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    Les Proies - Sofia Coppola : "C'est plus effrayant d'imaginer ce qui a pu se passer"

    A l'occasion de la sortie des "Proies" ce mercredi au cinéma, on a rencontré Sofia Coppola. On a parlé remake et Prix de la mise en scène avec la cinéaste, mais aussi de sa relation avec Kirsten Dunst et des enseignements de son père. Entre autres.

    AlloCiné : Au début, vous ne vouliez pas réaliser Les Proies. Qu'est-ce qui vous a fait changer d'avis ?

    Sofia Coppola : La première fois que j'ai entendu parler de The Beguiled, c'était en voyant le film de Don Siegel de 1971, il y a quelques années. Mon amie Anne [Ross], qui est la chef décoratrice du film, m'a dit : « Tu devrais en faire un remake. » Je pensais que je ne ferais jamais de remake, mais quand je l'ai vu j'ai compris pourquoi elle l'avait suggéré. Ca m'a rappelé mon premier film, Virgin Suicides, il y a des choses en commun. Cette histoire d'un groupe de femmes isolées pendant la guerre, mais surtout d'un groupe de femmes entre 12 ans et presque 50 ans, me restait en tête, j'y repensais beaucoup. Le film original était fait du point de vue du personnage masculin et je me suis dit que je pouvais faire un autre film, qui raconte la même histoire, mais du point de vue des personnages féminins. C'était donc intéressant pour moi de l'aborder différemment, de revenir au roman et d'oublier le film pour adapter le livre selon mes désirs.

    Vous avez choisi de rester très sobre, plus que dans vos autres films. Pourquoi ?

    Selon moi, un des éléments sur lesquels repose l'histoire, c'est la tension, donc l'ambiance devait être très austère. C'est la guerre, elles sont isolées et je voulais vraiment qu'on ressente les choses comme elles, qu'on entende les bruits de la nature, les canons à distance… L'idée était que l'atmosphère minimaliste rehausse le récit. 

    Que représente ce Prix de la mise en scène, remporté à Cannes avec Les Proies, à ce moment de votre carrière ?

    C'est très touchant d'être reconnue comme ça, particulièrement à Cannes, un festival avec une telle histoire. J'étais très surprise qu'aucune femme n'ait gagné ce prix depuis les années 1960 [Yuliya Solntseva en 1961 pour Récit des années de feu, qui était jusqu'alors la seule femme à avoir remporté le Prix de la mise en scène au Festival de Cannes]. J'ai trouvé ça assez triste et étonnant, mais je suis très honorée.

    2017 Focus Features LLC. All Rights Reserved. / Ben Rothstein

    [ATTENTION, LA QUESTION SUIVANTE CONTIENT DES SPOILERS]

    spoiler: Vous avez fait le pari assez courageux de ne pas inclure dans le film l'une des scènes centrales du film de Don Siegel, qui est la scène de l'amputation. Pourquoi ce choix ?

    spoiler: Ce que j'aime beaucoup dans cette histoire, c'est qu'elle prend un tour très inattendu. Il y a effectivement une scène plus gore dans le film de Don Siegel. Je pense que c'est plus effrayant d'imaginer ce qui a pu se passer, de le suggérer et qu'on se demande si ça va aussi loin pour le découvrir seulement dans la séquence suivante. Le film de Don Siegel est très marqué par le style des années 70, c'est un classique du genre, mais il s'inscrit davantage dans la veine des films d'exploitation, des séries B de l'époque. Il comporte aussi plus de flash-back de la guerre et l'approche est très différente.  

    La solitude des individus – parfois au sein d'un groupe – est un motif récurrent de votre cinéma. Est-ce que vous êtes d'accord avec ça ?

    Pour moi, mes films ne sont pas tellement sur la solitude. Il y a des éléments sur l'isolement, en tant qu'expérience. C'est quelque chose de très humain, le besoin de créer des liens avec autrui. C'est une chose à laquelle je pense beaucoup. Et quand j'écris, je suis seule, donc je suis probablement d'une humeur plus introvertie que lorsque je suis avec des amis. J'aime les histoires emmenées par les personnages et je pense que beaucoup de mes films sont sur la question de l'identité, mais aussi sur l'envie de créer des liens avec les autres.

    DR

    Vous avez fait beaucoup de choses avant de devenir réalisatrice – actrice, directrice de la photo, etc. Quand avez-vous décidé de passer à la réalisation, que c'était le plus épanouissant pour vous ?

