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    Débriefing : "Je suis une légende"

    Vous êtes déjà plus de 2 millions à avoir accompagné le dernier homme sur Terre dans "Je suis une légende". Si vous avez lu le roman original, certains choix scénaristiques ont pu vous interpeller : nous avons demandé des explication au réalisateur Francis Lawrence et au scénariste Akiva Goldsman. Attention, spoilers...

    AlloCiné : Pourquoi avoir croisé le roman "Je suis une légende" et le film "Le Survivant" ?

    Akiva Goldsman (scénariste) : Tout simplement parce que nous étions attachés à des éléments des deux histoires. La différence fondamentale entre Je suis une légende et " Le Survivant ", c'est l'approche de l'espoir. Je suis une légende est sans doute l'une des oeuvres les plus désespérées que j'ai jamais lu : il n'y a pas la moindre trace d'espoir dans ce roman, seulement une ironie totale. Le Survivant, quant à lui, a été réalisé à une époque différente, où le monde était déjà moins naïf. Les années cinquante se caractérisent par une certaine naïveté, même au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Il y avait une imagination naïve et débridée à cette époque, notamment dans la SF, qui a changé dans les années 60. Le monde change à ce moment là, et l'idée de vouloir tout détruire semble plus controversée qu'auparavant. Car le monde peut véritablement sombrer. Du coup, raconter une histoire sans aucun espoir devient plus délicat, car on se dit que c'est finalement une réalité possible, que le monde peut être sans espoir. Du coup, le film part dans une autre direction : il garde le côté solitaire du héros, mais avec l'idée qu'on peut finalement changer le monde, qu'il y a de l'espoir.

    Notre monde est encore plus dénué d'espoir que dans les années soixante : raconter une histoire sans espoir ne nous semblait pas intéressant. Et dans la mesure où il existait une approche avec plus d'espoir, Le Survivant dont je suis un grand fan, il nous semblait intéressant d'utiliser ce film comme "mère" de notre film, et le roman de Richard Matheson comme "père". Combiner ces deux approches nous semblait plus en harmonie avec l'histoire que nous voulions raconter...

    Francis Lawrence (réalisateur) : C'est exactement ça. Nous aimions certains éléments du roman, certains éléments du film et nous avions nos propres idées également. L'objectif était donc de créer un monde, un univers dans lequel évoluer plutôt que simplement adapter le roman original.

    Pourquoi la virus est-il créé par l'Homme dans votre version ?

    Francis Lawrence (réalisateur) : C'est amusant car je savais que ce genre de questions allait surgir. Alors que pour nous, ce n'était pas tellement important de savoir d'où vient ce mal. Mais on ne voulait surtout pas que ce soit lié au terrorisme. Pour nous, il ne s'agit pas de savoir ce qu'il s'est passé avec ce virus. Mais ce qui se passe pour cet homme trois ans plus tard. Mais en même temps, les spectateurs veulent toujours savoir le pourquoi du comment. Nous avons donc décidé de ne pas mettre ça sur le dos d'un "méchant", pas de terroriste, pas de personne prenant en otage le monde, pas de grand vilain à la James Bond... Il ne fallait pas que ça monopolise l'attention. Nous avons donc choisi un virus partant d'une bonne action qui dérape.

    Pourquoi avoir fait de Robert Neville un scientifique et un militaire ?

    Akiva Goldsman (scénariste) : C'est un raccourci. De la même manière que nous avons déplacé l'histoire de Los Angeles à New York. La grammaire cinématographique est différente de la grammaire littéraire. Dans le film par exemple, quand Will ouvre la porte du réfrigérateur, on voit la couverture de Time Magazine avec sa photo et le titre "Notre sauveur ?". En un plan, vous racontez beaucoup de choses. Et cette économie narrative nous semblait très importante sur un film comme Je suis une légende, qui est très calme, très épuré.

    Francis Lawrence (réalisateur) : Et puis le fait qu'il soit déjà un scientifique, ça peut aider pour trouver un remède. (Rires) Mais plus sérieusement, la plupart des chercheurs qui travaillent au Centre de Contrôle des Maladies sont des militaires. Et puis dans Le Survivant, le personnage principal essayait déjà de trouver un virus...

    Pourquoi avoir choisi les images de synthèse pour donner vie aux " Infectés "?

    Francis Lawrence (réalisateur) : Nous avons commencé le tournage en pensant tourner ces scènes en live. Mais ce ne sont pas des zombies : ce ne sont pas simplement des gens en haillons qui courent et qui croquent tout ce qui bouge... Ils ont changé physiquement, à cause de virus : leur peau est translucide, ils sont plus musclés, ils hyper-ventilent, leur bouche s'ouvre largement... Nous avons essayé de restituer ça avec du maquillage : nous avons tourné la première nuit à Washington Square Park avec une quarantaine d'acteurs, de cascadeurs et de danseurs formés à notre "école des Infectés", à qui on avait rasé le crâne. Nous avons regardé les rushes, et c'était tout simplement horrible. Ca ne fonctionnait pas. Il fallait à ces créatures une nature sauvage, qui ne marchait pas avec de vrais comédiens. Donc quasiment dès le début, nous avons pris la décision de passer à la synthèse, tout en gardant ces comédiens que nous avons simplement habillés de combinaisons pour capter leurs mouvements pour les remplacer ensuite par de la CGI. Quand ils attaquent Will, ils étaient avec lui sur le plateau, par exemple.

