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    "A la vie ne sacralise pas les morts de la Shoah mais la vie après la Shoah"
    Laetitia Ratane
    Laetitia Ratane
    -Responsable éditoriale des rubriques Télé, Infotainment et Streaming
    Très tôt fascinée par le grand écran et très vite accro au petit, Laetitia grandit aux côtés des héros ciné-séries culte des années 80-90. Elle nourrit son goût des autres au contact des génies du drame psychologique, des pépites du cinéma français et... des journalistes passionnés qu’elle encadre.

    Histoire des retrouvailles de trois amies rescapées d'Auschwitz, "A la vie" s'inspire du vécu de la mère du cinéaste Jean-Jacques Zilbermann. Rencontre...

    Elzevir Films / France 3 Cinema

    Allociné : A la vie est un film très intime, puisqu'il évoque l'histoire de votre mère, ancienne déportée d'Auschwitz. Racontez-nous le trajet de cette oeuvre, de votre vécu d'enfant à votre désir de cinéaste...

    Jean-Jacques Zilbermann : Mon père et ma mère ont tous deux été déportés, j'ai donc grandi dans cette ambiance depuis mon enfance. On habitait dans le 12e arrondissement, dans un appartement de 40 m2. Mon père était traumatisé et ne parlait pas de la déportation. Ma mère était militante, elle en parlait tout le temps. Dès l'âge de 10 ans, j'ai compris, à travers les photos que je voyais partout dans l'appartement. Des photos de déportés en noir et blanc qu'à l'époque, dans les années 60-70, on ne voyait plus, parce qu'il y avait alors un long silence à ce sujet.

    Il s'agissait d'une certaine façon de mon regard d'enfant sur mes parents mais je ne me sentais pas assez mûr pour écrire une histoire pareille.

    J'ai porté cette histoire de la déportation et j'ai cherché pendant presque toute ma vie comment la raconter. Il s'agissait d'une certaine façon de mon regard d'enfant sur mes parents mais je ne me sentais pas assez mûr pour écrire une histoire pareille. Je savais néanmoins que l'histoire emblématique serait celle de ces femmes. Ma mère avait deux amies de déportation. Enfant, je les voyais sans trop comprendre quel était leur lien. C'est en grandissant que j'ai compris qu'il s'agissait d'une amitié extrêmement profonde. Elles partaient tous les ans une semaine en vacances et avec le temps, se voyaient de plus en plus.

    Lorsque ma mère est décédée, j'ai eu envie de continuer à être un peu avec elles qui n'étaient plus là. Ce qui m'avait marqué, c'était de les voir souvent en maillot de bain...

    Lorsque ma mère est décédée, j'ai eu envie de continuer à être un peu avec elles qui n'étaient plus là. C'est là que j'ai voulu commencer à raconter l'histoire de leur sororité. En 1997, j'étais descendu les voir au bord de la mer. Je les avais filmées pendant quatre heures. Un film qui est devenu un film de famille et dont j'ai mis quelques images à la fin du film. Je me suis mise à écrire cette histoire en me demandant comment la raconter. Ce qui m'a frappé, c'est que lorsque je les avais filmées, elles étaient en maillot de bain. Je les avais beaucoup vues ainsi d'ailleurs. C'était ce qui m'avait le plus marqué et à l'époque, je n'arrivais pas à imaginer que ces femmes si jeunes avaient vécu Auschwitz. Mon cheminement a été celui-là.

    Elzevir Films / France 3 Cinema

    La question de la Vérité a certainement dû être prépondérante à chaque étape de votre film. Vérité du vécu et du ressenti intimes, vérité des camps... Qu'est-ce qui a été le plus difficile à restituer? Qu'est-ce qu'il vous était essentiel de dire, d'exprimer à travers ce film?

    Ce qui a été compliqué tout d'abord, c'est que je n'avais pas envie de me replonger dans tous les livres sur la déportation mais je l'ai fait. Je voulais que tous les détails, tous les témoignages soient justes. Quand ma mère est décédée, on a vidé l'appartement. Il y avait tous ses livres... Elle m'a laissée un héritage énorme pour écrire ce film-là. Avec ma co-scénariste, on a puisé là-dedans. J'ai l'impression qu'elle était là et écrivait avec nous. La petite chanson qu'elle fredonnait en colonie de vacances à Berck m'a presque donné l'endroit où je devais tourner le film.

