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    Alberto Giacometti par Sylvie Testud : "S'il n'avait pas été un artiste aussi torturé, il aurait sûrement été un homme bien"

    Ce mercredi sort "Alberto Giacometti, The Final Portrait" de Stanley Tucci. Le film revient sur les dix-huit jours où James Lord a pris la pose pour l'artiste. Sylvie Testud, qui joue la femme de Giacometti, nous raconte le tournage. Sans filtre.

    Bodega Films

    AlloCiné : Comment vous-êtes vous retrouvée dans ce film assez atypique sur Giacometti ?

    Sylvie Testud : Je crois que c'est Stanley Tucci qui a pensé à moi et qui m'a fait envoyer son scénario ! J'ai trouvé ça top. Déjà, lui, je l'aimais bien. J'étais étonnée qu'il me propose ça à moi, même si évidemment il cherchait une française pour jouer Annette.

    Est-ce que vous étiez familière de son travail en tant que réalisateur ?

    Non, pas du tout ! Je le connaissais en tant qu'acteur. D'ailleurs, je me souviens qu'il avait joué un pédophile, vous vous souvenez de ce film ?

    Lovely Bones ?

    Oui, la vache ! Terrifiant ! Alors qu'il est tellement sympa. D'ailleurs je lui ai posé la question, je lui ai demandé : « Comment t'as accepté de faire ça ? » Il m'a dit : « Ah oui, il faut avoir du courage ! » De toute façon, ceux qui jouent le mieux les méchants, ce sont les gens qui ne le sont pas. Ils n'ont pas peur, donc ils y vont à fond.

    Est-ce que vous connaissiez bien l’œuvre de Giacometti ?

    Je le connaissais comme tout le monde, évidemment, mais j'ai eu plusieurs périodes avec Giacometti. Quand je l'ai découvert, j'étais jeune et je n'aimais pas. Un peu comme Edith Piaf, quand j'étais petite, je trouvais ça trop souffreteux pour moi. En grandissant, on se dit qu'en effet, L'Homme qui marche c'est beau, Les Trois hommes qui marchent c'est beau, ses peintures, ses portraits sont aussi très beaux. En revanche, j'ignorais son histoire.

    Vous avez lu des choses pour préparer le film ?

    J'ai lu le livre de James Lord, Un portrait par Giacometti, j'ai regardé beaucoup d'interviews de Giacometti, cette voix incroyable. Il a l'air très ancré, très terrien, c'est étonnant. Et après, j'ai découvert sa relation avec sa femme... Heureusement qu'on peut dissocier l'homme de l'artiste, mais est-ce que ce n'est pas l'artiste qui bouffe l'homme ? Je me demande si, s'il n'avait pas été un artiste aussi torturé, il n'aurait pas été un homme bien, mais il n'y avait pas la place pour les deux. Cette pauvre Annette, qui est restée amoureuse de lui toute sa vie, ça a été extrêmement dur pour elle. Le plus horrible, c'est cette scène où elle est avec ce Japonais et où il vient chercher sa veste et il dit : « Ne vous dérangez pas pour moi. » Il n'en a rien à foutre. Le pire, ce n'est pas qu'il ne la considère pas, qu'elle crève de froid, qu'elle n'a rien à manger par moment et que quand elle demande quelque chose il lui jette l'argent à la figure. Non, le pire, c'est le fait qu'elle essaie de se divertir avec un autre et qu'il n'en ait rien à faire.

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    Ce qui est fascinant dans le film, qui est concentré sur dix-huit jours, c'est qu'on arrive à en voir beaucoup sur la vie privée de Giacometti. Sa relation avec son frère, sa femme, sa maîtresse…

    Oui, parce qu'ils vivaient en circuit fermé, dans cette petite ruelle, ce petit atelier, cet appartement mal chauffé. Rien d'autre que son art n'a d'importance et il vit avec eux en permanence. Le plus fou, c'est avec James Lord : il arrive à faire asseoir sur cette chaise pendant dix-huit jours un mec qui pourrait partir !

    Comment ça s'est passé avec Geoffrey Rush, qui ressemble de manière très troublante à Giacometti ?

    Hormis le fait que c'est un acteur prodigieux, il ne joue pas : il est. Et c'est un gamin, il déconne toute la journée. Quand ça tourne, il est hyper concentré. Quand ça s'arrête, il rigole, il sort du studio en courant pour fumer – il fume 132 cigarettes à la seconde !

    C'était un tournage court. Stanley Tucci était très directif avec les acteurs ?

    Ce qui est bien quand ce sont des acteurs qui dirigent, c'est que ce qui l'intéresse, c'est la vérité dans l'interprétation. Même s'il avait une idée très précise de ce qu'il voulait, même s'il avait fait son découpage, il attend de voir les gens arriver. Donc on a envie de se lever et d'y aller !

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    Ce n'est pas la première fois que vous jouez dans une biographie. Vous avez joué Françoise Sagan, vous avez aussi joué le personnage d'Amélie Nothomb dans l'adaptation du roman autobiographique Stupeur et tremblements, vous avez joué Louise Michel… C'est particulier, pour un acteur, d'interpréter quelqu'un qui a vraiment existé ?

