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    Tout simplement noir : pourquoi vous allez beaucoup entendre parler de ce film
    Brigitte Baronnet
    Passionnée par le cinéma français, adorant arpenter les festivals, elle est journaliste pour AlloCiné depuis 12 ans. Elle anime le podcast Spotlight.

    "Tout simplement noir" arrive en salles. Vous allez sans doute beaucoup entendre parler de cette comédie, par son humour qui va loin, mais aussi surtout par le contexte d'actualité fort dans lequel elle sort. Notre interview avec Jean-Pascal Zadi.

    AlloCiné : Comment vivez-vous le fait que Tout simplement noir sorte dans ce contexte ? Vous avez été en quelque sorte rattrapé par l'actualité...

    Jean-Pascal Zadi, réalisateur, scénariste et acteur : Pour moi ça veut juste dire que le film était ancré dans une réalité et dans une vérité. C’était tellement vrai que finalement on a été rattrapé par la réalité. Ca veut juste dire que, voilà, quand j’ai commencé à écrire le scénario en 2015 et que je voulais parler de cette condition noire française dont la problématique avec la police faisait partie, était une vérité. Je ne me trompais tellement pas que quand j’écrivais ça, malheureusement, tragiquement, il y a eu les événements qui se sont passés et on a été rattrapés par ça. Voilà ce que ça m’inspire. 

    Vous disiez que vous avez commencé à écrire ce film dès 2015… Quand vous êtes arrivé avec cette idée de projet, quelles ont été les premières réactions. Aujourd’hui il y a une évidence. Mais est-ce que ça a été compliqué de convaincre les producteurs ?

    Il y a beaucoup de portes qui se sont fermées quand même au départ. Je me suis fait envoyer paitre par des producteurs. Il y en a qui ont dit « les noirs, ça n’intéresse personne ». Il y en a un autre qui a dit « JP n’est pas assez sérieux pour qu’on monte un film sur lui ». Je ne sais pas ce que c’est être sérieux au cinéma. C’est un jargon qui ne regarde que lui. Et finalement ça a été une rencontre, la rencontre avec Gaumont, avec Franck Weber et Marc Vadé, qui a fait que ce film a pu exister. C’était un propos qui leur semblait assez logique, et porteur en tout cas. Ca a été difficile, oui. Je l’ai porté pendant longtemps, mais finalement, comme tout dans la vie, c’est une histoire de rencontre. Ce sont les bonnes personnes qui ont su m’écouter à ce moment là, et qui ont pensé que je n’étais pas si fou que ça, et qu’il fallait porter cette histoire là.

    Est-ce que votre film ressemble au projet que vous vous en faisiez au début ? Est-ce que vous vous êtes en quelque sorte aussi censuré par moments ? Etes-vous allé aussi loin que ce que vous vouliez ?

    Oui, oui. C’est le film que je voulais faire dès 2015. Le fait d’avoir été rejoint dans l’aventure par John Wax a fait que finalement le film a même encore dépassé mes espérances. John Wax qui a coréalisé le film avec moi a aussi son humour, son univers, et ce sont ces deux univers qui ont fait que ça a donné ce truc là brut. Mais oui, ce que je peux dire, c’est qu’à aucun moment, je dis bien aucun moment, on ne s’est censuré. Je pense que ça se voit dans le film. Il y a des blagues très trash, des propos choc, des punchlines comme on dit dans le rap. Je n’ai pas du tout été censuré, parce que finalement ces phrases choc qui sont dites par certains acteurs sont au service d’un propos qui était assez simple et universel, qui était de dire : voilà, la communauté noire en gros ça veut rien dire. Il faut voir les gens comme des êtres humains finalement. Etre Noir, ça ne veut rien dire. Moi et Fabrice Eboué on s’adore. Tous les deux, on est Noir, mais on a rien en commun.

    Tous différents, c’est aussi ça le message On ne peut pas parler de Noir, tout simplement… C’est aussi quelque chose d’important : montrer la diversité de la diversité...

