C'est l'un des plus beaux films de ce début d'année et il va déclencher beaucoup de conversations
Thomas Desroches
Thomas Desroches
-Journaliste
Les yeux rivés sur l’écran et la tête dans les magazines, Thomas Desroches se nourrit de films en tout genre dès son plus jeune âge. Il aime le cinéma engagé, extrême, horrifique, les documentaires et partage sa passion sur le podcast d'AlloCiné.

Réalisé par Delphine et Muriel Coulin, "Jouer avec le feu" raconte la relation compliquée entre un père et son fils piégé dans une escalade de la violence. Un film d'une grande humanité et plus actuel que jamais. Rencontre.

L'amour peut-il résister à toutes les tempêtes, aux divergences d'opinions ou au pire des crimes ? C'est la question que pose, entre autres, Jouer avec le feu, troisième long métrage de Delphine et Muriel Coulin.

Adaptée du roman Ce qu'il faut de nuit de Laurent Petitmangin, publié en 2020 aux éditions La Manufacture de Livres, l'histoire est celle de Pierre (Vincent Lindon), un cheminot veuf qui élève ses deux fils, Fus (Benjamin Voisin) et Louis (Stefan Crepon). Si ce dernier est déjà promis à de grandes études, le premier, l'aîné, peine à trouver sa voie et se laisse séduire par des groupuscules d'extrême droite.

Jouer avec le feu
Jouer avec le feu
Sortie : 22 janvier 2025 | 1h 58min
De Delphine Coulin, Muriel Coulin
Avec Vincent Lindon, Benjamin Voisin, Stefan Crepon
Presse
3,6
Spectateurs
3,5
Séances (1 147)

Pour son rôle, Vincent Lindon a remporté le prix du meilleur acteur à la dernière Mostra de Venise en septembre 2024. Prix qu'il remporte face à Adrien Brody ou encore Daniel Craig et qui offre au film une incroyable visibilité.

Même s'il vise tous les publics et tous les âges, Jouer avec le feu est un récit ancré dans son temps, s'adressant particulièrement à la jeunesse, conscientisée, ou non, sur les sujets politiques. Rencontre avec les réalisatrices.

AlloCiné : L’histoire de ce film s’inscrit dans l’actualité. Comment est né votre sentiment urgence de raconter le destin de cette famille ?

Delphine Coulin : La situation actuelle nous inquiète personnellement et collectivement. L'extrême droite gagne du terrain partout mais en même temps, on n'avait pas envie de faire un film sur la dérive d'un garçon vers l'extrême droite. C’est quelque chose qui a déjà été fait. Notre objectif était d’établir un lien entre la peur de ce père face à la situation de son fils et notre propre inquiétude face à la progression de ces valeurs-là.

Le père joué par Vincent Lindon est un héros ordinaire. On parle souvent de “mères courages” au cinéma et on emploie rarement ce terme pour les pères. Je pense que c’est le cas ici. Le choix de Vincent Lindon était-il une évidence ?

Muriel Coulin : Quand on a lu le livre, on a tout de suite pensé à Vincent Lindon, l'une comme l'autre. On a écrit le scénario en pensant à lui et on se disait qu'il y avait encore certainement des facettes de lui qu'on n'avait pas encore vues. En particulier une sensibilité, une tendresse. Dans notre film, il défend des idées, il bataille mais on voulait explorer une fragilité insoupçonnée.

Ce n'est pas en ayant du mépris contre ceux qui pensent différemment que les choses vont avancer.

Ce film questionne l’amour conditionnel. Cet amour peut-il changer si l’on ne se reconnaît plus dans les valeurs et les actes de l’être aimé ? Vous êtes toutes les deux en désaccords sur ce sujet. Vos opinions ont-elles évolué après ce film ?

Delphine Coulin : En ce qui me concerne, je disais à ma sœur Muriel : “Quoi que tu fasses, même une chose très grave, je te défendrai, je te cacherai si besoin, je continuerai à t'aimer.” C'est la même histoire dans ce film. Cela fait maintenant deux ans que l’on travaille avec ces questions tous les jours. Moi je continue de penser qu'une sœur reste une sœur, un père reste un père et un fils, c’est encore plus fort…

Muriel Coulin : Pour moi, ça dépend de la nature du crime. Je n'aurais plus l'impression que ma sœur resterait ma sœur si elle commettait le pire des crimes. Je pense que là je serai totalement bousculée et que l'amour pour ma sœur serait vraiment mis à l'épreuve. Je ne pense pas que nos points de vue aient tant changé.

Muriel et Delphine Coulin, les réalisatrices. Thomas Desroches
Muriel et Delphine Coulin, les réalisatrices.

Il est très facile de juger, moquer ou pointer du doigt les personnes qui perdent peu à peu leur lien avec la société. Le film questionne également cette problématique : comment les réintégrer ?

Delphine Coulin : Ce n'est pas en ayant du mépris contre ceux qui pensent différemment que les choses vont avancer. Ce n'est pas non plus en faisant preuve d'autorité ou de colère comme le père au début du film, ni en s'enfonçant dans le silence.

Lors d'un dîner de famille, on entend souvent des propos qui peuvent nous déranger, mais que doit-on faire ? Rétorquer et provoquer une crise familiale, ou se taire pour préserver la bonne ambiance ? Je pense que se taire n'est pas une solution.

Il y a cette réplique dans la dernière partie du film : “J'espère que Loulou [ndlr, le personnage joué par Stefan Crepon] s'en sortira pour nous trois.” A ce moment-là, les trois hommes de cette famille redeviennent un bloc. C’est la même chose dans la société : il faut revenir aux liens et aux valeurs qui nous unissent vraiment.

Comment travaillez-vous la tension humaine qui paraît si réelle à l'écran ?

Muriel Coulin : Pour nous, le plus important avec Delphine, c'est d’établir un climat où les acteurs se sentent bien et où on peut aussi laisser la place à quelques inventions ou quelques trouvailles dans les gestes, etc. Cela commence avec le décor par exemple.

La maison doit devenir leur maison. Quand ils arrivent au premier jour de tournage, ils doivent occuper leur espace, s'approprier leur chambre, faire comme si ils étaient réellement chez eux. Souvent on parle de la direction d'acteurs, mais la vraie direction commence par le choix des comédiens. Une fois que le rôle est attribué au bon acteur, la matière humaine apparaît naturellement.

Benjamin Voisin et Stefan Crepon dans Ad Vitam Distribution
Benjamin Voisin et Stefan Crepon dans "Jouer avec le feu".

Pourquoi est-ce, selon vous, important que des jeunes voient ce film ?

Delphine Coulin : C'est capital et nous étions très contentes car, en plus du prix d'interprétation pour Vincent Lindon, nous avons reçu le prix de la jeunesse en Italie, le Lionceau d’or. Un étudiant a prononcé un très beau discours qui résonnait particulièrement dans l'Italie de Giorgia Meloni.

Muriel Coulin : Les jeunes, c'est eux qui bougent. Tous mes espoirs sont dans cette génération et ils répondent présents, que ce soit dans les questions écologiques mais aussi dans les manifestations politiques, comme en juillet 2024. J'espère bien qu'ils vont venir voir le film. Le film s'adresse à tout le monde de toute façon, même aux politiques qui prêtent peu attention aux jeunes. Que le cinéma s'intéresse à tous ces sujets, c'est la moindre des choses.

Propos recueillis par Thomas Desroches, à Paris, le 14 janvier 2024.

Jouer avec le feu de Delphine et Muriel Coulin

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