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    "Un crime" : rencontre avec Emmanuelle Béart

    A l'occasion de la sortie, ce mercredi, du long-métrage "Un crime" de Manuel Pradal, AlloCiné a rencontré le réalisateur et son actrice Emmanuelle Béart.

    Manuel, pourquoi avoir fait appel à Tonino Benacquista pour le scénario d'"Un crime" ?

    Manuel Pradal : J'avais envie de changer de "catégorie". Il a une grande culture du film noir que je n'ai pas. Et puis parce que nous avons la même fascination pour New York.

    Emmanuelle, qu'est-ce qui vous a poussé à travailler avec Manuel Pradal ?

    Emmanuelle Béart : C'est ma vision de Marie Baie des Anges il y a quelques années. Je m'étais dit que si je le croisais un jour sur mon chemin, je lui dirai que j'aimerais bien travailler avec lui. C'est aussi l'idée de s'expatrier à New York, d'ouvrir une porte sur un pays qui n'est pas le mien, une langue qui n'est pas la mienne, un univers qui n'est pas le mien non plus. Mais au fond qu'est-ce qui fait qu'à ce moment-là on se dit que c'est la bonne personne, le bon projet ? Ca reste une vraie question... J'avais parlé avec Vahina Giocante qui m'avait dit : "Quand on donne quelque chose à Manuel, on a l'impression qu'on ne sera pas trahi, c'est quelqu'un qui est à l'affût de ce qu'on va proposer." De plus, sa façon de filmer me plaît, très charnelle, dans une proximité : Manuel et sa caméra, c'est un personnage du film.

    Est-ce difficile de s'engager dans un film à petit budget ?

    Emmanuelle Béart : Ca demande une énergie plus forte, plus grande, on sait que la bataille sera plus difficile. Ce film est le reflet des films d'auteur français d'aujourd'hui : sans soutien financier des chaînes de télé. On n'aborde pas les choses de la même façon si on part avec les poches pleines de dollars. Si on a en a peu, là on fait attention à ce qu'on nous demande, on a une notion de l'argent, de l'idée de produire un film et de le faire avec peu de moyens, c'est assez rare pour un acteur. Il y a un esprit de solidarité, une sur-énergie qui s'est développée dans cette équipe qui était extrêmement redoutable : rien ne pouvait nous arrêter.

    Manuel Pradal : Je tire d'ailleurs mon chapeau à Michèle Pétin et Laurent Pétin qui ont pris des risques par amour du film. Il y a eu une grande solidarité et on s'en est sorti.

    Avez-vous écrit les dialogues en pensant aux acteurs ou le casting a-t-il eu lieu après l'écriture du scénario ?

    Manuel Pradal : Pour Harvey Keitel, nous savions que ce serait lui, j'avais décidé après Ginostra de continuer avec lui car il y a entre nous une grande fraternité. Quant au rôle d'Alice, je ne savais pas trop, j'ai pensé à prendre une actrice française à défaut d'une Américaine car je suis Français, mon parcours s'est toujours inscrit dans le métissage. J'aime créer des rencontres improbables avec les risques que cela comporte. Emmanuelle s'est très vite imposée à moi comme une actrice instinctive, charnelle, crue, pouvant être l'équivalent de Keitel en femme : une peau douce face à une peau dure.

    Emmanuelle, comment vous êtes-vous sentie face à un monstre sacré comme Harvey Keitel ?

    Emmanuelle Béart : Soit je ne suis pas assez cinéphile pour être impressionnée par sa filmographie, soit je suis extrêmement lucide sur ce qu'est un acteur, c'est-à-dire que quel que soit le comédien, quand il arrive sur le plateau à 6h du matin, il est mort de trouille. A ce moment-là, il n'y a pas de vedette, pas de mythe, de Bad lieutenant ou autre mais un monsieur humain qui se demande comment il va aborder cette scène. Dans le travail, je ne pense pas qu'on puisse être impressionnés les uns par les autres.

    Etait-il impressionné par vous ?

    Emmanuelle Béart: Harvey a toujours voulu se montrer à moi lorsqu'il était prêt, c'est à dire habillé, dans son personnage. Ce qui a créé un problème de timing avec la caravane maquillage-coiffure. Au bout d'un moment, j'ai pété un plomb, je suis allée le voir, il était torse nu et je lui ai dit : "Voilà, ça c'est fait, comme ça je vous ai vu, il n'y a plus de problème, je pourrai rentrer dans notre caravane commune et je suis ravie de vous avoir vu à moitié nu car à mon avis, ça va simplifier beaucoup de choses."