    Quand j'avais la vingtaine, je ne savais pas vraiment ce que je voulais faire. J'avais plein de centres d'intérêt, sans savoir lequel choisir. J'aimais la photographie, le design… J'avais envie de toucher à tout. Je me souviens de quelqu'un qui avait la soixantaine, qui disait que le travail qu'il avait fait toute sa vie, ce n'était pas vraiment ce qu'il aurait aimé faire. Je me suis dit : "Oh ! Je ne veux pas me réveiller un jour et me dire que j'ai des regrets", donc j'ai essayé plein de choses différentes. J'étais frustrée de ne pas pouvoir en choisir juste une et puis j'ai fait un court métrage [Lick the Star, 1998] et j'ai senti que ça me permettait de fusionner plusieurs passions : la musique, la photographie, le design, le récit… Je me suis dit que c'était un moyen excitant de s'exprimer et de raconter une histoire, et quand j'ai lu le roman Virgin Suicides, ça m'a donné envie de faire un film.

    Je ne me disais pas que je voulais être réalisatrice, mais, en ayant grandi sur les plateaux de mon père, c'était quelque chose qui m'était familier, je ne me rendait pas compte à quel point. J'ai appris tellement de mon père… Il a été un mentor merveilleux, je lui en suis très reconnaissante. Il parlait toujours de faire des films personnels, d'en faire des films qu'on a envie de voir et qu'on aime. Il a toujours été très intègre et ça m'a toujours semblé quelque chose de très important lorsque je le regardais travailler. Il disait toujours que la chose l'important dans un film, c'est la qualité du jeu des acteurs et un bon scénario. Je me souviens toujours de ça, c'est de la que je pars, mon point d'ancrage, et le reste s'ajoute au service de l'histoire.

    Vous avez beaucoup tourné avec Kirsten Dunst, elle est un peu votre actrice fétiche, quel est votre meilleur souvenir avec elle ?

    J'ai tellement de souvenirs avec Kirsten, je la connais depuis qu'elle a 16 ans, donc c'est difficile de choisir, mais c'était vraiment une expérience particulière d'être avec elle à Versailles pour le tournage de Marie-Antoinette, d'être à Paris ensemble, puis à la Nouvelle-Orléans pour Les Proies. Être en plateau avec elle, tout simplement. C'est vraiment génial d'avoir cette relation de confiance avec un acteur, qui comprend vraiment comme exprimer ce que vous avez en tête. Je suis heureuse de l'avoir dirigée à différents moments de sa vie, à des âges différents. 

    Sony Pictures Entertainment

    Quel est le film dont vous êtes le plus fière ?

    C'est une question très difficile. C'est un peu comme choisir lequel de vos enfants est votre préféré. Ils correspondent tous à des moments différents de ma vie, donc c'est impossible, je ne peux vraiment pas vous dire. 

    Pendant un temps, il a été question que vous réalisiez La Petite Sirène pour Universal. Finalement, cela ne s'est pas fait, mais est-ce une histoire qui vous tient à cœur et que vous pourriez adapter de manière indépendante ?

    Je ne pense pas. Quand j'étais en discussion avec le studio pour La Petite Sirène, je me disais qu'il serait intéressant de réaliser un conte, quelque chose pour mes filles, et j'ai toujours adoré ça. L'histoire originale est beaucoup plus sombre que le dessin animé de Disney. C'était un projet intéressant dans ce cadre, mais non, je ne crois pas que je le ferai de manière indépendante. 

    Pour la suite, est-ce que l'univers des séries pourrait vous attirer ?

    Il y a énormément de possibilités aujourd'hui avec les séries, même s'il y en a tellement que cela devient compliqué de suivre ! Je n'ai pas encore envisagé d'en faire une, mais j'ai à l'esprit le fait que cela permet de raconter des choses dans la durée et c'est très intéressant quand on y pense, mais je n'ai pas encore de projets pour la suite, ni au cinéma ni à la télévision. J'ai travaillé pendant deux ans sur Les Proies, je suis très excitée à l'idée de le montrer au public, et ensuite je vais prendre un peu de repos. 

    Les réalisatrices sont très peu représentées, avez-vous l'impression que cela évolue ou est-ce que la route est encore longue ?

    On en parle beaucoup ces temps-ci et j'espère vraiment que les choses vont changer. Quand on y pense, cela n'a pas beaucoup bougé depuis que j'ai commencé à faire des films il y a presque 20 ans. J'ai l'impression qu'il va y avoir de plus en plus de réalisatrices, espérons-le, qui pourront apporter un regard différent. 

    Retrouvez la bande-annonce des Proies, actuellement dans les salles : 

     

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