Une fable pastorale hors du temps…
Sur un coup de tête, Mathyas (Félix-Antoine Duval) troque sa vie de publicitaire à Montréal pour celle de berger en Provence. Alors qu'il espérait trouver la quiétude, il découvre un métier éreintant et des éleveurs souvent à bout. Mais quand il rencontre Élise (Solène Rigot) qui elle aussi vient de tout quitter, ils se voient confier un troupeau de 800 moutons et s’engagent dans une transhumance. Ensemble, ils vont traverser les épreuves de la montagne et se façonner une vie nouvelle.

En salle cette semaine, Bergers entraîne ses spectateurs au cœur des montagnes. Oubliant l’agitation de la ville et ses tracas, l’urbain et le mécanique, le nouveau long-métrage de la réalisatrice québécoise Sophie Deraspe fait le pari de créer une bulle hors du temps, maîtresse de son propre espace.

“Bergers est l’histoire d’une quête, celle d’un homme qui cherche sa place dans le monde en se mettant à l’écoute, dans un état de disponibilité totale, explique la cinéaste. Dès qu’on commence à prendre soin de soi, des animaux, de la nature et globalement du vivant, j’ai senti qu’une place se faisait toute disponible pour l’autre dans un rapport d’intimité. J’avais très envie de mettre l’amour au centre de ce film [...]. On comprend que les mains de Mathyas ont appris, ont tenu la vie, mais aussi la mort, et que finalement elles savent aimer.”
Rejetant le modèle capitaliste, Mathyas s’abandonne totalement à son nouveau mode de vie, avec une candeur sincère et touchante. Particulièrement sensible aux pastorales, forme poétique quelque peu délaissée par le monde moderne, le jeune homme rêve avant tout de grands espaces, d’errance et de détachement. Dans ce rôle de Candide contemporain, le comédien Félix-Antoine Duval brille de sincérité, de curiosité et de bienveillance d’une manière absolument authentique.

Tout au long de son parcours, Mathyas rencontrera quantité de personnages secondaires hauts en couleur : tantôt alliés, tantôt rappels brutaux de la dure réalité, ces figures variées ponctuent son chemin comme autant de visions du métier de berger. Outre la performance d’Aloïse Sauvage, révélée au cinéma par 120 battements par minute, le spectateur appréciera d’apercevoir, dans cette galerie de personnage, plusieurs visages incontournables du cinéma français : parmi eux, Guilaine Londez – mémorable dans Benedetta – et David Ayala, remarquable dans Miséricorde – qui lui valut une nomination au César du meilleur acteur dans un second rôle – et actuellement à l’affiche d’On ira.
Porté par ses panoramas sublimes, saisis à hauteur d’Homme (ou d’animal) plutôt qu’au drône, Bergers offre à ses spectateurs une évadée hors du temps, un souffle nouveau permis par le rythme d’une intrigue volontairement relâchée, qui séduit et inspire. Mais pour autant, le long-métrage de Sophie Deraspe refuse l’idéalisation. Loin de se conforter dans une vision éthérée de la vie pastorale, Bergers aborde aussi la dureté de ces laissés pour compte, trop souvent abandonnés par la fiction, autant que par le système.
… chargée d’un sous-texte social particulièrement moderne
Oscillant entre fictions (Les Loups) et documentaires (Le Profil Amina), les œuvres de Sophie Deraspe s’attachent à toujours à interroger des sujets contemporains : le rapport à la nature et à l’animal, bien sûr, mais aussi la parentalité, l'immigration ou encore la relation au mysticisme. Dans Bergers, c’est sur la marginalité que la cinéaste s’attarde, dans une longue tradition de réflexions sur les servitudes, plus ou moins volontaires :
“À notre époque, être berger, c’est un choix de vie fort, une manière de se mettre en marge de la société capitaliste, explique-t-elle. On est au carrefour d’une culture ancestrale et du monde contemporain [...].”

Difficultés économiques, solitude, défi écologique… Autant de problématiques dont souffrent terriblement les bergères et bergers et auxquelles se heurte Mathyas, comme face à un mur invisible. Confrontant ainsi la pulsion de vie de son personnage à la pulsion de mort qui hante de son spectre les montagnes, Sophie Deraspe aboutit à un portrait riche et contemporain de l’une des plus anciennes vocations au monde, une pastorale moderne et puissante qui laisse songeur.
Bergers, de Sophie Deraspe, est à découvrir au cinéma dès maintenant.