    Manuel Pradal : D'ailleurs Harvey avait resculpté son corps de Bad lieutenant qu'il avait perdu ces dernières années. C'était donc un peu le Keitel originel. Contrairement à ce qu'on peut penser, je n'ai pas du tout pensé à Taxi Driver mais je suis rentré par les clichés de New York. Ca n'a pas été un voyage de cinéphilie pour moi. Mais j'imagine qu'il y a quand même des références inconscientes.

    Emmanuelle, il paraît que vous étiez fâchée quand Harvey Keitel essayait de vous prendre sous son aile d'"Actor studio"...

    Emmanuelle Béart : Non, je n'étais pas fâchée mais c'est quelqu'un de très structuré dans sa pensée, il a vraiment besoin de comprendre pourquoi il va dire telle phrase, pourquoi il doit prendre un verre à ce moment-là, pourquoi il doit se déplacer, etc... C'est sa façon à lui de travailler, de construire avant de commencer à jouer. Mais à l'intérieur de ce cadre rigoureux, on sent une incroyable liberté. Ceci inverse les situations, il lui est arrivé de me dire des choses insensées, en pleine scène, comme : "Et si tu étais l'homme et moi la femme ?!" J'étais perdue et je me suis dit : "Où suis-je, que suis-je et qu'est-ce que je fais là ?! " (rires). Je n'ai pas le souvenir d'avoir été en colère contre lui mais plutôt celui d'une vraie belle rencontre. Il ne m'a jamais donné de conseil mais un jour m'a pris la main et m'a dit : "Je ne sais pas pourquoi, mais ça fait bien longtemps que ça ne m'était pas arrivé d'aimer jouer avec quelqu'un comme ça ! " J'ai trouvé ça extrêmement généreux.

    Manuel Pradal : On apprend vite à s'adapter, il faut trouver la manière de parler à un acteur mais ça se fait naturellement. Il est vrai que lorsqu'on veut enrichir un personnage, il faut lui inventer un passé, extrapoler sur plein de choses.

    Y-a-t-il eu des scènes plus difficiles que d'autres à tourner ? Les scènes d'amour par exemple ?

    Emmanuelle Béart : Je n'ai pas le souvenir d'une scène facile. Les scènes d'amour me gênent quand elles sont inutiles, celle avec Harvey Keitel ne l'était pas mais ce n'est pas pour ça qu'elle ne m'a pas gênée. J'en ai discuté avec Manuel, il m'a expliqué, j'ai compris donc j'ai accepté. J'étais rassurée aussi par Yorgos Arvanitis mais c'est vrai que, pour la scène d'amour, nous étions face au métro donc dans un endroit déstabilisant. C'était plus grave pour Keitel car il est quand même beaucoup plus connu que moi. Le métro s'arrêtait et on avait une vingtaine de personnes devant nous qui nous regardaient tout nus (rires). On se disait : "Au secours, quand va redémarrer le métro ?", et on finissait par se demander si les gens ne s'étaient pas appelés pour se dire de s'arrêter à cette station et voir un truc hard ! (rires) Ca, c'était l'aspect comique car on est toujours obligé de s'en sortir avec un peu d'humour dans ces scènes-là. Une fois qu'il faut y aller, je le fais sans soucis d'esthétisme qui empêcherait le côté sexuel et charnel de la situation. On sait que le metteur en scène n'a pas d'intérêt là-dedans. Il nous a filmé avec une lumière presque métallique qui ressemble au New York crade, tranchant, dangereux.

    Des projets ?

    Emmanuelle Béart : Oui, toujours ! Je rêve à d'autres films mais pas forcément outre-atlantique. J'ai tourné Le Héros de la famille, où je joue une chanteuse ratée. C'était très intéressant, j'ai pris des cours de chant et un disque va sortir dans lequel j'interprète six chansons. Qui sait ? C'est peut-être une brèche qui s'ouvre, le début de quelque chose, je n'en sais rien... En tout cas, je pense sérieusement refaire du théâtre.

    Propos recueillis par Alexandrine Follin le 5 septembre 2006 à Paris

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