    On s'autorise des choses dans la biographie qu'on n'a pas le droit de faire dans la pure fiction. Il y a une phrase qui dit quelque chose comme : « La vie on l'accepte, mais quand on doit transposer les choses au cinéma il faut qu'elles soient crédibles. » Quand on invente, il faut être crédible, alors que la vie n'a pas besoin de l'être ! Par exemple, Sagan qui mise le 8, un 8 août, et qui gagne 80 000, si je l'écrivais demain, tout le monde me dirait que je vais trop loin. Finalement, la biographie offre beaucoup de libertés. On accepte plus un personnage bourré de paradoxes s'il a existé. Personne ne pourrait inventer Stupeur et tremblements ! On peut le trahir, le romancer, mais ce qui lui est arrivé, si elle le décide, ça devient du grand-guignol. Comme elle l'a vécu et qu'elle le raconte, c'est une merveille.

    Vous avez tourné en studio à Londres pour recréer le vieux Paris…

    Oui, et alors c'est amusant parce que c'était super, jusqu'à ce que j'arrive au restaurant et c'était écrit « bon appétit », mais « B. O. N. N. E. ». Là, j'ai dit : « Je crois qu'il va falloir corriger ça. » Ils m'ont regardée et ils sont allés vérifier quand même ! Et il y avait des « coquilages » à manger, aussi !

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    J'ai lu que Geoffrey Rush disait que vous apportiez un jeu « à la française ». A l'inverse, en tant qu'actrice française, quel est votre point de vue sur le jeu « à anglo-saxonne » ?

    Je crois que nous on ne joue pas beaucoup. On n'a pas de construction. On est dans le moment, dans l'instant. Ce n'est pas dans notre culture de jouer. D'ailleurs, ça le fascinait beaucoup. Il était étonné et il me demandait souvent si j'étais comme Annette ! Je lui disait : « Ça ne va pas la tête ? »

    D'ailleurs, souvent, ça crée des décalages, quand des acteurs français jouent dans des films américains.

    Absolument ! Et d'ailleurs, là, si ça fonctionne, c'est parce que Geoffrey s'est un peu mis à la mode française, il s'est calé sur nous.

    Prochainement, vous serez à l'affiche d'un autre film étranger, Suspiria. Qu'est-ce que vous pouvez nous dire sur le film ?

    C'est un remake, mais adapté. Le film de Dario Argento, il est quand même un peu psyché. Je devais avoir 16 ans quand je l'ai vu et je me souviens, j'étais en hallu' ! Luca Guadagnino, il a pris un autre chemin avec son Suspiria. Tilda Swinton, qui joue la professeure de danse et Dakota Johnson, qui joue la jeune danseuse, sont toutes les deux étranges. Tilda Swinton, c'est un personnage à part et elle en a conscience. Tout est très en place.

    J'aimerais que vous me racontiez votre premier souvenir de spectatrice au cinéma ?

    Je m'en souviens parfaitement. C'est le film préféré de toutes les femmes qui ont mon âge et qui étaient jeunes filles à cette époque. C'est L'Effrontée. C'est le premier film, en dehors des dessins animés, que j'ai vu. C'était au cinéma qui s'appelait le Chanteclair à Lyon, qui était sur le plateau de la Croix-Rousse, qui n'existe plus. En voyant Charlotte Gainsbourg dans sa marinière – j'avais la même, que je détestais et que ma mère me remettait sur le dos dès qu'elle l'avait lavée, séchée repassée – j'avais l'impression qu'on parlait de moi. C'était une fille moyenne, pas la plus drôle, pas la plus sombre, pas la plus belle, mais elle n'était pas moche. Une fille un peu transparente, qui commence à mentir à l'âge de 13 ans. On a toutes commencé à mentir à cet âge, car c'était le seul moyen d'obtenir un peu de liberté, sinon, c'était l’œil de Moscou !

    DR

    Et je me souviens très bien du moment où il y a la chanson de Ricchi e Poveri, « Sarà perché ti amo ». Je suis d'origine italienne et quand ma mère prenait le téléphone et qu'elle disait « Pronto », dans les années 1980, c'était la honte d'être étranger. Quand elle mettait « Sarà perché ti amo », ma mère hurlait la chanson. On trouvait cette chanson hyper ringarde. D'un coup, un réalisateur qui s'appelle Claude Miller qui est français avec Charlotte Gainsbourg qui est la fille de Serge Gainsbourg font un film où il y a « Sarà perché ti amo » ? Grand souvenir.

    Vous êtes aussi réalisatrice, en plus d'être actrice et écrivaine. Vous avez des projets de réalisation ?

    J'en ai, mais je ne vais pas vous le dire tout de suite ! Comme j'en ai planté un, vous le savez, qui a conduit à l'écriture de mon livre C'est le métier qui rentre, je vais essayer de ne pas planter celui-ci. Franchement, je l'ai mal pris, mais j'ai attendu d'avoir un autre sujet qui ne soit pas littéraire. Souvent on me dit : « Pourquoi tu n'adaptes pas tes livres ? » Si le meilleur support m'était apparu comme le cinéma, j'aurais écrit des scénarios. Une fois que mon livre est terminé, mon travail est fini. Quelqu'un d'autre peut le prendre, mais pas moi. Là, j'ai eu une idée, mais on va voir !

    La bande-annonce d'Alberto Giacometti, The Final Portrait, en salle dès aujourd'hui :

     

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