Mon compte
    The Lighthouse : une "torture" pour Robert Pattinson
    Corentin Palanchini
    Passionné par le cinéma hollywoodien des années 10 à 70, il suit avec intérêt l’évolution actuelle de l’industrie du 7e Art, et regarde tout ce qui lui passe devant les yeux : comédie française, polar des années 90, Palme d’or oubliée ou films du moment. Et avec le temps qu’il lui reste, des séries.

    Le réalisateur Robert Eggers nous a accordé un entretien fleuve, au cours duquel il a évoqué les coulisses difficiles de son film et la souffrance de Robert Pattinson sur le tournage.

    Universal Pictures International France

    AlloCiné : Votre précédent film, "The Witch", avait été bien reçu par la critique et vous avait même valu un prix ici en France, au festival du film fantastique de Gérardmer...

    Robert Eggers : (il coupe) Je me souviens que j'ai reçu ce prix chez moi et je me suis dit "ça vient d'où, déjà ?" (rires).

    C'était il y a quatre ans. Avez-vous développé d'autres films avant "Lighthouse" ?

    J'ai écrit trois choses en plus de Lighthouse et c'est lui -étrangement d'ailleurs, car c'est clairement celui qui aurait dû avoir le plus de mal à se financer- qui a été commandé. (...) Mais vous savez, c'est souvent comme ça, combien de projets a en même temps Guillermo Del Toro ? (rires). C'est parfois un crève-coeur, car on met beaucoup de travail dans un projet et il reste sur une étagère. J'en ai d'ailleurs une remplie de recherches sur divers sujets qui ont pris des années et prennent la poussière.

    Et la plupart des gens pensent en regardant une filmographie que vous n'avez rien fait depuis "The Witch".

    J'ai pourtant travaillé tous les jours entre ces deux films.

    Mais "The Lighthouse" s'est financé. C'est entre autres un film de performance d'acteurs. Est-ce que vous aviez déjà Robert Pattinson et Willem Dafoe en tête lors de l'écriture ?

    Étrangement, non. Je n'avais pas ces deux acteurs immédiatement en tête. Je n'écris pas pour des acteurs, enfin si là, pour mon prochain projet, mais c'est assez rare et [The Lighthouse] était assez spécifique. Mon frère et moi cherchions vraiment à savoir qui étaient ces hommes. Lorsqu'il a été financé, c'était Willem Dafoe et personne d'autre. Heureusement, Willem et moi voulions travailler ensemble, Robert et moi également, donc ça s'est présenté et ça s'est fait.

    Vous avez fait référence à vos étagères pleine de recherches : je sais que les récits de marins ont joué un rôle dans la création de Lighthouse, mais je suis curieux de savoir quelles ont été vos autres sources d'inspiration ?

    Cela faisait trois ans que personne ne voulait financer The Witch et je devais dîner avec mon frère. Il m'a dit "j'ai un scénario, c'est une histoire de fantôme dans un phare". Et quand il a dit ça, j'ai immédiatement imaginé le noir et blanc, la pellicule 35 mm, l'atmosphère, le ton, l'odeur... C'était une histoire différente mais j'avais ces idées. Quelques mois plus tard, il était toujours bloqué dessus et j'ai participé à essayer de dénouer [l'intrigue]. J'ai donc fait quelques recherches sur des récits réels de folklore, de mythologie, de MelvilleStevenson etc... J'ai aussi vu des films de Jean Epstein et Jean Grémillon et des choix beaucoup plus évidents comme Shining. On retrouve aussi [dans le film] le théâtre classique, il y a beaucoup de choses et notamment le travail de Sarah Orne Jewett, qui a beaucoup interviewé de marins, de fermiers et de pêcheurs et écrit des romans dans leur dialecte. Son travail a été une mine d'or et j'ai essayé de comprendre comment pouvaient s'exprimer ces deux personnages.

    Universal Pictures International France

    Vous avez clairement une volonté de réalisme, et j'étais donc d'autant plus stupéfait d'apprendre que le phare que l'on voit dans le film est un faux.

    Oui, nous n'avons pas copié un phare existant mais nous avons pris plusieurs éléments des phares typiques de la Nouvelle-Angleterre. Nous avons essayé de mettre des éléments iconiques ensemble pour créer un nouveau phare. Il dépasse les vingt mètres de haut. Il aurait dû être plus haut mais nous ne pouvions pas nous permettre mieux pour une structure non permanente destinée à porter une lentille de 2 tonnes !

