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    Tomb Raider : Lara Croft, génèse d'un sex symbol virtuel en devenir
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    Née en 1996 avec ses toutes premières (més)aventures dans "Tomb Raider", considérée comme un des premiers sex symbol de l'univers des jeux vidéo, Lara Croft ne devait pourtant pas être tout à fait ce qu'elle est devenue peu après sa création.

    Core Design / EIDOS

    Officiellement née en novembre 1996 avec ses premières (més)aventures baptisées Tomb Raider, Lara Croft s'est rapidement imposée comme un authentique phénomène culturel; certains croyant déceler dans ce personnage apportant un incontestable vent de fraîcheur dans le petit monde des jeux vidéo un changement de perception de celui-ci, passant d'un univers geek à celui de grand public. D'autres encore voient dans ce personnage une des toutes premières héroïnes de jeux vidéo à devenir un véritable Sex Symbol auprès du grand public. Si elle est aussi une machine à fantasmes pour les hommes et surtout les adolescents, elle attire aussi un tout nouveau public féminin aux jeux vidéo.

    Quoi qu'il en soit, le dieu du marketing se chargera d'assaisonner le personnage sur à peu près tout et n'importe quoi, de la bouteille de thermos au blouson en cuir en passant par une ligne de vêtements siglée au nom de Lara. Quand l'héroïne de pixels ne faisait pas de surcroît l'article pour une voiture de la marque Seat, elle faisait régulièrement la Une de la presse internationale, du très sérieux Time à Newsweek en passant par le Financial Time, le Wall Street Journal, et même en France, comme le journal Libération, qui fait carrément sa couverture sur elle. "Une star virtuelle est née" titre le quotidien. "L'héroïne du jeu vidéo Tomb Raider acquiert une notorité mondiale. Lara Croft vole la vedette aux stars humaines. Pour la première fois, une créature virtuelle envahit l'univers médiatique et créatif" écrivait, enthousiaste, le journaliste Olivier Séguret dans les colonnes du journal le 26 juillet 1997.

    La lucrative licence Tomb Raider et son icône virtuelle a aussi donné lieu notamment à des Comics, une web série animée, des romans, deux longs métrages avec Angelina Jolie dans le rôle-titre, avant qu'Alicia Vikander ne reprenne le flambeau dans le sobrement intitulé Tomb Raider. Quoi que l'on puisse penser des deux longs métrages sortis en 2001 et 2003, le personnage campé par l'actrice était finalement assez fidèle à l'image de l'aventurière, belle, riche, intelligente et ultra athlétique que véhiculait le jeu, jusque dans les mensurations de l'héroïne et son tour de poitrine défiant un peu les lois de la gravité...

    En mars 2017, l'éditeur Square Enix évoquait le chiffre -astronomique- de plus de 40 millions d'exemplaires de jeux vendus depuis la création du personnage, faisant de l'héroïne humaine Lara Croft la figure féminine ayant vendu le plus de jeux. Un record qui sera d'ailleurs entériné par le Guinness des records cette même année.

    De Laura Cruz à Lara Croft

    Bien loin de toutes ces considérations mercantiles et du culte voué à cette Pine-Up d'un nouveau genre se trouvait Toby Gard, le Graphic Designer et créateur du fameux personnage, au sein du studio de développement britannique Core Design. Une idée, portée par Toby Gard, germe au sein de l'équipe. Avec l'évolution technologique des machines, elle souhaite créer un jeu d'aventure en 3D qui ressemblerait presque davantage à un film interactif qu'à un jeu vidéo, avec des puzzles et des énigmes à résoudre. Les premières illustrations montrent ainsi des représentations en 3D - fils de fer de temples, pyramides, jungles et autres tombes.

    Le développement du jeu commença ainsi en 1993. Toby Gard travailla sur cinq prototypes différents avant de parvenir à l'apparence finale du personnage. "Mon Design original était juste un gars dans une tombe. Mais en développant le concept, le personnage féminin collait mieux" disait le créateur dans une interview donnée au Guardian en 2006. En fait, Il avait initialement envisagé un personnage principal masculin, avec un fouet et un chapeau. Où l'on reparle du fantôme de ce bon vieux Indy... Le cofondateur de Core Design, Jeremy Smith, estima que ce personnage ressemblait trop à un simple dérivé d'Indiana Jones, et demanda plus d'originalité. Actant l'idée de faire du personnage du jeu une femme, qui aurait selon lui plus d'impact, Toby Gard voulait aller à l'encontre des personnages féminins stéréotypés, les habituelles "bimbos" et "dominatrices" comme il le dira dans une autre interview en 2007, alors qu'il travaillait comme consultant auprès du studio Crystal Dynamics pour Tomb Raider : Legend. "Il y avait quelque chose de mystérieux chez elle, et une appréhension du danger, ce qui lui donnait une réelle différence avec les autres personnages féminins de jeux vidéo, qui étaient le plus souvent de simples objets sexuels" lâchait Gard dans cette même interview.

    Ci-dessous, un montage parallèle montrant l'évolution graphique du personnage et des jeux de la franchise Tomb Raider, en 20 ans. Le bond qualitatif est impressionnant !

