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    Experimenter : "Il est difficile d'être original dans sa façon de penser" selon le réalisateur
    Maximilien Pierrette
    Journaliste cinéma - Tombé dans le cinéma quand il était petit, et devenu accro aux séries, fait ses propres cascades et navigue entre époques et genres, de la SF à la comédie (musicale ou non) en passant par le fantastique et l’animation. Il décortique aussi l’actu geek et héroïque dans FanZone.

    De passage au dernier Festival de Deauville, où le long métrage était présenté hors-Compétition, Michael Almereyda est revenu sur "Experimenter", dans lequel il met en scène les célèbres expériences de Stanley Milgram.

    Peu de gens connaissent son nom, mais ses expériences sur la question de la soumission à l'autorité parlent à beaucoup de personnes : avec Experimenter, la vie de Stanley Milgram est transposée sur grand écran, avec Peter Sarsgaard devant et Michael Almereyda derrière la caméra. Réalisateur du Hamlet avec Ethan Hawke ou de plusieurs documentaires, il est revenu sur nouveau film lors de son passage au dernier Festival de Deauville.

    AlloCiné : Qu'est-ce qui vous a conduit vers un film sur les expériences de Stanley Milgram ?

    Michael Almereyda : J'ai lu l'un de ses livres, que j'ai trouvé très convaincant, avec des transcriptions et des photographies de ses expériences sur l'obéissance. Il m'a paru très cinématographique, comme si David Mamet [scénariste des Incorruptibles ou de Malcolm X, ndlr] en avait écrit les dialogues. J'ai pensé qu'il y avait là matière à un bon film mais et, plus je lisais de choses à propos de lui, plus je me rendais compte de la profondeur de ses travaux. Il a réalisé plus d'expériences, si bien que l'échelle de sa vie et de sa pensée excédaient mes attentes. Plus j'en apprenais, plus j'étais enthousiaste et plus j'avais envie d'en inclure dans le film.

    En sachant que vous avez également réalisé des documentaires, avez-vous songé à ce que "Experimenter" en soit un ?

    Beaucoup de personnes me posent cette question, et c'est normal. Mais mes documentaires se focalisent sur des personnes vivantes car je les envisage comme des enregistrements de leurs personnalités respectives. C'est ainsi que j'ai filmé William Agostino, qui est un grand photographe, ou Sam Shepard, lorsqu'il répétait un pièce. Et c'est le fait qu'ils soient en vie qui m'avait attiré à l'époque. Milgram ne l'était pas, donc je ne pensais pas pouvoir accéder au même genre de choses. Et il me semblait plus puissant de travailler avec des acteurs pour donner vie au sujet sous forme de fiction.

    L'échelle de sa pensée et de sa vie excédaient mes attentes

    Avez-vous rencontré des proches de Stanley Milgram comme sa femme, pour faire vos recherches et mettre en scène les passages plus intimistes ?

    J'ai rencontré son épouse assez tôt et elle est devenue la clé de toute l'histoire car j'avais la permission d'utiliser et d'inclure les écrits et films de Stanley. Elle a partagé ses souvenirs avec moi, ainsi que des photographies, et elle a fini par devenir une amie. Le film s'est vraiment construit grâce à cette connection.

    A-t-elle participé au casting et au choix de Winona Ryder pour l'interpréter ?

    Non. Mais quand j'ai choisi Winona, elle est allée lui rendre visite avec Peter [Sarsgaard], et ils ont passé un après-midi entier à parler avec elle. C'était très important pour eux, et ils ont passé un bon moment.

    En quoi Peter Sarsgaard était-il parfait à vos yeux pour incarner Stanley ?

    C'est son agent qui a lu le scénario et qui me l'a recommandé. Je le connaissais mais je n'avais pas pensé à lui, car il ne lui ressemble pas vraiment. D'un autre côté, personne ne se souvient vraiment de ce à quoi il ressemblait, donc ça n'est pas grave, surtout que Peter s'est vraiment imprégné de l'histoire et du personnage, avec l'intelligence, le charme et le mystère nécessaires. Il y a une étincelle dans son regard qui fait qu'on ne sait pas comment lire en lui, et cette espèce de détachement qui reste cohérent. Il fait preuve de beaucoup de polyvalence mais possède toujours cette qualité, ce mystère. C'est ce qui m'a plu et j'ai senti que cela pourrait marcher.

    Guignebourg / Borde / Bestimage

    "Experimenter" est un film court, ce qui est rare lorsque l'on raconte la vie d'une personne ayant existé. Avez-vous eu des difficultés à choisi quels passages du livre garder ?

    Je me suis focalisé sur douze années, pas sur l'intégralité de sa vie, donc mon approche était très sélective dès le départ. Et presque tout, dans le film, provient des enregistrements. Je n'ai pas eu à inventer grand chose. Je considère moins Experimenter comme un biopic que comme un condensé.

    A quel moment vous est venue l'idée de faire parler Stanley Milgram face caméra ?

    Dès le début : après avoir lu ses livres, j'ai regardé les six films qu'il a réalisés, et il s'adressait à la caméra dans bon nombre d'entre eux. Je n'ai donc fait que copier ce que lui avait fait auparavant, mais cela me semblait organique et naturel d'inclure cet aspect.

    Difficile d'être original dans sa façon de penser

    En tant que réalisateur, vous avez plus d'une fois adapté des livres sur grand écran, qu'il s'agisse de ce film ou de "Hamlet". Vous sentez-vous plus à l'aise en bénéficiant d'une telle base sur laquelle travailler ?

    Pas forcément plus à l'aise. Mais il y a beaucoup de grands écrivains et, quand je lis quelque chose qui me plaît, j'aime avoir la possibilité de l'adapter si cela n'a pas déjà été fait. Shakespeare est super à adapter, et à chaque fois que j'ai transposé une oeuvre qui m'avait plu, j'ai cherché à lui donner un équivalent cinématographique. Mais j'ai aussi quelques scénarios originaux qu'il est difficile de faire financer. J'espère toujours pouvoir les réaliser et je pense que ça n'est qu'une question de temps. Ceci étant dit, Experimenter est un scénario original, même s'il se base sur des faits et des expériences.

    Pensez-vous, comme Stanley, que les gens sont "des marionnettes avec une conscience" ?

    Il l'a écrit et j'ai tendance à être d'accord avec lui, et ce ne sont pas les preuves qui manquent, à tel point qu'il est difficile de ne pas tirer cette conclusion. Je me compte dedans, mais nous ne passons que la moitié de notre temps éveillés, et nous faisons les choses par habitude, en suivant une coutume ou en faisant preuve d'une foi aveugle en ce que nous pensons devoir faire. Il est ainsi difficile d'être original dans sa façon de penser ou dans sa vie, de se libérer des attentes ou des conventions. Milgram a tenté d'y résister et ça peut être aussi stimulant que désastreux quand on essaye comme lui.

    Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Deauville le 7 septembre 2015

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