    J'ai entendu que les habitants de l'endroit où vous avez construit le phare ne veulent pas qu'il soit détruit.

    Nova Scotia [au Canada, où les scènes du phare ont été tournées NdlR] possède beaucoup de phares. Il y a une petite ville, Peggys Cove, qui est très proche d'une plus grande ville, Halifax. Et Peggys Cove a un phare très iconique, que les gens viennent voir. Or, les habitants proches de Yarmouth, dont personne ne va voir le phare, cherchent à garder celui que nous y avons construit.

    Retour à vos acteurs. Ils ont des méthodes de travail différentes. Avez-vous dirigé Dafoe et Pattinson de la même façon ?

    Bob et Willem on travaillé avec nombre d'auteurs ou aspirants auteurs et savent que pour qu'un film fonctionne, il faut suivre la méthode et la vision du réalisateur. Il faut être à ce service-là et abandonner une partie de soi à cet objectif. (...) Cela dit, même s'ils suivent ma technique, ils ont tous les deux besoins de choses différentes. Je ne fais pas cet entretien avec vous comme je le ferai avec quelqu'un d'autre car nous sommes tous unique. (...) Et eux étaient sacrément différents ! C'était donc parfois éprouvant mais cela a aidé la tension du film et leur alchimie.

    [Par exemple], j'avais besoin de répétitions pour savoir où Jarin Blaschke [le directeur photo, NdlR] et moi allons placer la caméra. C'était très technique, nous avions beaucoup de rails de dolly donc les gens avaient besoin de savoir où s'arrêter. Car si nous définissons les blocages le jour même, ils auront l'air de marionnettes allant vers leurs marques [au sol] et il n'y aura jamais de vie [à l'écran]. Je n'ai pas besoin de répétitions pour le jeu d'acteur habituellement, mais il y avait tant que de dialogue dans le film que j'avais besoin de donner du rythme. Willem vient du théâtre, donc il adore jouer. Il ne peut pas ne pas le faire et adore répéter. Moi aussi, car je viens aussi du théâtre. (...) Robert détestait [ces répétitions], ça a été une torture pour lui. Je pense aussi qu'il s'est senti exclu de ce lien théâtral entre Dafoe et moi. Mais comme dans l'histoire le phare est l'antre de Dafoe et Robert en est exclu, cela nous a bien aidé. Et par-dessus tout, Rob' voulait me surprendre, surprendre Willem et se surprendre. Donc il refusait de partager ces surprises lors des répétitions et il avait raison (...).

    Universal Pictures International France

    En plus, vos acteurs ont l'air d'avoir tourné dans des conditions très difficiles.

    Oui, c'était très dur, et très éprouvant pour Rob'. Dafoe avait quelques scènes par mauvais temps et il a le vertige, mais ça allait mieux dès qu'on disait le mot "action", il n'avait plus peur. A sa décharge, même dans un vrai phare en pierre très haut, on peut le sentir un peu se balancer. Et comme le nôtre était loin d'être réel, il balançait beaucoup ! Mais Cape Forchu est un endroit très inhospitalier. Je suis à l'aise avec le froid, mais là c'était terrible. Par contre, le temps était clément, donc nous ne pouvions pas tourner ! Donc on filmait les scènes intérieures et si le temps s'aggravait, nous sortions vite tourner, sauf qu'entre le froid, la pluie et le vent, vous êtes forcément lents, le couvre-caméra se brise, vous êtes à genoux dans l'eau et la boue, vous ne pouvez pas faire vite. C'était donc très difficile mais ça a servi le film. Et ça valait le coup.

    Et le tournage a duré longtemps ?

    32 jours je crois.

    Vous avez parlé d'un tournage difficile à cause du temps, mais construire vos plans dans cet espace restreint qu'est le phare a aussi été compliqué. Comment avez-vous travaillé avec Jarin Blaschke ?

    Nous avons essayé différents Film Stocks [filtres simulant le noir et blanc, NdlR] mais j'aime le Double-X, le négatif noir et blanc, car il est primitif : le noir est très profond et n'a pas changé depuis les années 50 et un film ainsi tourné vous plonge immédiatement dans le passé. Puis nous avons essayé un filtre customisé par Schneider pour copier l'orthochromatique des premiers films de l'Histoire. Cela met en exergue les imperfections de peau, et un jour, a permis de transformer un ciel bleu en une ambiance lugubre.

    Pour rester dans la technique, vous avez aussi choisi un format peu usité, le 1.19:1.

