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    Zoom sur... Ezra Miller

    Le terrifiant Kevin, dans "We need to talk about Kevin", c'est lui : Ezra Miller, 18 ans. AlloCiné vous propose de faire connaissance avec un comédien américain très prometteur. Portrait.

    Ayons d’abord une pensée pour notre cameraman. Face à un gus pareil, qui ne tient pas en place, notre cadreur n’a pas eu la partie facile. En interview, Ezra Miller se tortille sur son siège, se rapproche de son interlocuteur, fait de grands gestes. Il est constamment attentif, hyper-présent, et en même temps, s’il s’envolait, là, sous nos yeux, ça ne nous étonnerait pas plus que ça. Et on ne dit pas cela à cause de la plume qui orne son chapeau noir. Interrogé sur ses admirations, il cite d’abord Buster Keaton, référence peu commune pour un jeune homme de 18 ans. Mais le garçon est peu commun. Car sur son chapeau, il n’y a pas seulement une plume mais aussi une carte à jouer, un sept de pique. A-t-il tiré la bionne pioche en naissant à la fin du XXe siècle ? Avec son visage très expressif et son goût pour la démesure, on l’aurait bien vu acteur à l’époque du muet.

    Ezra Miller répond à notre questionnaire jeune acteur (mai 2011)

    "Avec ou sans dialogues, le travail est le même pour un acteur. Car quand on parle, on essaie toujours de véhiculer un sous-texte", analyse-t-il. Epris d'Edgar Poe, féru de science, Ezra Miller n’a donc pas forcément besoin des mots, mais il sait les manier. Issu d’une famille cultivée, il a grandi dans le fin fond du New Jersey, petit dernier arrivé après 2 sœurs, d’un père DG de la maison d’édition Hyperion (branche adulte de l’Empire Disney) et d’une mère danseuse moderne. Voilà comment un gamin de 6 ans se retrouve à l’affiche d’un opéra contemporain de Philip Glass, White raven. Solitaire et curieux, mais pas franchement heureux à l’école (bord cadre, toujours), il chante ensuite avec le Metropolitan Opera, avant de se tourner vers la comédie. L’art lyrique restera une de ses grandes passions : pour le rôle de Kevin, l’ado ravagé de We Need to Talk About Kevin (en salles cette semaine), il s’est inspiré des "intrigues grandioses et des défilés militaires de Guerre et paix" de Prokofiev. Mais il peut aussi être raccord avec sa génération, la preuve : il chante et joue de la batterie au sein d’un groupe folk baptisé Sons of illustrious father (à écouter ici-même).

    La bande-annonce de "We need to talk about Kevin"

    Father, Mother, son : voilà la grande affaire de Ezra Miller, dans son précoce parcours d’artiste en tout cas. Une demi-douzaine de films au compteur, et presque autant de portraits de famille dysfonctionnels et de fils tourmentés -jusqu'au film de Lynne Ramsay pour lequel on le rencontre. Gay en plein coming out (Every Day, avec Liev Schreiber en père inquiet), junkie dans une comédie vue cette année à Sundance et Deauville, Another Happy Day (avec Ellen Barkin en mère dépassée), obsédé par les femmes obèses (City Island), il a été repéré dès son premier film, Afterschool présenté à Cannes en 2008. Il y incarnait Robert, un ado accro au web en général, aux videos amateur en particulier, si possible pornos ou violentes -l’histoire vire au tragique quand le héros assiste à l’overdose de deux de ses camarades. Miller ne cessera de s’attacher à des individus en marge, borderline, en plaidant la nécessaire compassion. "Ca manque dans notre société. La vraie compassion, pas celle qui s’applique seulement aux plus faibles. Il faut aussi être capable de compassion envers les gens perturbés, dérangés au point de commettre des actes odieux. Ce ne sont pas des monstres, mais des êtres humains."

    Afterschool

    Ezra Miller s’est trouvé un modèle, dans le genre madone des freaks, en la personne de Tilda Swinton, sa mère/partenaire/adversaire dans We Need to Talk About Kevin, avec qui il partage une certaine androgynie. A peine a-t-on prononcé le nom de cette dernière qu’il nous interrompt : "Tilda Swinton est une sorcière !". On devine, à son sourire, que la sorcière l’a enchanté. Inspiré par le livre homonyme de Lionel Shriver, We Need... troisième long métrage de l’Ecossaise Lynne Ramsay, raconte, à l'aide de flashbacks, les étapes qui ont pu conduire Kevin, un gosse mutique et agressif, à commettre un crime effroyable –le personnage central du film étant la mère de Kevin. "Une relation affreuse entre une mère et son enfant, ça reste un des derniers tabous auxquels on ne veut pas toucher", juge le comédien. "Ca suscite le dégoût, mais en même temps ça me semble profondément important. Eduquer un enfant est une tâche tellement complexe et délicate. Les sujets de conflits entre parents et enfants sont innombrables. On en a tous l’expérience, à des degrés divers." Si Tilda Swinton est passée à un cheveu du prix d’interprétation à Cannes, la prestation d’Ezra Miller, avec son regard de détraqué qui vous glace d’effroi, a été également saluée. Le rôle le plus difficile de sa jeune carrière, ce Kevin "férocement intelligent, hyper-conscient de tout ce qui se passe autour de lui" ? Sans doute. "Le jour, j’étais un assassin. La nuit, je faisais des cauchemars affreux. Mais entre les deux, après le tournage, je me débarrassais de tout ça. Ca me paraît essentiel quand on tourne un film pareil, sinon on devient fou."

    Le litchee et l'oeil de verre : un extrait de We need to talk about Kevin

    Sur la Croisette, il a retrouvé son réalisateur d'Afterschool Antonio Campos, venu comme producteur de Martha Marcy May Marlene de Sean Durkin. Habitué du Festival de Tribeca, Miller baigne depuis toujours dans le milieu du cinéma indépendant. Suivra-t-il l’exemple de l’eclectique Swinton, passée de l’univers arty de Derek Jarman au Monde mainstream de Narnia ? Vu il y a quelques années dans la série Californication, face à David Duchovny, il semble vouloir garder ses distances avec le royaume de l’entertainment. "Mon souhait en tant qu’artiste, c’est de me tenir le plus loin possible de l’industrie. Il faut qu’on puisse raconter les histoires qu’on a envie de raconter. On en a tous marre de faire ces conneries, de bosser pour le fric. Il faut qu’on se débarrasse de ce genre de contrainte, sinon on va en crever !"  Puis, craignant de paraitre grandiloquent, du haut de ses 18 ans, il ajoute : "Ce n’est que mon point de vue."

    Julien Dokhan

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