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    Deauville 2018 : pour Cédric Kahn, "la grande force du cinéma américain c'est de savoir capter les talents de partout"

    Président du Jury Révélation de ce 44ème Festival de Deauville, Cédric Kahn évoque le cinéma américain, le choc "Taxi Driver" et sa fascination pour Terrence Malick à notre micro.

    Coadic Guirec / Bestimage

    Appelez-le Monsieur le Président. Quelques mois après Berlin, où sa Prière a été récompensée par le biais de son jeune acteur, Cédric Kahn participe à un autre gros festival de cinéma sur les planches du Deauville. Mais au sein du Jury Révélation, dont il est cette année à la tête. Et c'est peu de temps après l'un des films de la compétition qui rythment son quotidien normand que nous le rencontrons.

    AlloCiné : Vous souvenez-vous du film avec lequel vous avez découvert le cinéma américain ?

    Cédric Kahn : C'était il y a longtemps. Après les Walt Disney quand j'étais gamin, je dirais Taxi Driver. Tout y est génial. A l'époque je vivais loin de la ville, loin du cinéma, donc ça me donnait l'impression d'avoir vu le monde. Et puis, au risque de parler comme un vieux, internet n'existait pas et j'ai grandi sans télé car mes parents étaient contres, donc je voyais tout grâce au cinéma : des gens qui faisaient l'amour, la fête, des braquages. N'importe quel film était, pour moi, une aventure extraordinaire, mais Taxi Driver c'était quelque chose.

    Après est-ce que j'en ai mesuré les qualités cinématographiques sur le coup ? Je ne sais pas. Mais je crois, et encore aujourd'hui, que même sans analyser ou raconter la qualité, on est capable de la ressentir, même si l'on n'est pas cinéphile. Tant que l'on a accès à la beauté, à la sensibilité, au geste artistique. C'est notamment ce pour quoi je me bats avec mes films, et je trouve qu'il faut forcer les jeunes gens, comme on le fait avec la lecture à l'école, à voir des bons films et des films beaucoup plus difficiles à regarder. Cet effort est marquant, il vous accompagne pendant longtemps ensuite. La difficulté aide à aller vers la difficulté, et cela peut créer des vocations. Surtout que la beauté, en tant que geste beau et fort, fait du bien à celui qui le regarde.

    Votre vocation est-elle née avec un film précis ?

    Non, mais elle est vraiment née en voyant des films de gens dont je ne savais pas que c'étaient des maîtres et qui le sont devenus pour moi. Je parlais de Scorsese mais il y a aussi eu Pialat, Cassavetes. La première fois que j'ai vu un film de Pialat, Loulou il me semble, je ne savais rien sur lui. Tout le monde est aujourd'hui unanime pour dire que c'est l'un des plus grands cinéastes français de tous les temps, et j'ai l'impression que cette vibration, cette force, je l'ai reçue. Sans rien savoir.

    Y a-t-il un cinéaste américain dont vous vous sentez proche en tant que réalisateur ?

    J'ai eu ma grande période Cassavetes mais j'ai toujours un peu abandonné mes idoles. J'ai par exemple tout mangé de lui quand j'avais 20 ans, et après j'ai trouvé que ça c'était démodé, que ça avait été trop copié. Pareil pour Pialat. Quand ça a été trop copié, trop référéncé, je me suis dit qu'il fallait que je les abandonne et que j'aille chercher ailleurs. Car je continue à penser que l'on trouve aussi l'inspiration dans le travail des autres.

    Et pour le film que je viens de faire [Joyeux anniversaire, ndlr] j'ai voulu revoir Une femme sous influence. Je ne me souvenais pas du film mais du choc qu'il m'avait procuré. Je me souvenais qu'il m'avait bouleversé, et je trouve qu'il a extrêmement bien veilli et tient le choc des années et générations. Mes idoles peuvent le redevenir à tout moment, je peux les reconvoquer très facilement. Depuis quelques années je me précipite notamment vers le travail de Terrence Malick. Lui c'est une source d'inspiration récente. Comme Iñarritu, qui n'est pas vraiment un cinéaste américain mais que je range avec. Il y a beaucoup de gens et de talent à revendre. Et la grande force du cinéma américain c'est de savoir capter les talents de partout.

    Quand vous parlez de l'influence de Terrence Malick, c'est pour un film comme "Vie sauvage" ?

    Oui. La Prière moins, mais sur Vie sauvage j'étais vraiment habité par Malick. Un peu obsédé. Je fonctionne beaucoup par obsessions, j'ai des fixettes.

    Et ce sont ces obsessions qui impulsent l'envie de faire un film chez vous ?

    Être obsessionnel, c'est un bon défaut dans la vie mais une bonne qualité pour faire du cinéma (rires) Le cinéma est un temps long, une endurance. Surtout pour un réalisateur, entre l'intention, l'action, le résultat et le moment où l'on va en parler aux gens, c'est très très long, donc si ça n'est pas une obsession, on ne tient pas la distance.

    Être obsessionnel, c'est un bon défaut dans la vie mais une bonne qualité pour faire du cinéma

    Avez-vous un genre de prédilection dans le cinéma américain ?

    Non, mais ce que j'aime chez eux c'est cette façon de faire feu de tout bois. Le genre est toujours présent, même dans un film d'auteur. L'efficacité, le genre, le geste vers le spectateur. Tout est toujours là. Comme en Europe ou en France, ce que j'aime c'est le cinéaste. Celui qui est derrière le film et qui a une pensée, une vision. C'est ce qui m'a fait aller vers le cinéma et continue de me faire sortir de chez moi pour aller voir un film : le besoin de sentir quelqu'un derrière une œuvre.

    Avez-vous un film de chevet ? Si ça n'est pas "Taxi Driver" ou "Une femme sous influence".

    Je n'ai pas vraiment de film de chevet et je peux aussi citer les films de Malick : La Balade sauvage, La Ligne rougeLes Moissons du ciel que j'adore aussi. C'est extraordinaire.

    Vous semblez plus client de la première période de Malick, avant "The Tree of Life".

    J'adore la première période, mais je dois dire que j'adore aussi la dernière (rires) Ce sont moins des films, moins des objets. Mais elle me passionne assez, formellement comme intellectuellement, même si les gens ont l'impression de l'avoir un peu perdu de vue. Mais ce qui m'intéresse le plus chez lui aujourd'hui, c'est la façon de faire plus que l'objet. Il ouvre des portes, des possibilités et, moi qui commence à avoir fait un paquet de films, ce qui m'intéresse c'est d'explorer. De faire sauter le maximum de verrous.

    Quel a été votre dernier coup de cœur américain ?

    Manchester by the Sea. Je le trouve parfait. L'histoire est très forte mais la façon dont elle est racontée aussi. Et il possède l'autre grande qualité du cinéma américain, qui est de savoir aller directement à l'émotion. Ce qui est plus compliqué pour nous culturellement, alors que le film atteint des sommets d'émotion dingues. J'ai été très bouleversé.

    Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Deauville le 4 septembre 2018

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