
Un mélange de genres ambitieux mais réussi…
À quelques heures seulement de la cérémonie de clôture de la 28e édition du festival du film de comédie de l’Alpe d’Huez, les festivaliers ont eu la chance de découvrir, près de deux mois avant sa sortie, le premier long-métrage du cinéaste Yohann Gloaguen (scénariste d’Oranges sanguines).
Prosper, chauffeur Uber à côté de ses pompes, prend comme passager un homme mourant qui vient de se faire tirer dessus. Paniqué, Prosper se débarrasse du corps tout en lui volant sa paire de bottines en crocodile. Mais en les portant, Prosper se retrouve habité par l'esprit de l'homme assassiné : King - un gangster respecté de tous, mais aussi l’un des plus grands rois de la SAPE. Partagés entre ces deux personnalités que tout oppose, Prosper et King, unis dans un seul corps, enquêtent pour démasquer l'assassin de ce dernier.

Véritable OVNI de la compétition, Prosper oscille habilement entre les genres : la comédie grâce au talent naturel de ses interprètes, Jean-Pascal Zadi (doublement césarisé pour son premier long-métrage, Tout simplement noir) en tête de liste ; le film policier avec son intrigue limpide et référencée, co-scénarisée par Dominique Baumard (Les Méchants, Les Règles de l’art), qui entraîne les spectateurs dans le monde de la nuit parisien ; et enfin le fantastique, provoqué par ces mystérieuses bottines à vocation de MacGuffin, qui permettent aux morts et aux vivants de cohabiter dans des scènes aussi drôles que touchantes.
… aux racines sociales et historiques assumées
Pourtant, malgré l’aisance avec laquelle il se déploie à l'écran, le projet Prosper a donné au metteur en scène Yohann Gloaguen du fil à retordre. “Il y avait dans ce script quelque chose de très original mais j’aimais surtout le fait qu’il parle de la confiance en soi, un thème qui me touche et que je n’aurais pas pensé aborder avec l’univers de la SAPE, raconte-t-il. N’étant ni sapeur, ni congolais, je ne me sentais pas légitime pour m’attaquer à un tel sujet.”
Un nécessaire travail d’immersion s’imposait donc pour le néophyte, qui a tout appris des grands maîtres de la SAPE, la société des ambianceurs et des personnes élégantes, un courant de mode particulièrement célèbre, lancé dans les années 20 au Congo. “Je me suis rendu dans les quartiers de Château rouge et Château d’eau, à Paris, où j’ai rencontré des sapeurs, notamment Le Bachelor, Monsieur Robby et Arlene Peleka qui jouent dans le film. J’ai beaucoup appris à leurs côtés. [La SAPE] est un mouvement d’élégance vestimentaire, unique en son genre, qui mélange mode, culture et résistance sociale. Ce mouvement n’était pas simplement une question de mode, mais aussi une façon de revendiquer une certaine dignité sociale et de contester la domination coloniale.”
Loin d’être occulté, cet aspect social, politique, de la SAPE demeure présent tout au long du film, puisqu’il permet au personnage de Prosper de contester progressivement la condition dans laquelle celui-ci est enfermé.
Œuvre de comédie assumée, Prosper emprunte autant au film policier qu’au fantastique pour créer un long-métrage parfaitement équilibré, à l’indiscutable portée sociale et politique. Une petite pépite d’élégance et d’humour, à découvrir en salle dès le 19 mars.