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    "No country for old men" : l'interview !

    Rencontre avec deux des comédiens du film-événement des frères Coen, "No country for old men" : l'Ecossaise Kelly MacDonald et l'Espagnol Javier Bardem, primé aux Golden Globes pour son étonnante prestation de psychopathe.

    Javier, vous incarnez un étrange psychopathe. Dans quelle mesure la coiffure du personnage vous a-t-elle aidé à entrer dans le personnage ?

    Javier Bardem : Tout le monde me demande : "Ca fait quoi de porter cette perruque ?" Mais ce n'est pas une perruque, ce sont mes cheveux ! C'est très compliqué au quotidien de porter cette coiffure pendant trois mois.

    Mais pour le personnage, je crois que ça a bien fonctionné. Quelqu'un m'a dit que c'était marrant qu'un personnage si inquiétant et violent ait une coiffure aussi féminine. Je n'y avais pas pensé, mais c'est vrai : c'est le côté féminin de Chigurh. Je devais porter constamment un filet pour ne pas défaire la coiffure. Au début, sur le plateau, les gens trouvaient ça drôle. Et puis au bout du quatrième jour, ils me disaient " Allez, enlève ça, ça ne nous fait plus rire du tout " Le dernier jour du tournage, je devais monter un étage, et quand l'ascenseur s'est ouvert, toute l'équipe portait un filet dans les cheveux !

    Kelly, j'ai lu que vous aviez été frappée par l'humour du scénario, ce n'est pas pourtant pas quelque chose d'évident...

    Kelly MacDonald : Il semble que je sois la seule à avoir eu cette impression... J'ai trouvé le scénario vraiment drôle. Mais quand j'ai vu le film pour la première fois, je me suis dit "hum, tout ça est bien sombre... " (rires) J'aime particulièrement les dialogues et les personnages. Cormac McCarthy est un auteur très brillant, et les frères Coen ont un sens de l'humour assez proche du sien, donc ils étaient bien placés pour le servir au mieux.

    Je crois que le film est très fidèle au livre mais en même temps c'est un film des frères Coen à part entière. Pouvez-vous nous dire ce que ça fait d'être dirigés par ces deux-là ?

    J. B. : Eh bien c'est comme si on était face à une seule personne. Il n'y a jamais de conflit entre eux, jamais de bagarre... ce qui m'a un peu déçu. Je m'attendais à ce qu'il y ait de la tension entre eux... Mais non. (rires) Non non, n'écrivez pas ça ! C'était super, on s'est beaucoup amusés. Ils sont très normaux, n'est-ce pas ?

    K. MD. : Oui. Ils éprouvent un tel respect l'un pour l'autre... Et puis ils font le même film, donc il n'y a pas de problème pour prendre les décisions, tout est très simple. On pense que ça va être bizarre d'être dirigé par deux personnes, mais en fait on oublie ça au bout de 5 minutes, et on n'y fait plus attention.

    Javier, vous avez l'habitude de beaucoup travailler sur le passé du personnage. Cette fois, vous n'avez pas procédé ainsi...

    J. B. : J'ai essayé, mais... C'est vrai que ça n'avait pas trop de sens de se demander : "Comment était-il traité par sa mère ? Est-ce qu'il buvait vraiment du lait ?" Dans le livre, Chigurh est quelqu'un qui arrive de nulle part. Un des mystères de ce personnage, c'est qu'on ne sait jamais vraiment qui il est ni ce qu'il veut. Et puis j'en ai parlé avec les Coen et on s'est dit que ça n'avait pas d'importance. Ce qui comptait, c'était de parvenir à comprendre l'idée du personnage et la traduire sous la forme d'un comportement humain.

    Diriez-vous qu'il est comme une machine ?

    J. B. : Oui, et je crois que c'était la difficulté : trouver un équilibre entre cette dimension et la dimension humaine. On s'aperçoit qu'il n'est pas une machine, qu'il n'est pas fait de câbles mais de chair et d'os. C'est pour ça que la scène dans laquelle il se recoud est si importante : on voit qu'il peut être blessé, c'est un être humain comme nous. C'est plus effrayant que s'il avait été un messager de l'enfer, on ne peut pas l'arrêter.

    Que pouvez-vous nous dire du passé de Carla Jean ?

    K. MD. : Dans le livre, on en sait un peu plus sur sa rencontre avec Llewelyn. Mais pour moi ça n'a pas beaucoup d'importance. Je ne suis pas aussi travailleuse que Javier. Je me tiens à ce qui est écrit, je ne vais pas chercher plus loin... (rires).

    En général, je suis déjà suffisamment inquiète en lisant le texte qu'on me donne, alors si je commence à me poser des questions sur ce qu'a vécu mon personnage quand il avait cinq ans...

    Comment les Coen vous ont-ils choisie et était-ce difficile de prendre l'accent texan ?

    K. MD. : J'étais à New York et mon agent m'a dit que ce serait une bonne idée d'aller voir la directrice de casting du film, Ellen Chenoweth. Mais je savais que les Coen recherchaient des comédiens texans (sauf pour Chigurh), donc il m'a fallu convaincre Ellen, faire des essais pour elle et j'ai pu ensuite rencontrer les Coen. Concernant l'accent, je dois dire que j'étais très inquiète de la réaction de Tommy Lee Jones, qui est texan. Ca aurait été difficile de jouer ensemble s'il n'avait pas été convaincu par mon accent. Mais Tommy a été génial, et je lui suis très reconnaissante.