    Oui, ça me semblait hyper important de montrer que finalement on a beaucoup d’étiquettes. Dans la société, j’ai l’impression qu’on se construit en se mettant une étiquette. Parfois on nous la met, parfois on se la met soi-même. Mais je pense que pour que la société aille mieux, pour qu’on aille tous mieux, il faut s’enlever ces étiquettes et se regarder dans les yeux en tant qu’êtres humains, se parler sans se dire « ah je suis en train de parler avec un Blanc », « je suis en train de parler avec un Noir »… Faut se parler concrètement, honnêtement entre êtres humains parce que finalement le grand drame de tout ça, c’est qu’à cause des étiquettes, ça peut amener à certains drames comme on a vu avec Adama Traoré, ou George Floyd, qui ont été perçus comme Noirs, donc fous, donc caillera, donc machin, donc ces policiers là se sont permis de faire ces actes là. C’est cruel parce que s’ils étaient juste vus en tant qu’êtres humains, rien du tout de tout ça, je pense, ne serait arrivé.

    Votre film va loin dans l'humour et certaines situations semblent vécues. Il y a aussi beaucoup d'autodérision de votre part...

    Le ressort du film était celui-ci : comme on a pris le prisme de faire un faux documentaire, il fallait que les gens jouent leur propre rôle pour ancrer le film dans une espèce de réalité. Le petit plus est que finalement chacun des personnages dans le film joue l’image que le public a d’eux. On joue avec cette image là. C’était très intelligent de leur part parce que finalement ça permettait de montrer que chacun avait du recul sur soi et que ce qu’ils projettent au public, ce n’est pas forcément la réalité. La preuve, je m’en amuse, je rigole avec.

    En revanche, il y en a un qui est très loin de l’image qu’on peut se faire de lui dans le film, c’est Fary. On en a fait une espèce d’ordure producteur accro à l’oseille, une espèce de Sarkozy de la production… Fary n’est pas du tout comme ça, il est très humble, il est très partageur, il a ouvert un Comédie Club où il les laisse des stand-uppers tenter leur chance. Donc je tiens à préciser que Fary n’est pas du tout comme dans le film. C’est  un rôle de composition !

    Vous avez dans le film un défilé de guests assez impressionnant. Est-ce que ça a été compliqué de les avoir tous ?

    Le film repose aussi beaucoup sur eux et on va de surprise en surprise. Franchement, ça n’a pas été si dur, et je pense que ce qui a fédéré toutes ces énergies, c’est le message principal du film, qui était « venez, on s’organise, on fait un truc ensemble et montrer qu’être Noir en France, ce n’est pas si simple que ça ». C’est le message qui a fait que tout le monde s’est greffé. 

    Votre film aborde également la question des clichés que le cinéma français associe aux Noirs dans une scène très drôle. Est-ce qu'elle s'inspire de votre vécu, et diriez-vous qu'il y a encore beaucoup de travail dans ce domaine pour que ça change ?

    Oui, ce sont des choses vécues. Mais je dirai qu’il ne faut pas non plus tout remettre sur le cinéma français. Ce sont les clichés que les gens ont en général sur les Noirs. Après, moi, comme j’ai roulé un petit peu ma bosse dans le cinéma, les castings, j’ai vu vraiment que certains imaginaires de certains réalisateurs étaient très cliché.

    Finalement j’ai l’impression que ce que j’essaye de combattre à travers le film, c’est à dire l’image qu’on a du Noir, on peut l’étendre aussi à l’image qu’on se fait de la femme, l’image qu’on se fait des personnes en situation de handicap, l’image qu’on se fait des Asiatiques. Il est grand temps qu’aujourd’hui que tous ceux qui se sentent un peu marginalisés par la masse dominante du cinéma français prennent les armes et écrivent leurs propres scénarios, prennent les caméras et essayent de se faire chier à faire des films pour qu’on ait aussi leur vision de la société. 

    Favoriser une diversité de récits…

    Le problème de la diversité dans le cinéma français se règlera lorsqu’il y aura des producteurs, des distributeurs, des gens dans les commissions du CNC, des scénaristes issus de la diversité… C’est un problème global. Je ne pense pas que parce qu’on va mettre des Noirs dans Joséphine, ange gardien, ça va changer quelque chose pour nous. Ce qui va changer quelque chose, c’est quand nous rentrerons concrètement dans le jeu, et que nous aussi on aura certaines clés qui permettront d’ouvrir. J’ai vraiment envie de participer activement à cette évolution.

