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    Les Filles du soleil : "Représenter des femmes qui ont vécu des traumatismes, mais qui refusent d’être des victimes"
    Brigitte Baronnet
    Passionnée par le cinéma français, adorant arpenter les festivals, elle est journaliste pour AlloCiné depuis 12 ans. Elle anime le podcast Spotlight.

    Après avoir été présenté en compétition à Cannes en mai dernier, Les Filles du soleil d'Eva Husson sort dans les salles. Rencontre avec la réalisatrice et les comédiennes Emmanuelle Bercot et Golshifteh Farahani.

    AlloCiné : Après Bang Gang, vous vous intéressez avec Les Filles du soleil à un sujet très différent. Qu'est-ce qui vous a particulièrement interessé dans ce projet ? Comment vous-êtes vous emparée de ce projet ?

    Eva Husson, scénariste et réalisatrice : Je me suis intéressée à ce projet, car, quand je suis tombée sur ces récits de femmes captives qui s’étaient échappées, qui avaient pris les armes, je me suis émerveillée devant l’exemplarité, la force que ça donnait. Je me suis dit : c’est fou, si en lisant un article d’une demi-page, et en en lisant une quinzaine le même jour comme une espèce de frénésie, ça me provoque ce choc émotionnel, c’est qu’il y a quelque chose de très fort dans la lettre, l’esprit de cette histoire, et que ça vaut le coup d’être relayé.

    Petit à petit, en déroulant la pelote, je me suis rendue compte que ça correspondait à une histoire personnelle, parce que mon grand père était soldat républicain et était communiste, et son frère était anarchiste… Il y avait une guerre fratricide qui me fait beaucoup penser à ce qui se passe à l’intérieur de la communauté kurde sur place. La lutte pour un idéal. Ca se déployait en moi, d’une manière extrêmement organique et ça faisait sens.

    Wild Bunch Distribution

    Il y a une approche romanesque de ce sujet. Etes-vous d’accord d’ailleurs avec ce terme ?

    Eva Husson : J’assume totalement ça. Ca me touche plutôt que vous l’ayez vu. Je viens de la littérature à la base. Il y a une ampleur dans le romanesque qui correspond énormément à l’humain, qui permet en fait cette capacité extraordinaire que ça donne pendant 1h55, à devenir, à ressentir l’expérience, à se sortir de son corps, et c’est ce à quoi j’aspire. Pendant 1h55, j’ai envie qu’on comprenne ce que c’est d’être dans le corps d’une personne, avec en plus cette espèce de distance qui permet de l’intégrer sans s’enfuir en courant. Si on ressent physiquement ce que ces femmes ont vécu, on ne peut pas. C’est trop violent, c’est trop dur. Si on a accès, par une espèce de petite porte émotionnelle, qui nous met dans l’empathie, qui nous met en contact avec elle. Tout d’un coup, on peut être dans la douceur, dans la compréhension, dans un regard sur l’autre qui nous rend, je pense, plus grand, plus humain en fait.

    Emmanuelle Bercot, comédienne : J'ai senti sur le tournage que Eva Husson mettait une très grande attention au cadre, à la lumière, qu'elle sculptait nos visages avec sa caméra. Sa façon de filmer Golshifteh Farahani est romanesque, de la filmer comme une icône, c'est déjà un parti pris très fort. L'aspect romanesque du film m'a plu parce qu'il faut faire du spectacle aussi avec les histoires, pas dans un sens voyeuriste, mais il faut embarquer les gens, les emmener ailleurs que là où il pensait aller et Eva a réussi à faire ça, dans sa façon très romanesque, presque lyrique de filmer tout ça.  

    Quel a été votre travail de préparation ?

    Emmanuelle Bercot : Quand on peut s'ouvrir l'imaginaire, se nourrir l'esprit, pour travailler un rôle, c'est ça qui est bien. J'ai dû me documenter pas mal avant. J'ai appris plein de choses. J'ai essayé d'amasser des choses qui pourraient me permettre de construire ce personnage de reporter de guerre. C'est génial d'aller chercher des choses qui deviennent une partie de nous-même quand on joue. 

    Golshifteh Farahani : J'ai été obligée de travailler sur la langue, sur les dialogues car je parle kurde phonétiquement. C'est quand même un sacré travail en plus. Il y avait aussi les entrainements militaires. C'était plutôt facile car je suis très à l'aise avec les armes bizarrement, affreusement. Par rapport à la documentation ou même à la recherche, je n'avais pas besoin de faire ça car je connaissais l'histoire très bien, profondément. Le personnage était en moi. 

