
Mia Hansen-Love : Elisabeth Depardieu, qui s'occupe d'Emergence, avait vu mon premier court-métrage dans un festival. Elle m'a contactée et m'a proposé de déposer ma candidature. A vrai dire, au début, je n'étais pas
Combien de temps avez-vous travaillé avec Humbert Balsan ?
Pendant un an. Je l'ai rencontré début 2004. Mon scénario était en train de repasser à l'avance quand il est mort. J'étais avec Humbert quand j'ai eu la fondation GAN (nous avons dû passer un oral ensemble, je me souviens que cette idée l'avait rendu très nerveux !), et puis c'était aussi lui mon producteur quand j'ai lu le scénario à Angers, avec François Cluzet. A ma surprise, cet exercice de lecture m'a beaucoup plu, c'était en fait très utile. Ca m'a donné un nouveau regard sur le scénario, ça m'a incitée à le retravailler, en accélérant certains moments, surtout les didascalies, pour le rendre plus vivant. Mais de toute façon, j'ai tout le temps relu le scénario dans cette optique, y compris pendant le tournage.
Le scénario a-t-il beaucoup changé entre l'écriture et le tournage ?
Pas sur le fond, la structure n'a pas bougé, les scènes sont à peu près restées les mêmes, mais les dialogues ont un peu évolué. Le principal changement est la part donnée aux enfants, beaucoup plus essentielle que ce qui était initialement prévu. J'ai pris beaucoup de plaisir à travailler avec eux, du coup je suis arrivée à des moments qui n'existaient pas dans le scénario, comme ce plan fixe où Pamela, face à nous, mange ses Chocapic en regardant successivement ses deux parents qui essaient de se parler, de chaque côté de la table.
Un des plaisirs que procure le film vient de la découverte de nouveaux visages. Etait-ce difficile d'imposer des comédiens peu ou pas connus ?
Non, car mon producteur, David Thion (qui m'a contactée peu de temps après la mort d'Humbert), m'a laissé une totale liberté de choix. Une des choses qui fait du mal au cinéma français, pour moi, c'est qu'on y retrouve trop les mêmes visages, les mêmes acteurs d'un film à l'autre. Le choix des interprètes est souvent conventionnel, il y a peu d'innovation... Mais c'est aussi une question de caractère : le désir du cinéma est pour moi indissociable du désir de filmer des gens qui n'ont pas (encore) été beaucoup vus, ou pas vus du tout. J'éprouve le désir de chercher des gens qui d'une manière ou d'une autre sont un peu dans l'ombre et de les mettre dans la lumière. C'est aussi le besoin de repartir à zéro, en trouvant des acteurs qui ont une forme de virginité cinématographique.
Comment as-tu travaillé le style photographique du film ?
Le chef-opérateur Pascal Auffray, avait éclairé mes quatre courts- métrages. On se connaît donc très bien, c'est facile de se comprendre. On savait qu'on allait vers une lumière fine, naturelle, assez douce. On voulait quelque chose d'assez subtil, c'est-à-dire que ce ne soit ni trop cru ni trop sophistiqué. On a aussi essayé, tout en gardant un style homogène, de varier la lumière en fonction du découpage du récit en grands chapitres.
Pourquoi Vienne ?
Ce choix vient de mes origines autrichiennes... Quand on fait un premier film, il y a un petit côté "quête des origines"... J'avais envie de tourner en partie le film en allemand, avec des acteurs autrichiens, de rencontrer des coproducteurs autrichiens, etc. Cela voulait dire à la fois retrouver mes racines et aller vers l'inconnu, ce qui me plaisait.
L'idée du naturel rejoint la préoccupation de certains metteurs en scène dont tu cites parfois le travail, comme Rohmer, Bresson ou Doillon.