    A une époque où la pratique des jeux vidéo est une activité essentiellement masculine, l'idée de faire d'une femme le personnage central d'un jeu suscite de vraies inquiétudes. Jeremy Smith donne finalement le feu vert à Toby Gard pour creuser dans ce sens. Inspiré par l'artiste pop Neneh Cherry et le personnage de comics Tank Girl, Gard tente différentes esquisses, allant d'une femme très musclée à une militante à l'aspect nazi portant une casquette de Baseball, en passant par une sociopathe blonde. A force d'itérations, ils tombent d'accord sur un personnage d'origine sud-américaine, coiffée d'une longue natte et en pantalon, doté de qualités physiques / sportives de niveau olympique, experte dans les antiquités et survivante née. Gard lui donne alors le nom de Laura Cruz.

    Un nom qui ne suscite pas franchement l'enthousiasme chez l'éditeur Eidos, qui vient justement de racheter le studio de développement Core Design. Il penche ainsi sur un nom à consonnance plus britannique. Les six personnes composant l'équipe de développement ouvre alors l'annuaire de la petite ville de Derby, où se trouve les locaux du studio, et épluchent les noms, avant de soumettre le nom à un vote. Ca sera finalement Lara Croft. La modification de son nom s'accompagne logiquement d'un changement de son background. Exit l'Amérique du Sud, place à la Grande-Bretagne. Lara Croft devient une richissime héritière d'une dynastie, rejetant le confort des salons de son immense demeure pour sillonner les quatres coins du globe à la recherche d'antiquités oubliées.

    Gard souhaite animer son personnage avec le plus grand soin. "Je me suis vraiment appliqué à animer Lara avec le plus grand soin" expliquait-il, "ce que les autres ne faisait pas à cette époque". En fait, il veut donner à son personnage une démarche réaliste, donc des mouvements plus lents que ce que l'on voyait dans les productions vidéoludiques de l'époque. Les limites graphiques des machines d'alors poussent l'équipe à abandonner l'idée de lui créer une natte, qui fera son apparition dans les épisodes ultérieurs. Alors qu'il était en train de faire des ajustements sur la volumétrie du personnage, Toby Gard aurait accidentellement augmenté le volume de la poitrine de Lara de... 150%, au lieu des 50% souhaités. Avant même qu'il puisse changer cela, le reste de l'équipe approuve le surgonflage de la poitrine de l'héroïne, qui fera aussi sa célébrité...

    Le créateur dépossédé de sa créature

    Les courbes généreuses de l'héroïne vidéoludique feront en tout cas les délices du service marketing de l'éditeur Eidos, qui ne se prive pas de mettre en avant une Lara Croft moins vêtue. Et peu importe les analyses de scientifiques qui se penchent sur les courbes hors normes du personnage, estimant qu'avec de telles proportions mammaires, une personnes ne serait pas capable de marcher droit. Car c'est le jackpot : d'un déficit de 2,6 millions de $, Eidos engrange des bénéfices nets de 14,5 millions $ en un an. Sa stratégie se révèle payante. De son côté,Toby Gard goûte assez peu d'être dépossédé de sa création et de voir ce qu'Eidos en fait; c'est-à-dire l'inverse de ce qu'il recherchait. Il quitte finalement le studio Core Design. Dans l'interview donnée au Guardian en 2007, il explique son choix ainsi : "ce n'est pas lié à l'augmentation de la taille de ses seins" expliqua-t-il; "elle a toujours été conçue dans l'optique d'être un personnage physiquement attirant. La psychologie montre que les gens aiment les personnages attirants des deux sexes. Ce qui ne m'a pas plu, c'est tout le marketing autour, qui représentait Lara d'une manière qui était totalement à l'opposé du personnage que j'avais créé. je n'ai pas aimé cela à l'époque, et ca m'a incité à vouloir garder le contrôle des personnages que je créerai dans le futur; je suis donc parti".

    La suite appartient désormais à l'Histoire. Malgré une popularité déclinante dans les années 2000, qui s'est d'ailleurs faite dans le sillage de ses secondes aventures cinématographiques, Tomb Raider : le berceau de la vie, la franchise Tomb Raider et son héroïne a su traverser les années, contre vents et marées. Jusqu'au formidable Reboot vidéoludique de 2013, orchestré d'une main de maître par le studio Crystal Dynamics, accompagné d'une suite sortie en 2015, Rise of the Tomb Raider. Reprenant le personnage à zéro, Crystal Dynamics s'est attaché à rendre le personnage plus crédible, et a modifié ses proportions physiques ainsi que sa capacité d'interaction avec l'environnement du jeu. Un bain de jouvance du meilleur effet, désormais appliqué au cinéma avec brio par Alicia Vikander, qui fait honneur à cette icône vidéoludique absolue.

    Toby Gard, le Graphic Designer de Lara Croft

    Toby Gard démissionna du studio Core Design en 1997. Il acceptera de travailler comme consultant extérieur pour le studio de développement Crystal Dynamics en 2006, sur l'opus Tomb Raider : Legend. C'est à ce studio que l'on doit notamment le reboot des aventures de Lara Croft en 2013 et sa suite; un personnage plus proche des intentions de départ.

    La Une de Libération consacrée à Lara Croft, le 26 juillet 1997

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