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    "Dead man talking" : rencontre avec Patrick Ridremont et François Berléand

    Dans "Dead man talking", un condamné à mort parle pour retarder l'heure de son exécution... L'acteur-réalisateur belge Patrick Ridremont et François Berléand évoquent cette comédie noire au micro d'AlloCiné.

    Patrick Ridremont et François Berléand © Guillaume Dessaily/AlloCiné

    AlloCiné : L’esthétique de "Dead Man Talking" est assez proche de l’esthétique du conte et de la fable, mais le film est malgré tout très actuel. Le but était-il d’obtenir un film atemporel ?

    Patrick Ridremont: L’esthétique est due à une volonté de délocaliser le film au niveau temporel et géographique. On ne sait pas si ça se passe en France, en Belgique ou aux Etats-Unis. Je ne voulais pas qu’en voyant ça – puisqu’on parle de peine de mort – les gens se demandent dans quel Etat ça se passe. Ça ne se passe nulle part, ça se passe au cinéma. C’est la grande chance qu’on a quand on vient du théâtre : on n’a pas peur de réinventer les temps et les lieux. Une scène de théâtre, ça ne ressemble à rien en général, on fait ce qu’on veut. Pour y arriver, on a plusieurs manières de réinventer le « il était une fois » : soit on fait un livre dont on ouvre la première page, on zoome dans la page et on est sur la première scène, soit on trouve d’autres artifices cinématographiques, en l’occurrence truander très fort l’image. Le film commence par des personnages qui vous regardent dans le blanc des yeux, on se demande ce qu’ils font, et on prend un quart d’heure à mettre une certaine distance entre le spectateur et un environnement carcéral, de peine de mort. On sent qu’on est dans un conte, et on ne se demande pas pourquoi le premier personnage à parler – Christian Marin – parle en Français.

    La lumière qui éclaire ce conte est très travaillée…

    François Berléand : C’est un Flamand qui a fait la lumière (le directeur de la photo Danny Elsen, ndlr)…

    P.R. : Il y a un côté très « bruegelien », même si Bruegel n’était pas flamand mais hollandais je crois.

    F.B. : Il y a un côté un peu flamand quand même…

    Un peu « rembrandtien » aussi ?

    P.R. : Oui, c’est vrai qu’il y a du Rembrandt, il y a du Vermeer aussi… Mais Danny Elsen et moi, lorsque nous travaillions sur les lumières, on ne travaillait pas sur des visages d’autres films mais sur des bouquins avec des tableaux, et beaucoup de William Turner, des ciels orangés…

    Le côté très actuel se retrouve peut-être surtout dans le regard porté sur les médias, et l’importance de l’image ?

    P.R. : Souvent, on me demande si je veux dénoncer les politiques, dénoncer la télé-réalité : pas du tout. Si j’ai besoin que l’un de mes personnages meure d’un un accident de la route, je le ferai mourir en voiture. Mais ce n’est pas une satire ou un coup de gueule contre les chauffards. J’en ai besoin. Ce sont des ressorts scénaristiques.

    C’est un film sur le pouvoir de la parole, et, au fond, très existentialiste. Qu’est-ce qui vous a donné envie, Patrick, de faire ce film ? Et qu’est-ce qui vous a donné envie à vous, François, de le rejoindre ?

    F.B. : A mon tour de parler, car il a dépassé son temps de parole ! Mais bon, c’est le film, il n’arrête pas de parler, tout ça pour échapper à la mort, car il sait que dès qu’il arrête, je vais le tuer ! (rires) Moi, ce qui m’a plu, effectivement, ce sont les dialogues. Passée la médiocrité du scénario en lui-même, sur la peine de mort, qui n’intéresse personne – puisqu’on sait que la peine de mort a été abolie, en France comme en Belgique, il y a plus de quarante ans, et donc tout cela n’a aucun intérêt – je lis le scénario, et je vois que les personnages sont extraordinaires à jouer. Ce dont on a besoin, nous, les acteurs, c’est d’une partition. Or, c’est ce qui disparaît de plus en plus dans le cinéma français : de bons dialogues qui permettent d’être bon acteur.