    Parlez-nous du travail avec les Coen : le scénario évolue-t-il au cours du tournage ?

    K. MD. : Non, mais il n'y avait rien à changer. A aucun moment on ne s'est dit : "Cette réplique n'est pas bonne" ou "ce décor n'est pas celui que j'imaginais". On trouvait tout de suite nos marques. Ils travaillent énormément sur le scénario en amont. Et une fois qu'ils ont réuni le casting et l'équipe technique, vous n'avez plus qu'à vous mettre au boulot. C'est génial.

    J. B. : J'ajoute que le scénario étant une adaptation d'un récit de Cormac McCarthy, les dialogues sont très brillants... Les Coen sont très respectueux vis-à-vis du texte, mais si un acteur n'est pas à l'aise avec certaines répliques, ils sont prêts à modifier des choses. C'est ce qui m'est arrivé. Ne parlant pas un anglais excellent, j'avais du mal avec certains mots. Ils m'ont alors dit : "Emploie tes propres mois, trouve quelque chose d'équivalent." Mais Dieu merci, j'ai travaillé avec un coach qui a été une aide précieuse pour me mettre ce texte en bouche.

    Javier, est-ce de plus en plus facile pour vous de travailler en anglais ?

    J. B. : C'est plus facile qu'il y a quatre ou cinq, mais ce ne sera jamais comme en espagnol. C'est impossible. J'ai comme un manque d'expérience avec cette langue. C'est toujours difficile d'être à l'aise dans une langue étrangère, donc il faut beaucoup travailler. Ce qui est compliqué, c'est de se sentir libre, de prétendre à la justesse quand on apprend mot à mot, de manière assez statique. C'est assez contradictoire... Sur ce film, contrairement à Kelly qui a travaillé un accent, j'ai travaillé carrément une langue ! D'ailleurs, j'aime beaucoup la scène que nous avons en commun. Pourtant, je déteste voir à l'écran mon gros nez et mes cheveux. C'est entièrement Kelly qui a donné à cette scène sa tonalité, son rythme cette séquence qui est très représentative du film : des choses terribles se produisent, mais de manière très sourde, calme et menaçante.

    Au départ, vous étiez réticents à jouer dans un film si violent, mais en même temps vous aviez envie de travailler avec les Coen depuis longtemps. Comment avez-vous résolu cette équation ?

    J. B. : Je n'aime pas particulièrement la violence dans les films. Mais si la violence est là pour une raison précise, ou si elle permet d'expliquer quelque chose, ça va. Dans la plupart des films, la violence est totalement gratuite. Ce sont des films que je ne vais pas voir. Ce n'est pas que je sois un type très sensible, c'est juste que je ne comprends pas le sens de tout ça. Je n'étais pas familier avec l'univers de Cormac McCarthy, donc après avoir lu le scénario j'étais un peu perplexe. Et c'est en lisant le livre que j'ai vu la dimension philosophique de cette histoire, le discours qui existe derrière ces dialogues et ces actions. Ca m'a rassuré. Avec ce film, on raconte une histoire très violente, de façon très violente, car c'est une façon de mettre sur la table la question de la violence. Cela ouvre la discussion. C'est ce qui fait la différence entre ce film et un film violent ordinaire.

    K. MD. [SPOILER] : Au cinéma, la violence est souvent célébrée de façon complaisante. Pas là. Ce que j'adore, c'est que le personnage central se fait tuer, mais qu'on ne voit pas le meurtre. C'est très soudain, ce qui est assez proche de la réalité.

    Le paysage est un personnage à part entière, il nous en dit beaucoup sur les personnages. En tant qu'étrangers, quel effet a-t-il eu sur vous ?

    K. MD. : Je suis restée 10 semaines à New Mexico, mais je suis rentrée une semaine chez moi au milieu du tournage. J'avais le pire planning de tournage possible : je tournais un jour et puis j'avais une semaine de libre, puis deux jours de travail, puis une autre semaine de libre... C'était dur mais ça m'a permis de faire du tourisme. Ce coin ne ressemble à rien d'autre, c'est comme atterrir sur une autre planète. C'était rouge quand nous sommes arrivés, vert quand nous sommes partis, c'était très étrange. Je comprends pourquoi il y a tant d'histoires de gens qui ont vu des ovnis ici, et puis il y a toutes ces mystérieuses bases aériennes... C'est une région très énigmatique.

    J. B. : Je me suis senti un peu isolé. C'est comme ce que disait Kelly : j'arrivais ici, je devais tuer des gens, après j'allais dormir et j'avais six jours de libre... Quand vous vous retrouvez seul, face à des paysages aussi vastes, et avec cette coupe de cheveux ! Cet isolement était parfait pour moi en tant qu'acteur (ça correspondait bien au personnage) mais pas pour moi en tant que personne. Heureusement qu'il y avait Monsieur Brolin pour venir frapper à ma porte. Je me suis bien amusé avec lui, et ça m'a aidé.

    Recueilli par Nasheed Faruqi

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