    Avant vous, il y a aussi eu le film Les misérables qui probablement aussi a dû aider…

    Chaque film comme ça est important. Un film qui marche bien avec un réalisateur Noir ou quelqu’un issu de la diversité, c’est bien, parce que ça envoie un message fort à toute la profession : "Regardez, nous aussi on peut faire des choses. Nous aussi, on amène les gens en salles".

    Tout Simplement noir n'est pas votre premier long métrage. Vous aviez précédemment réalisé trois films. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre parcours ?

    J’ai commencé par autoproduire mes films. J’ai acheté une caméra à crédit avec la carte Fnac parce que je n’avais pas d’argent. Et comme je n’ai pas remboursé la caméra, j’ai été interdit bancaire. Avec cette caméra, j’ai commencé à tourner un documentaire sur le rap. C’est vraiment le tout premier truc que j’ai fait. Ca s’appelait Des halls au bac, et une fois que j’ai fini ce documentaire, les rappeurs qui m’avaient vu avec une caméra se sont dit que j’étais réalisateur alors que je ne l’étais pas du tout. J’ai commencé à faire plein de clips de rap, mais après j’en ai eu marre.

    C’est là que j’ai écrit mon premier film qui s’appelait Cramé, dans lequel il y avait plein de rappeurs. Il est sorti en 2008 en DVD. Et comme c’était les premiers films avec des rappeurs et qu’il était au rayon rap, ça a cartonné. Ensuite, j’ai fait African Gangster, mon 2ème film, avec un des rappeurs qui était dans mon film Cramé, qui s’appelait Alpha 5 20. C’était un blockbuster pour moi car il y avait 20 000 euros de budget. C’était incroyable pour moi, d’ailleurs je pense que j’avais plus de pression quand j’ai fait African Gangster que quand j’ai fait Tout simplement noir. Ca a super bien marché. Et ensuite, j’ai fait Sans pudeur ni morale.

    Ces trois films m’ont permis de comprendre qu’être réalisateur, c’était juste faire des films et donc j’ai appris mon métier. Ca m’a mis entre guillemets en confiance car ça m’a montré que j’étais capable de faire quelque chose. Avant de faire des films, je ne savais pas de quoi j’étais capable dans la vie. Je ne savais même pas que réalisateur ça existait. Donc finalement, c’est grâce au rap et aux clips de rap que je suis arrivé à tout ça. La culture hip hop a été très formatrice pour moi, dans le sens où elle m’a encouragé à faire des choses par moi-même, à mettre de l’énergie, à être authentique, à être soi-même.

    Et vous-même aujourd’hui vous allez peut être inspirer des jeunes pour devenir réalisateur…

    Ce serait super. J’ai hâte de pouvoir commencer à aider les autres, produire des films d’autres réalisateurs, pouvoir tendre la main. C’est très important pour moi de ne pas rester dans mon coin et de faire mon truc tout seul. J’ai tout de suite envie de produire des gens. C’est juste ouvrir la porte. Si avec Tout simplement noir, ça peut créer des vocations pour des gens qui étaient comme moi avant, jeune ado Noir et qui pensait qu’il servait à rien, et se disent que c’est possible de faire des choses, pour moi ça vaut 10 millions d’entrées !

    Quels sont vos projets après ce film ?

    Il y a la saison 2 de Craignos que je vais tourner cet été, et nous sommes déjà en train d’écrire un deuxième film avec John Wax. 

    Tout Simplement Noir
    Tout Simplement Noir
    Sortie : 8 juillet 2020 | 1h 30min
    De Jean-Pascal Zadi, John Wax
    Avec Jean-Pascal Zadi, Caroline Anglade, Fary
    Presse
    3,8
    Spectateurs
    2,8
    Voir sur Netflix

    Propos recueillis via Zoom le 23 juin 2020 

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