Peut-être. Mais il y a souvent un malentendu là-dessus. Pour moi, aimer et chercher le "naturel" ne veut pas dire être "naturaliste". Ce n'est pas imiter la vie dans ce qu'elle peut avoir de quotidien, ce n'est pas reproduire la banalité de la vie. Au contraire. Le cinéma que j'aime le plus me donne un sentiment de justesse, de vérité, dans la représentation du monde, tout en délivrant quelque chose d'essentiel. Le regard de ces cinéastes, c'est un regard vibrant sur le monde réel, sur les relations entre les êtres humains, qui nous révèle aussi la présence de l'invisible. Cela tient au jeu des acteurs, à la mise en scène, mais aussi à la densité de l'écriture... Les films qui me touchent le plus donnent un sentiment de clarté de regard, et, comme dans la peinture, c'est cette clarté même qui me donne accès à ce qu'il y a d'infini. En tout cas, le réalisme ne m'intéresse pas sans un rapport à l'invisible, aussi secret soit-il. Cette question est à mon sens celle de la fiction...
Ayant une expérience de comédienne, comment as-tu abordé la direction d'acteurs ?
Je n'avais pas vraiment de méthode prédéfinie. Mais je ne voulais pas répéter les scènes, comme pour une pièce de théâtre. En revanche, nous avons fait beaucoup de lectures, pour trouver la note juste. C'était avant tout pour que les acteurs aient en tête la même musique que moi. Cela me permettait aussi de remodeler les dialogues au fur et à mesure du travail avec les comédiens, de façon à ce que ce soit toujours évident pour eux. C'est parfois une toute petite correction qui fait la différence. Le fait d'être en accord avec le texte, que tout soit limpide, nous a permis d'être d'autant plus libres au tournage. Les dialogues étaient rigoureux, mais les acteurs pouvaient souvent improviser, à l'intérieur de ce cadre. Sinon, j'essayais dans certaines séquences de laisser du temps aux comédiens.
Il y a souvent deux pièges dans l'utilisation de la musique : être redondant par rapport à ce qui est filmé, ou alors le cas du réalisateur qui propose un peu le juke-box de ce qu'il aime... Tandis qu'ici, la musique apporte quelque chose de singulier.
Je vais beaucoup au cinéma et très souvent je suis gênée par la musique, y compris dans des films que j'aime. Elle sert souvent à souligner les intentions de la réalisation. Je n'aimerais pas montrer mes images à un compositeur, qui ferait ensuite des morceaux à partir de celles-ci. Pour moi, la musique ne doit pas être un commentaire. Le choix des chansons écossaises, irlandaises, sert à ouvrir des portes, et non à refermer le film sur lui-même. Par ailleurs, ce sont des chansons que j'associe au personnage, elles lui donnent une nouvelle couleur.
Est-ce qu'il y a des cinéastes français de ta génération dont tu te sens proche ?
Récemment, j'ai beaucoup aimé Charly d'Isild Le Besco. C'est un film singulier, qui a une vraie poésie et une vraie force, et puis c'est un film très libre, à tous points de vue, ce qui est rare. J'ai beaucoup aimé La France aussi, pour des raisons similaires même si le film n'a rien à voir. Sinon, certains amis, dont je me sens très proche aussi dans leur rapport au cinéma, commencent à faire des films et j'en attends beaucoup : Elie Wajeman et Ludovic Bergery, qui ont écrit leur premier long-métrage,
Pour ton second film, n'y aura-t-il pas la tentation de voir plus grand, et de prendre moins de risques aussi ?
Pour mon second long-métrage [Le Père de mes enfants, dont le tournage est prévu cet été, ndlr], je veux rester dans la même recherche, le film est un peu plus cher, mais on va rester dans une économie tout à fait modeste ! Non, je ne crois pas que je vais m'installer dans quelque chose de confortable, d'ailleurs cela ne m'attire pas. On avait un peu plus d'1 million pour faire Tout est pardonné. Pour le prochain, il en faudrait 2, surtout pour pouvoir le tourner en 35mm, pas en 16mm comme celui-ci, qui est devenu un format vraiment fragile, presque désuet maintenant (ça m'a coûté 4 mois de restauration !). Le film sera un peu plus long, avec un peu plus de décors, mais il sera fait dans le même esprit que le premier.
Propos recueillis le 27 novembre 2007 par Mikael Gaudin Lech et Julien Dokhan
Remerciements à Florence / Stardust Memories