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    Kusturica encore montré du doigt

    Emir Kusturica vient d'intenter une action en justice contre un écrivain serbe, qui l'a accusé d'avoir collaboré avec le régime de Slobodan Milosevic.

    Encore des soucis politiques pour Emir Kusturica. Le cinéaste né à Sarajevo, qui vit aujourd'hui à Belgrade, essuie une fois de plus les critiques des adversaires du régime de Slobodan Milosevic en ex-Yougoslavie. Cette fois, c'est Biljana Srbljanovic, une jeune écrivain serbe, qui remet de l'huile sur le feu, en déclarant à l'hebdomadaire serbe Vreme que le réalisateur avait collaboré avec le régime de Slobodan Milosevic, et qu'il avait reçu de l'argent de ce gouvernement. Pour étayer son propos, elle a cité Underground comme exemple d'une propagande en faveur du régime de l'ancien dirigeant yougoslave.

    Dans un premier temps, Emir Kusturica a simplement demandé à l'écrivain de s'excuser pour les propos tenus. Devant son refus, le réalisateur a décidé de la poursuivre en justice. Ce sera donc au tribunal de déterminer si les propos de Biljana Srbljanovic relèvent de la diffamation, comme l'estime Emir Kusturica, ou si ils s'avèrent fondés. Pour cela, la justice devra se pencher sur le financement d'Underground : le cinéaste devra donc prouver que le film a bien été produit par des capitaux étrangers.

    Un financement mal défini

    Cela ne devrait pas être difficile. En effet, les contrats de coproduction enregistrés au registre public de la cinématographie et de l'audiovisuel (RPCA) par Ciby 2000, producteur exécutif d'Underground, font état d'une coproduction tripartite entre Ciby 2000 (France) à 60%, Pandora Films (Allemagne) à 30%, et Film Novo (Hongrie) à 10%. Sur l'implication de la télévision serbe dans le financement du film, les sources sont plus imprécises. Il semble qu'Underground ait bénéficié de l'aide automatique attribuée par la RTS, la radio-télévision serbe, aux films tournés sur le territoire. Cette subvention, normalement attribuée sans distinction politique, n'a, par exemple, jamais été versée à d'autres réalisateurs clairement identifiés comme opposants au régime de Slobodan Milosevic, comme Goran Paskaljevic pour Baril de poudre.

    Selon les détracteurs d'Emir Kusturica, l'apport capitalistique de la RTS n'aurait pas été limité à cette simple subvention. Au vu des contrats enregistrés comme la loi l'exige au RPCA, rien ne permet de corroborer les allusions selon lesquelles la RTS aurait versé 10 millions de dollars à Ciby 2000. Cette dernière a d'ailleurs démenti cette rumeur, en confirmant que la RTS n'avait pas coproduit le film, mais qu'elle l'avait pré-acheté. Sur les conditions de ce pré-achat, les données sont en revanches plus floues. Une étude sur le financement du cinéma en Europe de l'est, menée par Dina Iordanova pour l'Université de Leicester, mentionne que la RTS aurait rendu des "services" à la production. Selon l'auteur, Emir Kusturica aurait expliqué que l'apport de la RTS consistait en prêt de matériel et de studios pour le tournage.

    La justice aura donc la lourde tâche de déterminer la véritable nature des relations entre Emir Kusturica, Ciby 2000 et la RTS : coproduction, ou simple prestation de service ? Elle devra également juger si la nature de ces accords constitue une collaboration entre Emir Kusturica et le régime de Slobodan Milosevic. Nul doute qu'elle sera embarrassée par la multiplicité de la carrière du "suspect". En effet, si Emir Kusturica, le cinéaste, est accusé de collaboration, que dire du musicien Emir Kusturica, membre du groupe No Smocking Orchestra, une formation connue et reconnue pour son opposition au régime de Slobodan Milosevic, depuis 1986, c'est à dire bien avant les faits reprochés ?

    Une accusation aux lourdes conséquences

    Reste que six ans après la polémique qui avait sali Underground juste après l'obtention de la Palme d'or à Cannes en 1995, il est toujours aussi dommageable de voir à quel point un film dénué de toute haine ait pu en susciter autant. Rappelons pour mémoire que l'ampleur de la polémique avait considérablement nui à la carrière du film : Underground a réalisé moins de 350 000 entrées en France à l'époque, et a eu le plus grand mal à s'exporter aux Etats-Unis. Et, faute de pouvoir rentrer dans ses frais, Ciby 2000 a mis la clé sous la porte. Ce qui aux dernières nouvelles, n'est pas arrivé à la RTS. Cette même RTS qui, lors de la diffusion d'Underground sur son antenne en janvier dernier, n'a pas hésité à couper certaines scènes du film.

    Emir Kusturica, blessé par toutes ces attaques sur un film qui l'avait mobilisé durant plusieurs années, de la préparation à sa sortie en salles, avait même envisagé un temps d'abandonner le cinéma. Voyant l'un de ses détracteurs "sévir" au cinéma, il avait finalement changé d'avis, et tourné Chat noir, chat blanc. Il a ensuite participé en tant qu'acteur à plusieurs films, dont La Veuve de Saint-Pierre de Patrice Leconte, pour lequel il a été nommé pour le César du meilleur second rôle masculin, et Double down de Neil Jordan.

    Parallèlement, le réalisateur poursuit sa carrière de musicien au sein de No Smocking Orchestra, une vie nomade qu'il raconte dans son dernier film, Super 8 stories. La longue tournée entamée par le groupe en 1999 se poursuit jusqu'à fin octobre. Après un nouveau passage par la région parisienne, la formation s'envolera pour l'Amérique du Sud. Ce n'est donc que début novembre que le réalisateur pourra reprendre la préparation de son prochain film. Provisoirement intitulé Hungry heart, il devrait se tourner en Yougoslavie, dès février prochain, durant sept mois. Aucun détail en revanche sur l'histoire : le scénario n'est pas encore achevé. Affaire à suivre...

    F.M.L

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