et ceux des studios prenaient tous leur retraite : ils étaient tous septuagénaires ou octogénaires, et ils s'en allaient. Les studios ont alors été rachetés par des sociétés comme Coca Cola ou Gulf Western, qui ne savaient pas comment faire des films.

    Ils ont donc engagé des gens qui savaient en faire, et ont finalement embauché beaucoup de jeunes. Les portes des lieux auxquels nous n'avions pas accès ont commencé à s'ouvrir car ils ont embauché des gens issus d'écoles de cinéma, en pensant qu'ils savaient ce qu'ils devraient faire. S'ils avaient su (rires)

    Quand il est venu à Cannes pour la première fois

    La légende raconte que c'est lors de sa première venue au Festival de Cannes, où THX 1138 était présenté à la Quinzaine des Cinéastes, que George Lucas a signé un contrat pour faire produire American Graffiti, qui allait ensuite paver la voie vers Star Wars. George Lucas ne l'a pas confirmé, mais il a raconté une drôle d'histoire.

    J'ai démarché tous les studios de la ville, mais tous m'ont remercié et dit qu'ils m'appelleraient. Même United Artists qui, à l'époque, semblait être le meilleur choix en termes de liberté. Et Warner Bros. n'a pas voulu nous envoyer à Cannes, où THX 1138 était présenté à la Quinzaine des Cinéastes. Ils avaient à peine assez d'argent pour sortir le film, encore moins pour nous payer ce séjour.

    THX 1138
    THX 1138
    Sortie : 3 novembre 1971 | 1h 28min
    De George Lucas
    Avec Robert Duvall, Donald Pleasence, Don Pedro Colley
    Presse
    4,3
    Spectateurs
    3,2
    louer ou acheter

    "Si encore vous aviez une Palme d'Or. Mais là c'est la Quinzaine des Cinéastes, c'est juste pour les premiers films, on s'en moque." Walter [Murch, son monteur également présent à la masterclass, ndlr] et moi avons donc décidé d'investir l'argent qu'il nous restait - c'est-à-dire peu - pour aller à Cannes et voir le film sur place. Il pleuvait des cordes quand nous sommes arrivés, mais nous avons trouvé le cinéma, qui était une petite salle annexe.

    Mais nous nous sommes faufilés à l'intérieur. Nous n'avions pas de billets, nous n'avions rien, et nous sommes simplement entrés. Et quelques années plus tard, quand je suis revenu avec Star Wars, on m'a demandé pourquoi je n'étais pas venu pour la conférence de presse de THX : j'ai répondu que je ne savais pas qu'il y en avait une. Nous ne le savions pas.

    Quand son deuxième film a failli ne pas sortir

    L'avant-première d'American Graffiti était incroyable. Elle ne ressemblait à rien de ce que j'avais vu, entendu ou fait auparavant. Les spectateurs sont devenus fous : ils étaient debout, ils criaient, ils hurlaient, on aurait dit un concert de rock. Mais le patron du studio nous a dit que nous devrions avoir honte du film, qui n'était pas de qualité suffisante pour être montré. Alors qu'il était terminé.

    Francis [Ford Coppola] et moi avons eu une grosse dispute avec eux au fond de la salle. Il leur a demandé comment ils osaient dire cela alors que j'avais failli me tuer en tournant ce film en vingt-huit jours. Ils voulaient le remonter et le retitrer, mais nous nous sommes battus. Ils ont réussi à couper cinq minutes - la seule scène dans laquelle le personnage de Ron Howard s'en prenait à l'un de ses professeurs - mais ne voulaient toujours pas le sortir. Juste le diffuser à la télévision.

    Ils ont quand même fait une autre avant-première, avec les gens qui avaient entendu parler de la précédente et des personnes de la télé au milieu, et la même chose s'est produite : les gens sont encore devenus fous. Mais ils n'étaient toujours pas convaincus, donc nous avons recommencé, et c'était pareil.

    American Graffiti a fait 25 millions de dollars de recettes en un week-end. Ce qui était énorme à l'époque, l'équivalent de 200 millions aujourd'hui

    Les équipes marketing sont donc allés voir les responsables de la production, qui n'avaient pas aimé notre film, pour leur dire qu'il était vraiment bon et qu'il faudrait le sortir en salles. Ce qu'ils ont fait. Mais en août, soit le pire mois pour sortir un film - encore aujourd'hui, cela signifie l'envoyer au cimetière. On devait pourtant s'estimer heureux qu'il sorte dans cinquante cinémas.

    Mais il a fait 25 millions de dollars de recettes en un week-end. Ce qui était énorme à l'époque [en 1973, ndlr], l'équivalent de 200 millions aujourd'hui. Donc ils l'ont gardé pendant un mois, et il rapportait encore 25 millions de dollars par semaine. Il a ensuite eu plus de salles, et il est resté à l'affiche environ un an, rapportant au total plus de 100 millions de dollars.

    American Graffiti
    American Graffiti
    Sortie : 1 mars 1974 | 1h 50min
    De George Lucas
    Avec Richard Dreyfuss, Ron Howard, Paul Le Mat
    Presse
    3,0
    Spectateurs
    3,5
    louer ou acheter

    Je ne m'attendais pas à ce qu'il rapporte quoi que ce soit, et le studio non plus. Et lors de la dernière projection pour le studio, Alan Ladd Jr., directeur de la production à la Fox, l'a vu et a fait quelque chose qui n'est sans doute jamais arrivé à un réalisateur - sauf peut-être Stanley Kubrick : il a dit qu'il avait aimé le film, qu'il voulait travailler avec moi et qu'il ferait ce que je voulais, si j'avais un autre projet.

    Je lui ai parlé de ce film de science-fiction inspiré des films fantastiques des années 30. Je lui ai parlé des chiens qui conduisent des vaisseaux. Il m'a répondu qu'il le ferait, qu'il ferait ce que je voulais, car j'étais un bon réalisateur pour lui. Il m'a donc engagé, et le reste appartient à l'Histoire.

    Quand il a réussi à rester indépendant

    Je suis quelqu'un de têtu, et je ne voulais pas que l'on me dise comment faire mes films. J'ai un groupe d'amis, avec des gens comme Walter, j'ai été à l'école avec Martin Scorsese, Francis Ford Coppola, Steven Spielberg… Nous nous connaissons tous très bien, donc je sais quels sont leurs préjugés, je leur montre un film et ils font des commentaires. Mais je peux leur dire que c'est une bonne idée, mais que je ne veux pas le faire.

    Les studios sont encore à un point où c'est comme s'ils laissaient le public faire le film. Ce n'est pas comme ça qu'on fait un film

    Je n'aime pas les groupes de discussion. Je n'aime pas les avant-premières. Une avant-première peut servir, pour moi et pour les personnes qui travaillent sur le projet, afin de voir s'il fonctionne, puisque nous ne l'avons alors jamais montré à un public. Mais une fois que c'est fait, on demande aux gens quel genre de film ils veulent voir, et ils peuvent parfois dire : "Je veux voir quelque chose comme Star Wars !" Mais ce n'est pas vraiment une réponse.

    Ce qu'il faut, c'est faire le film. Comme je veux le faire, et comme je l'aime. Mais en faisant attention au public. Les studios sont encore à un point où c'est comme s'ils laissaient le public faire le film. Et, bien sûr, ils deviennent fous. ll s'agit pour eux de plaire aux fans. Or, comme je l'ai déjà dit, ce n'est pas comme ça qu'on fait un film.

    Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Cannes le 24 mai 2024

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