    Je sentais que c'était un film à responsabilité grave, et non à responsabilité limitée comme l'étaient mes autres films...

    Je sentais que c'était un film à responsabilité grave, et non à responsabilité limitée comme dans mes autres films où j'avais le droit de dire ce que je voulais ou d'être imprécis. Là il fallait que ce soit juste, vraiment. Tous les témoignages sur la déportation sont vrais, mais ils sont mêlés dans le film. Mon père n'est par exemple qu'une partie du personnage d'Henri (Hippolyte Girardot). Heureusement pour moi, sinon  spoiler: je serais un enfant du Club Mickey ! L'histoire de la castration à Auschwitz venait d'un autre témoignage de déporté. Il ne s'agissait pas de raconter une histoire d'amour sulfureuse, une tromperie amoureuse à Berck dans les années 60. Je voulais toujours raconter en creux la déportation et ici l'impuissance d'un homme, la barbarie nazie, leurs expérimentations.

    Ce n'était pas un devoir de mémoire dans mon esprit mais c'était vraiment lié à la peine que j'avais qu'elle ne soit plus là. Ce n'était pas un film qui sanctifiait ou sacralisait les morts de la Shoah mais qui sacralisait la vie.

    Ce n'était pas un devoir de mémoire dans mon esprit mais c'était vraiment lié à la peine que j'avais qu'elle ne soit plus là. Il y a un message implicite, ce n'est pas un film didactique. Je n'ai pas cherché à démontrer quoi que ce soit. Ce que j'ai vu, c'est la manière dont ces femmes survivaient à tout cela. Ce n'était pas un film qui sanctifiait ou sacralisait les morts de la Shoah dans mon esprit mais qui sacralisait la vie. Jamais on ne raconte cela. On raconte l'avant-guerre, la déportation mais pas la façon de se réinstaller dans la vie, dans un monde en pleine mutation, ici les années 60, un monde qui avait changé. Elles avaient eu 20 ans à Auschwitz et elles voyaient arriver le rock'n roll, le twist. Il fallait qu'elles rentrent dans un autre monde à une époque où le silence était très très grand, où on n'en parlait pas.

    Elzevir Films / France 3 Cinema

    Choisir vos actrices, c'était choisir votre famille, "vos trois mamans", comme vous dites. Comment avez-vous procédé et comment avez-vous travaillé à les faire exister?

    Le plus difficile a été de les diriger en même temps ! Elles sont souvent d'un même plan, or elles ont chacune leur école de cinéma et de théâtre. J'ai choisi des actrices correspondant aux nationalités de ma mère et de ses amies. J'avais vu Suzanne Clément dans Laurence Anyways et avais demandé à la fille de Rose ce qu'elle en pensait. Elle m'a répondu qu'elle était très connue au Canada, où elle a une série télé très célèbre (Les hauts et les bas de Sophie Paquin). De même pour la fille de Lili avec Johanna ter Steege, reine du théâtre hollandais. Elle la connaissait en tant que spectatrice, donc on l'a rencontrée ensemble.

    C'est avec les enfants des femmes dont je racontais la vie que j'ai choisi le casting féminin...

    C'est avec les enfants des femmes dont je racontais la vie que j'ai choisi le casting féminin. Elles jouaient le rôle de leur mère, je voulais qu'elles sentent que c'était possible. J'ai pensé à faire lire aux actrices des livres sur la déportation, mais c'est très pénible. Tout le monde n'est pas prêt à entrer là-dedans, c'est très douloureux. J'ai donc commencé par le yiddish, leur demandant d'apprendre à chanter. Je me souviens que sur L'homme est une femme comme les autres, Catherine Hiegel et Maurice Benichou avaient une scène entièrement en yiddish et Catherine m'avait dit que c'était plus dur à apprendre qu'une tragédie de Racine. Notamment avec les accents toniques sur les mots et la prononciation. C'est ainsi, par le chant, que j'ai répondu peu à peu à toutes les questions qu'elles se posaient sur la déportation de ces femmes que je connaissais si bien...

    Propos recueillis le 17 Novembre 2014.

    La bande-annonce de "A la vie"

     

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