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    Ca n'est pas la première fois que vous changez de langue comme ça et on n'y voit que du feu... 

    Golshifteh Farahani : Ca fait 7 langues, 7 langues que je ne parle pas. C'est très difficile, c'est vraiment un sacré travail.  

    Vous êtes vous inspirée de personnes ayant réellement existé pour ce personnage de reporter de guerre ?

    Emmanuelle Bercot : Oui, une seule. Je me suis inspirée de Marie Colvin, dont s'est inspiré Eva Husson et elle lui rend hommage dans le film car c'est une femme qui portait un cache-oeil. Elle avait perdu un oeil sur le terrain. Je me suis beaucoup documentée sur elle; à l'arrivée, le personnage ne lui ressemble pas tout à fait car elle est beaucoup plus solide que mon personnage de Mathilde que, je trouve assez fragile. J'avais très peur du cliché, et là je trouve qu'on n'est pas trop dans le cliché. Mais bien sûr j'ai essayé de comprendre comment elle fonctionnait, de regarder ce qu'elle écrivait pour imaginer ce qu'elle observait, ce qu'elle cherchait à capter sur le terrain.  

    Ce film est dédié aux héroines. Vous leur adressez un mot en fin de générique. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

    Eva Husson :  Je pense qu’en tant que femme, on souffre d’un énorme manque de représentation dans l’histoire et dans la fiction. On a une vision de ce qu’on est qui n’est pas complètement en adéquation avec le réel. Ce qu’on vit est une chose, et ce qu’on voit en permanence est un monde à dominante masculine. On a un regard sur nous même qui est très biaisé culturellement, qui n’est pas juste. Je pense que plus on sera de femmes à s’emparer de la représentation de nous-mêmes, plus on aura une vision adéquate de ce qu’on est. On n’est pas que des victimes au cinéma, on n’est pas que des femmes de, on n’est pas que des nanas d’à côté qui font fantasmer l’adolescent pré-pubère. Il y a énormément d’autres représentations. Un des enjeux que je voulais vraiment explorer là-dedans, c’était de représenter des femmes qui ont vécu des traumatismes, mais qui refusent d’être des victimes. Elles se battent pour leur dignité et une vision d’elle-même qui est différente.

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    Est-ce que de présenter votre film dans cette première édition « post Weinstein » à Cannes représente quelque chose de particulier pour vous, au sein d’une édition qui a notamment accueilli cette montée des marches des 82 femmes ?

    Eva Husson : Je pense que ce n’est pas un hasard si ce film a été achevé là et qu’il est montré à ce moment là. Après, il ne faut pas tout confondre. J’ai commencé ce film il y a 3 ans. On a eu étonnamment une certaine chance au niveau du timing. Si j’avais fini le même film par exemple il y a 2 ou 3 ans, il n’aurait pas eu du tout la même répercussion, le même écho.

    Je pense qu’il y a plein de gens qui, il y a encore 2 ans, considéraient qu’il n’y avait pas de problème, que tout allait bien, etc. Ils commencent à se formuler en eux mêmes que si peut être en fait, qu’il y a des choses qu’on peut vraiment changer, au quotidien, dans l’environnement du travail, des attitudes qui nous semblaient faisables et qui maintenant ne sont plus acceptables.

    Thierry Frémaux m’a envoyé un email magnifique sur le cinéma dans mon film, je sais qu’il croit profondément au cinéma de cette proposition. Mais il sait aussi ce que c’est politiquement, il en a conscience. Cette collusion, je n’ai pas à les trouver bien ou pas bien. C’est comme ça et je pense qu’il faut faire avec. Cela fait partie d’un phénomène plus global, très important.

    Le cinéma français peut s’emparer de manière plus active de tout ça. J’ai l’impression qu’on aime bien se penser un peu différent à ce niveau là, qu’il y a moins de problèmes ici en France. Et je suis désolée, mais j’en entends des noms. J’en entends des noms circuler. J’exhorte les journalistes à faire le travail d’investigation qui a été fait aux Etats-Unis par le New York Times et le New Yorker. Les journalistes sont essentiels dans ce truc là. A un moment, ces choses-là existent, donc s’il vous plait, sortez-les quoi ! Il y a une parole qui se libère, qui a besoin d’être explorée. C’est sain de faire affleurer ces choses-là.

    La bande-annonce des Filles du soleil :

     

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