    François Berléand © Guillaume Dessailly/AlloCiné

    Les seconds rôles sont parfois presque caricaturaux par certains aspects, est-ce voulu ?

    P.R. :C’est vrai qu’il n’y a aucun hasard. Pas de compromis – sur la très grande méchanceté du directeur, la très grande connerie du gouverneur –, chacun va très loin. Et je compte sur le talent des comédiens pour mettre un peu de finesse dans tout cela. La grossièreté de ce directeur de prison est affinée, comme un bon fromage, par le talent de François. Et avec tous ces personnages, je vais très loin. Pas dans la caricature, mais dans l’archétype. Ce sont des lignes claires, du costume aux dialogues.  La distance qui sépare l’émotion du ridicule n’est pas très large, il faut flirter avec cette barrière sinon vous n’allez nulle part. Il faut ne pas avoir peur d’aller très loin. De temps en temps, on met le pied de l’autre côté, mais on s’en rend compte après dans les rushes.

    Votre personnage, François, est très emblématique de cette ambivalence. C’est un type de personnage que vous avez déjà touché du doigt, dans "L’Ivresse du pouvoir", ou même "Les Choristes", un personnage assez sombre mais qui apporte le décalage nécessaire à l’humanisation du personnage.

    F.B. : Ah, oui ! Et c’est le seul personnage véritablement humain de tout le film, avec Denis (le gardien de prison, ndlr). Il n’est pas cynique pour être cynique, mais parce qu’il a quelque chose à faire le plus rapidement possible : il doit gérer une peine de mort. A un moment donné, il se retrouve confronté à l’abruti numéro 1 qui est le gouverneur et il lui dit « vous croyez que c’est marrant de faire ce métier, vous croyez quoi ? » et on retrouve quelqu’un de tout à fait normal. Il me semble que l’identification du spectateur se fait avec ce personnage.

    P.R. : Pour beaucoup de gens, le passage le plus touchant, excepté la fin, est le passage où le père est incapable de prendre sa fille dans ses bras, et où l’enfant vient faire l’éducation de son parent : « puisque tu n’arrives pas à me dire je t’aime, je vais le faire moi ». Il y a une grosse charge émotive autour du rapport entre la fille et le père. C’est aussi un film sur les parents, quand même.

    F.B. : C’est étonnant car ton personnage est quand même une pourriture. Mais cette crapule fait prendre conscience aux autres de ce qu’ils sont. Il a une espèce d’effet miroir formidable sur les gens.

    Vous parliez de la ligne très claire de "Dead man talking". On a le sentiment d’assister à la rencontre entre un film des frères Coen, "Les Mille et Une Nuits", et "La Ligne Verte". Quelles ont été vos influences ?

    P.R.: Concernant la ligne claire et La Ligne verte : les quelques points communs sont d’abord l’univers carcéral, et puis il y a dans ce film quelque chose qui me plait bien, c’est-à-dire que ne se montrent à l’écran que les personnages et les éléments – les accessoires et les décors – dont on va avoir besoin pour raconter l’histoire. Il y a, souvenez-vous, dans cet espèce d’intérieur, six ou huit cellules habitées chacune par un personnage. Il n’y a pas de cellule vide, il n’y a pas douze cellules remplies de figurants qui font juste du bruit sur les barreaux. C’est le point commun qu’il pourrait y avoir entre "La Ligne verte" et mon film. N’est à l’écran que ce dont on a besoin. Je ne veux pas faire de « citationnisme » mais, Anton Tchekhov disait que s’il y avait un fusil sur scène, il fallait qu’il tire.

    F.B. : Dans Le Pont de la rivière Kwai, à un moment donné, on a le train qui passe.

    P.R. : Et à quoi ça servait ?

    F.B. : On faisait sauter le pont.

    P.R. : Donc c’était important que le train passe ! Faire sauter un pont sur lequel personne ne passe, on s’en fout ! Et vous m’avez parlé des frères Coen. Je ne suis pas sûr que ce soit tellement dans le côté esthétique, mais peut-être plus dans le côté…

    …Humour noir ?

