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    Pour le réconfort, "un film qui divise pour créer de la pensée" selon Vincent Macaigne

    Actuellement à l'affiche du "Sens de la fête", Vincent Macaigne nous présente son premier long métrage en tant que réalisateur : l'étonnant et attachant "Pour le réconfort", dévoilé à l'ACID au dernier Festival de Cannes.

    Après les planches, c'est sur les plateaux de cinéma que Vincent Macaigne a joué les metteurs en scène et signé son premier long métrage, Pour le réconfort. Tourné il y a plusieurs années, le film a bien failli ne jamais en devenir un, et le résultat ressemble énormément à son auteur et aux thématiques qu'il développe en tant qu'acteur sur grand écran. Rencontre avec un jeune réalisateur venu présenter son bébé à l'ACID, pendant le 70ème Festival de Cannes.

    AlloCiné : Que signifie ce titre, "Pour le réconfort", qui n'est jamais cité dans le film ?

    Vincent Macaigne : Il m'a fallu beaucoup de temps pour le trouver et il y a eu de grosses discussions. Mon film n'est pas réconfortant, donc c'est un clin-d'œil et une façon de dire qu'il a été réconfortant pour moi de me mettre au travail de cette manière : tout est parti d'un geste et je ne savais pas que j'allais faire un long métrage, puis je l'ai monté pendant quatre ans. Au début je voulais juste filmer les acteurs de manière presque gratuite, avec très peu d'argent. Ce n'est pas un film de recherche pour autant, mais ça témoigne d'une envie de me remettre au travail et de ne pas m'arrêter pour chercher à avoir une place sociale.

    C'est aussi un clin-d'œil car la fin du film laisse plein de questions ouvertes. Je n'ai personnellement pas de réponse et j'ai voulu que le film soit comme ça, qu'il pose des questions politiques sans y répondre. J'ai bien sûr mon avis, ce n'est pas le problème, mais je voulais juste que ça se finisse comme ça, sur une sorte de rien, car c'est ce qui fait un peu peur. Du coup le titre va à l'encontre de cette fin.

    Ces questionnements politiques ont-ils évolués tout au long du montage, quitte à faire changer celui-ci ?

    Ça a évolué oui, mais j'ai l'impression que le propos est encore plus d'actualité aujourd'hui qu'il ne l'était à l'époque. Malheureusement je dirais, car j'aurais préféré que ça ne soit pas dans le mille à ce point-là (rires) J'ai beaucoup retravaillé le film et les couches politiques qui se sont succédées l'ont beaucoup fait bouger, car ça a évidemment influé.

    C'est aussi un film que j'ai redécouvert, et même refait, au montage. Car c'est aussi un film de montage : il y a une forme de dialectique, et c'est au montage que j'ai trouvé l'ordre des scènes, pour faire en sorte que les gens soient divisés en eux-mêmes, qu'ils puissent dire "J'aime ce personnage" puis "Je ne l'aime plus" puis "Je l'aime de nouveau"… Que ce ne soit pas un film moral ou plaisant mais dynamique dans la pensée. Comme un film d'action de réflexion. Je serais ravi que les gens y aillent et débattent ensuite. Pas pour dire s'ils ont aimé ou non le film, mais je trouve sain qu'ils ne puissent pas être d'accord avec lui quand d'autres le seraient. Car le film est pour moi dans une forme de questionnement. J'espère en tout cas.

    J'avais l'impression qu'il n'y avait plus que les super-héros pour dire des phrases au cinéma

    Vous disiez que le film était né d'un "geste" : est-ce que l'idée était de faire un long métrage, avec un scénario très écrit ? Ou l'ensemble est-il né d'un assemblement ?

    On s'est servis de "La Cerisaie" de Tchekhov comme excuse pour travailler, mais c'était un peu comme pour mon court Ce qu'il restera de nous : c'était déjà une sorte de geste d'essai. Comme je viens du théâtre, j'ai un avis sur l'argent public et beaucoup de mal à faire un long métrage avec de l'argent, et d'en demander pour le faire. C'est un peu étrange car je viens d'un milieu dans lequel on doit d'abord faire nos preuves avant d'avoir le droit de demander un peu d'argent.

    C'est l'inverse du cinéma, dans lequel il y a une aide au premier film, mais ça ne paraissait pas du tout naturel de demander de l'argent pour un art dont je n'ai pas la pleine maîtrise. Le début du travail consistait donc à se poser des questions pour trouver des réponses formelles et voir comment je pouvais créer quelque chose et filmer mes acteurs. J'avais aussi envie de travailler sur un film d'action dans les dialogues et, même en étant loin du niveau de Röhmer, il y a une communauté car chez lui aussi l'action se passe dans les dialogues.

    Il y a aussi un peu de Chabrol et je ne me compare pas à ces génies, mais je les rejoins dans cette envie de faire quelque chose qui soit en action. Beaucoup de films sociaux, aujourd'hui, se contentent de dépeindre et filmer des milieux de façon presque documentaire en insérant une histoire dedans. Moi j'avais envie que les personnages s'expriment, aient un point de vue et parlent, comme dans la vie, comme moi je vous parle. Et en ce moment, j'avais l'impression qu'il n'y avait plus que les super-héros pour dire des phrases au cinéma (rires)

    Dans la mesure où le film repose majoritairement sur les dialogues, y a-t-il eu beaucoup d'improvisation, de liberté pour les acteurs ?

