Mon compte
    La Nuit des morts-vivants ou comment cacher un message politique dans un film d'horreur
    Thomas Desroches
    Thomas Desroches
    -Journaliste
    Les yeux rivés sur l’écran et la tête dans les magazines, Thomas Desroches se nourrit de films en tout genre dès son plus jeune âge. Il aime le cinéma engagé, extrême, horrifique, les documentaires et partage sa passion sur le podcast d'AlloCiné.

    Sorti il y a cinquante ans aujourd'hui, le chef-d'œuvre culte de George A. Romero a su marquer les esprits, tant pour son extrême violence que pour son discours politique.

    Les Films sans Frontières

    Attention, l'article suivant dévoile des éléments sur l'intrigue de La Nuit des morts-vivants.

    1968. Les États-Unis traversent une période mouvementée, rythmée par des événements qui bouleverseront, à jamais, l’histoire du pays. Cette année-là, les étudiants américains continuent de manifester contre la guerre du Vietnam, les actions féministes se multiplient, Robert Kennedy et Martin Luther King sont assassinés, et les émeutes raciales, déclenchées suite à la mort de ce dernier, font 46 morts.

    Au milieu de ce contexte chaotique, George A. Romero, 28 ans, réalise son premier long-métrage, La Nuit des morts-vivants. Le jeune cinéaste écrit le scénario avec son partenaire John A. Russo et dresse le portrait d’une Amérique malade, dans laquelle les citoyens préfèrent s’entre-tuer plutôt que de s’épauler. Mis en scène avec un budget microscopique de 114 000 dollars, le film en rapporte cinq millions lors de sa sortie et devient, quelque temps plus tard, un monument de l’horreur. En France, il sortira un et demi plus tard, le 21 janvier 1970. C’était il y a cinquante ans, jour pour jour.

    La Nuit des morts-vivants révolutionne la figure du zombie et le transforme en monstre sanguinaire, capable de contaminer ceux qui croiseront son chemin. Plus intéressant encore, le long-métrage doit une partie de sa popularité à son sous-texte politique qui critique violemment la société américaine des années soixante. Et pour cause, les parallèles entre la guerre du Vietnam, qui avait débutée quinze ans plus tôt, et l’œuvre culte sont nombreux.

    Tout d’abord, dans sa forme. George A. Romero tourne en 35mm et en noir et blanc. La simplicité de l’image, en raison du budget très limité, donne au film des allures de documentaires de guerre, semblables à ceux diffusés à la télévision américaine. Durant les années soixante, de nombreux reportages réalisés sur le front, au Vietnam, atterrissaient sur les écrans des foyers. Les familles visualisaient pour la première fois, et depuis leur salon, les horreurs de la guerre. Ce phénomène, qui influencera l’opinion publique par la suite, a même un nom : "the living room war", "la guerre des salons" en français.

    Les Films sans Frontières

    Avec son film, George A. Romero se rapproche de l’esthétisme de ces reportages et de leur violence. Avide de gore et d’hémoglobines, le cinéaste ne lésine pas sur les scènes graphiques et laisse la brutalité s’emparer de l’écran (chose rare pour l’époque). Les sons des hélicoptères et des talkies-walkies rappellent également le champ de bataille.

    Dans son livre American Zombie, publié en 2008, l’avocat et écrivain Douglas E. Winter comparait d’ailleurs les zombies à des soldats, les décrivant comme des "machines à tuer écervelées" ("mindless killing machines"). Autre élément qui évoque la métaphore politique du film : les armes des victimes. Dans La Nuit des morts-vivants, le groupe de survivants jettent des cocktails Molotov sur les zombies, une image qui renvoie aux nombreuses manifestations étudiantes contre l’intervention du pays au Vietnam.

    Un film sur le racisme ?

    Pour le critique de cinéma français Serge Daney, le discours politique du film est tout autre. Dans son article, publié dans Les Cahiers du cinéma en 1970, le journaliste écrivait :  “le vrai sujet du film n’est évidemment pas les morts-vivants, mais bien le racisme”. À l’époque, l’œuvre de George A. Romero se démarque du paysage cinématographique car son héros principal, Ben, est incarné par un acteur Noir, l'excellent Duane Jones.

    Ce qui pourrait passer pour un détail aujourd'hui ne l'était pas du tout lors de la sortie du film. Les talents afro-américains étaient peu représentés dans l'industrie et encore moins dans les films d'horreur. Dans la scène finale, le personnage de Ben est abattu par une milice qui le confond avec un mort-vivant.

    Le cynisme de la séquence n'échappe à personne : le seul protagoniste Noir survit à une invasion de zombies pour finalement trouver la mort face à des officiers de police blancs. Selon le réalisateur, cette scène n'avait pas pour objectif de rappeler les violences policières. Dans le scénario original, le personnage de Ben était blanc et connaissait le même sort.

    "J'ai simplement choisi Duane Jones car il était meilleur que les autres", admettait le cinéaste. Lorsqu'on lui parlait de son rôle, le premier concerné répondait : "Je ne me suis jamais dit que j'avais été embauché parce que j'étais Noir. En revanche, je me suis rendu compte que, parce que j'étais Noir, cela donnait un élément historique différent au film."

    Les Films sans Frontières

    Dans une interview réalisée par Indiewire en 2016, quelques mois avant sa mort, George A. Romero expliquait qu'il n'avait pas du tout l'intention de traiter la discrimination raciale à travers la figure de Ben : "Quand nous avions fait le film, je souhaitais parler du manque de communication, de ces gens qui, même lorsqu'ils font face à des situations improbables, continuent de se quereller pour des choses futiles plutôt que de faire face au vrai problème. C'est quelque chose que l'on retrouve encore aujourd'hui. C'est ce qui m'intéresse vraiment."

    Si la métaphore du racisme était involontaire, le cinéaste n'a jamais refuté celle sur la guerre du Vietnam. Dans les suites qui ont suivi, George A. Romero continue de pointer du doigt les problèmes qui lui tiennent à cœur. C'est le cas avec Zombie (1978), dont l'intrigue se déroule dans un centre commercial, un moyen idéal pour le réalisateur de critiquer la société de consommation.

    "J'ai compris que je pouvais faire revenir mes morts-vivants chaque fois que j'avais quelque chose à dire sur les mutations de la société américaine", explique le metteur en scène à Télérama en 2008. Une occasion rêvée de m'amuser avec les codes du genre, tout en glissant des considérations politiques. Je suis toujours resté fidèle à cette approche."

    Découvrez la bande-annonce "La Nuit des morts-vivants" :

     

    FBwhatsapp facebook Tweet
    Sur le même sujet
    Commentaires
    Back to Top