    P.R. : Oui, humour noir. Et les comédiens ne font pas de blagues, ils sont des blagues ! Brad Pitt, juste avant de prendre une balle dans la tête (dans Burn After Reading, ndlr), il me fait rire. Et quand il tombe par terre, il me fait quand même rire. C’est joué avec sincérité. J’ai peut-être de commun avec les frères Coen cette cruauté dans l’humour. On rit beaucoup sur les références à la mort dans "Dead Man Talking". C’est drôle la mort, quand ça ne vous touche pas. Quelle belle phrase ! (rires)

    Patrick Ridremont © Guillaume Dessaily/AlloCiné

    Patrick, c’est votre premier film en tant que réalisateur, mais vous avez déjà une expérience d'auteur. Vous êtes d'ailleurs très connu en Belgique...

    P.R. : Oui, ce n’est pas ma première histoire, ce ne sont pas mes premiers dialogues. Sur la célébrité, disons que je suis très connu dans la partie Sud de la Belgique, qui n’a que 3 millions d’habitants, dont certains n’ont pas la télé… Et parfois il m’arrive que la fourrière enlève ma voiture dans ma rue, car je ne suis pas très connu dans ma rue non plus, donc c’est très relatif ! En revanche, j’écris des histoires, et certaines des histoires que j’ai écrites sont connues. J’ai écrit un one woman show pour Virginie Hocq, par exemple, et 400 capsules humoristiques pour Canal +. L’écriture est ce que j’aime par-dessus tout. En revanche, réaliser un film, je savais que ce n’était pas mon métier. Il suffit de le prendre avec un peu d’humilité, et de se rendre compte que le chef opérateur en sait beaucoup plus que moi sur la lumière – qu’il en sait même beaucoup plus que Steven Spielberg sur la lumière. Les seules personnes, étonnamment, que je dois diriger le plus sur un plateau de tournage, ce sont les acteurs. Ce sont eux qui ont envie de changer le texte, c’est la partie la plus compliquée.

    F.B. : Et moi aussi d’ailleurs.

    P.R. : Oui je t’ai dirigé aussi.

    F.B. : Et moi je t’ai dirigé aussi !

    P.R. : Oui c’est vrai !

    F.B. : Ce qui se passe en Belgique, c’est que tout le monde a son mot à dire. J’étais très étonné de ça. On voyait à chaque fois sur le combo ce qui se passait, et là, n’importe quelle personne qui travaillait sur le film, de l’accessoiriste au stagiaire, pouvait dire ce qu’elle pensait. Ça, ça n’existe pas en France ! Un vrai travail d’équipe !

    P.R. : Cela s’appelle l’investissement ! Ce sont les mêmes personnes que celles qui, au bar, vous font découvrir des cocktails ! Il n’y a jamais de masques, et on est ensemble, c’est la Belgique ! Il n’y a qu’avec les Flamands qu’on ne s’entend pas !

    Que va-t-il se passer pour vous dans les mois à venir ?

    P.R. : Personnellement, je suis toujours dans "Dead Man Talking", je n’arrive pas à en sortir. Le cordon ombilical n’est pas encore tranché. Pour écrire un film, il faut être inspiré par l’écriture et là, je peux ne peux écrire que deux lignes par jour et ça ne sert à rien. Donc pour l’instant… rien !

    F.B. : En même temps c’est un peu faux car je lui ai fait une commande : je voudrais jouer un homme qui tue des Japonais, parce qu’on ne tue pas assez de Japonais. Les Japonais ont tué beaucoup de gens pendant la guerre, et je trouve qu’il serait temps de leur rendre la pareille ! (rires)

    P.R. : François avait un téléphone et il n’arrêtait pas de jouer à un jeu où il dégommait des Japonais, par avion. Et il a dit un jour : « il faut que tu m’écrives un scénario où je tue des Japonais ». (rires)

    Propos recueillis à Paris le 19 mars 2013 par Léa Bodin

    VIDEO : la bande-annonce de "Dead man talking"

    Dead Man Talking

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