    J'ai envisagé le 1.33:1 (classique des films du début de Hollywood, NdlR] mais Jarin a blagué en disant : "pourquoi on ne tournerait pas en 1.19:1 ?" Et j'ai pensé que c'était une très bonne idée pour filmer un phare vertical (...) et des visages incroyables. Et comme nous avions des lentilles sphériques, nous les avons utilisées pour coller à ce ratio de 1.19. (...) Nous avons aussi utilisé des lentilles en verre anciennes des années 30, de 1918, etc.

    Le succès de "The Witch" vous a-t-il aidé à obtenir une distribution pour "The Lighthouse" ?

    A24 nous a fait confiance. Il n'a pas été facile de convaincre les parties impliquées de faire un film noir et blanc, ce qui est financièrement irresponsable. Je crois que les gens sont passés régulièrement par tous les états : confiants puis inquiets puis confiants puis inquiets (rires). Mais quand ils ont vu nos images quotidiennes, ils sont restés confiants. Mais nous avons été très libres sur ce film. Mes compromis n'étaient qu'avec la météo et le temps [de tournage], aucun compromis créatifs, ce qui est une chance.

    Universal Pictures International France

    C'est aussi extrêmement rare.

    [Le producteur délégué] Michael Schaefer m'a fait quelques notes en post-production sur lesquelles il a été un peu insistant, mais il avait raison. Pendant longtemps, il a détesté la musique mais j'essayais d'être conciliant et je lui répétais "quand j'aimerais la musique, vous l'aimerez... et laissez-moi tranquille". Et quand je me suis retrouvé à Toronto pour travailler en profondeur avec le compositeur, Schaefer m'a contacté en me disant "la musique, on dirait un p***in  de hurlement à la lune, c'est horrible, par pitié demande-toi quand l'obscurité ajoute de la tension et quand elle n'est juste que bizarre". Et il avait raison. Mark Korven et moi avions été assourdis par nos goûts étranges (...).

    Pour Lighthouse, vous travaillez avec certains de vos collaborateurs de The Witch. Est-ce que vous allez essayer de toujours garder cette équipe ?

    Oui. Pour le film sur lequel je suis actuellement en pré-pré-production, c'est le cas. C'est un cliché de le dire mais nous avons nos habitudes, nous nous faisons confiance," blablabla..." mais c'est vrai ! Et vous savez, Lighthouse était plus gros que The Witch, mon prochain film est plus gros que Lighthouse et nous espérons grandir ensemble. Et lorsque vous devez relever un défi, c'est bon d'avoir une équipe que vous connaissez et à qui vous faites confiance et vous soutient (...).

    Est-ce que c'est à nouveau un film A24 ?

    Sans commentaire.

    Pouvez-vous décrire son thème ?

    Je peux seulement vous dire qu'il se déroule à nouveau dans le passé.*

    En noir et blanc à nouveau ?

    Non, c'est trop gros pour du noir et blanc. Mais j'espère pouvoir refaire un film en noir et blanc un jour, car d'avoir travaillé avec, je me dis que nous aurions pu faire beaucoup mieux. Quasiment plus personne ne tourne en pellicule. Si nous tournions à Toronto, au Royaume-Uni ou à Vancouver, avec un plus gros budget, ça aurait été facile d'avoir une équipe ayant récemment tourné en 35 mm. Mais à Nova Scotia, ils tournent beaucoup de séries et de téléfilms en digital. Notre opérateur caméra et notre opérateur de caméra A étaient des vétérans du 35 mm mais n'avait plus tourné avec cela depuis des années. Et Eddy McInnis [1er assistant] n'avait plus tourné en Double X depuis ses années en école de cinéma ! Personne ne sait plus comment ça marche. Tout le monde était choqué du nombre de lumière dont nous avions besoin pour avoir une bonne exposition [des scènes] (...). Quand je revois le Jane Eyre avec Orson Welles, il est éclairé par un directeur photo [George Barnes] incroyable. Et nous ne connaissons plus leur secret pour avoir une telle qualité d'image. Maintenant que j'ai appris, j'adorerais pouvoir refaire un film en noir et blanc.

    The Lighthouse
    The Lighthouse
    Sortie : 18 décembre 2019 | 1h 49min
    De Robert Eggers
    Avec Robert Pattinson, Willem Dafoe, Valeriia Karaman
    Presse
    3,6
    Spectateurs
    3,5
    louer ou acheter

    *Nous savons depuis qu'il s'agit d'un film de vikings, The Northman, porté par Bill Skarsgård.

    FBwhatsapp facebook Tweet
    Sur le même sujet
    Commentaires
    Back to Top