    Il y a des choses très improvisées, mais d'autres qui ne le sont pas du tout. Et je trouve que cela se sent un peu dans le film, dans l'écriture. La plupart du temps, on répétait un peu le matin : j'arrivais avec des petites scènes que j'avais écrites et que nous lisions avant des les tourner. Je faisais parler les acteurs en leur disant d'improviser et d'amener ces textes dans la conversation. Et c'est à partir de là que je les ai guidés pendant le tournage en leur indiquant ce qu'ils devaient ou pouvaient dire.

    J'inventais un peu les dialogues en cours de route, et c'était presqu'un dialogue avec les comédiens parce que mes indications leur donnaient des idées, qui se répercutaient dans le film. Et ce dernier a beaucoup de couches et de dimensions de jeu : il y a des choses apprises par coeur et presque littéraires, des scènes écrites plus classiques et des grandes scènes, comme celle de l'engueulade dans la voiture, qui ont été improvisées avec mes indications. Il arrivait même parois que ce soit à moi qu'ils répondent.

    Un aperçu de "l'engueulade dans la voiture" de "Pour le réconfort" :

    Le fait que vous veniez du théâtre a-t-il influé sur votre mise en scène ? Je pense notamment à cette fin qui donne l'impression qu'un rideau se referme, ou aux monologues face caméra, qui font penser à du théâtre.

    Je suis à la fois d'accord et pas d'accord. Je suis venu au théâtre avec Marthaler notamment, un metteur en scène chez qui il y avait peu de texte et qui est plus proche du cinéma, en matière d'image, que de beaucoup de cinéastes. Mon prochain spectacle de théâtre est certes bavard, mais il m'est parfois arrivé qu'il n'y ait que cinq pages de texte sur deux heures de représentation.

    Je trouve aussi que le monologue de La Maman et la putain est un très grand moment de cinéma, tout comme les monologues que l'on retrouve chez Bergman, alors qu'il ne s'agit que de dialogue, de gros plans avec des gens qui parlent. Pour moi il n'y a pas de scission entre théâtre et cinéma, parler n'est pas théâtral, et vice et versa. Mais c'est vrai qu'il y a beaucoup de paroles dans le film, ce qui compense avec certains de mes spectacles (rires)

    Peut-on voir les deux monologues face caméra du personnage de Pauline comme le fruit de son imagination, l'expression de ce qu'elle voudrait dire ? Le film parle beaucoup des non-dits et on n'entend jamais son interlocuteur dans ces moments-là.

    Ce n'est pas faux de penser qu'il y a quelque chose d'irréel dans ces scènes. Tout comme d'imaginer qu'elle s'adresse à moi, à ce que je suis. Elle ne parle pas qu'à Pascal [son frère, joué par Pascal Reneric, ndlr] mais également au spectateur, à commencer par moi, qui suis le premier d'entre eux. Ce sont des choses que j'avais besoin d'entendre au moment où j'ai fait le film. J'avais besoin de me faire engueuler, ce qui est un peu bizarre, mais j'ai écrit ça dans ce but, pour ne pas oublier ce que je suis.

    C'est pour cette raison que j'ai envisagé ces moments de façon plus intimes. Je tenais à ce qu'ils soient différents du reste. Je me suis même demandé si je devais les enlever, mais en fait non : c'est aussi ça le film. Ça fait basculer l'écoute dans quelque chose d'intime, et je trouve Pauline [Lorillard] fascinante. Elle n'a jamais fait de cinéma mais c'est pour moi une révélation. Elle est totalement cinégénique, à tel point que cela a posé problème au montage : j'ai dû atténuer sa présence car, une fois focalisés sur elle, on a du mal à la quitter, et j'avais du mal à raconter mon histoire.

    Il n'y a pas de scission entre théâtre et cinéma

    Le choix du format carré de l'image participe-t-il à cette idée d'intimité, de solitude qui habite chacun des personnages ? Même lorsqu'ils sont en groupe, chacun semble isolé dans le cadre.

    Ça permet de faire des portraits, oui. Je ne voulais pas que ce soit eux et le monde, mais juste chacun avec sa pensée, que ce soit un peu conflictuel et presqu'anxiogène dans la réflexion. C'est ce qui a dicté le choix de ce format, l'envie de faire des portraits de gens qui, peut-être hurlent. J'ai même pensé à des tableaux très réalistes de gens qui crient, et ça permet de nous enfermer dans la pensée et le dialogue, afin de diviser le spectateur en lui-même et, bizarrement, de faire un geste cinématographique en réduisant tout.

    Quand j'ai monté le film, mon but était vraiment d'interroger le spectateur. De pouvoir me demander ce que mon voisin en pense. C'est donc un film qui divise : pas pour rejeter les gens, mais pour créer de la pensée. Ça rejoint d'ailleurs les tragédies grecques, dans lesquelles un personnage expose sa pensée avec laquelle tout le monde est d'accord, jusqu'à ce qu'un autre vienne dire le contraire et fasse douter les gens, suivi d'une autre personne... C'est ce qui créé la tragédie et la problématique : le public est divisé par les différents avis exposés. Surtout qu'à l'époque, c'était obligatoire d'aller voir ces représentations, de se poser des questions sur la politique en voyant de la fiction.

    Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Cannes le 24 mai 2017

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