    Pourquoi les "Infectés" ne parlent-ils pas dans votre version ? A la fin du roman, on évoque une nouvelle civilisation vampirique...

    Akiva Goldsman (scénariste) : A nos yeux, le plus important dans cette histoire est le destin de cet homme. C'est ce qui ressort de Je suis une légende et Le Survivant. Tous les autres éléments sont ajoutés à cette colonne vertébrale. Il s'agit de l'histoire de cet homme, c'est tout. Pour se focaliser là-dessus, le temps étant précieux dans un film, nous avons dû éliminer d'autres intrigues, comme cette partie sur les vampires. Il n'y a pas de méchants à proprement parler dans notre film : même le mâle Alpha fait partie de l'environnement, des obstacles sur le chemin de Neville. Son plus grand ennemi, c'est son esprit. C'est cela qu'il combat : sa culpabilité, sa solitude, sa folie... Ceci étant dit, je ne dirais pas que les Infectés n'ont pas de culture. Ils ne parlent pas au sens où nous l'entendons, mais sans doute ont-ils leur propre mode de communication. Mais quoi qu'il en soit, ce n'est pas important par rapport à l'histoire que nous voulions raconter : leur histoire n'est pas importante par rapport à celle de Neville. Moins on les voit et moins on pense à eux dans le film, mieux c'est finalement...

    Pourquoi les trois survivants humains représent le melting-pot des Etats-Unis : un Afro-Américain, une Latino-Américaine et un jeune Blanc ?

    Francis Lawrence (réalisateur) : Il n'y a rien de conscient là-dedans. Nous avons choisi Alice Braga car elle faisait vraiment survivante à nos yeux. Elle correspondait au personnage que nous avions créé, qui survit grâce à sa foi. Nous aimions l'idée qu'elle soit latino-américaine car d'un coup, sans rien montrer, on comprend que le virus s'est répandu partout, au-delà de Manhattan.

    Pourquoi la femme de Neville ne fait pas partie des Infectés comme dans le roman ?

    Francis Lawrence (réalisateur) : Dans le roman, effectivement, la fille meurt et la femme revient d'entre les morts... Nous voulions surtout utiliser les scènes de flashbacks pour parler de l'évacuation de Manhattan.

    Akiva Goldsman (scénariste) : Dans l'une des premières versions du scénario, sa femme était diagnostiquée comme infectée et parquée à Manhattan. Plus tard dans le film, elle attaquait Neville et il devait se défendre contre elle... Mais comme le disait Francis, nous voulions parler de cette quarantaine et de cette évacuation. Et aussi confronter Neville à des pertes terribles, douloureuses. On voulait qu'il ressente cette culpabilité, culpabilité qui le maintient dans cet état où il veut à tout pris trouver une solution et régler le problème. Dans cette optique, il était préférable de tuer sa famille de cette façon, dès le début. C'est horrible de dire ça, je trouve... (Rires) Mais il n'y a pas de "raisons" de choisir telle ou telle approche en fait. Ce sont des questions de point de vue créatif, de subjectivité par rapport à ce qu'on aime, à ce qui nous marque dans l'oeuvre originale...

    Francis Lawrence (réalisateur) : Ca dépend aussi de l'histoire que l'on raconte. Concernant les flashbacks par exemple, nous souhaitions traiter le problème de l'évacuation. Et les choix se font donc pour que cette idée prédomine.

    Akiva Goldsman (scénariste) : Les livres ne sont pas des films, et les films ne seront jamais des transpositions exactes des livres : on ne peut pas rivaliser avec l'imagination des lecteurs. On doit donc se baser sur la nôtre, et espérer que d'autres gens nous suivent sur ce chemin...

    Pourquoi avoir changé la fin et du coup inversé le titre ? Neville n'est plus la légende des vampires, mais celle de l'Humanité survivante...

    Francis Lawrence (réalisateur) : Oui, nous avons changé la fin mais le titre conserve une vraie signification je trouve... C'est juste différent.

    Oui mais est-ce aussi fort que dans le roman selon vous ? La fin imaginée par Matheson était juste brillante...

    Akiva Goldsman (scénariste) : Ce n'est pas un roman, mais une longue nouvelle. Et qui se conclut sur un vrai twist, comme La Quatrième Dimension. Honnêtement, ça fonctionne rarement au cinéma ce genre de renversement de situation. C'est fantastique dans une histoire courte, mais c'est très frustrant sur une longue histoire. Et puis encore une fois, ce n'est pas l'histoire que nous voulions raconter. Après, est-ce que c'est aussi fort ? Je dirais que c'est fort mais différemment. C'était plus élégant à nos yeux de faire une fin pleine d'espoir... On pourrait sans doute faire un excellent film en adaptant scrupuleusement le roman, mais ce n'est pas le film que nous avons voulu faire.

    Dernière question : pourquoi "Batman vs. Superman" ?

    Francis Lawrence (réalisateur) : (Rires) C'est Akiva qui a imaginé les films qui auraient pu sortir d'ici 2009 juste avant l'Apocalypse. Et tout le monde ne nous parle que du poster de Batman vs Superman !

    Akiva Goldsman (scénariste) : Nous l'avons glissé dans le film à la dernière minute en plus, sans trop rien dire. J'espère que nous n'aurons pas trop de soucis pour ça...

    Propos recueillis par Yoann Sardet

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