Réalisateur incontournable des années 80, John Carpenter a durablement marqué l’histoire du 7e art et magnifié le cinéma fantastique dont il a fait son fonds de commerce. Je n’ai, pourtant, vu que très peu de films du maître… sans doute craintif à l’idée que le spectacle proposé ait mal vieilli (problème récurrent des films des années 80). La claque que m’a foutu "The Thing" (pourtant remake de "La chose venue d’un autre monde", sympathique film SF archétypal des années 50) a été d’autant plus belle ! Ce n’est pas compliqué : ce film est, tout simplement, un peu bijou d’oppression et de paranoïa qui a inspiré toutes un de génération de cinéastes (voir, par exemple, Robert Rodriguez et son "Faculty"). Il faut dire que John Carpenter a eu l’intelligence de ne reprendre que le cadre du film original (une base perdue dans l’Antarctique) et la présence d’un mystérieux extra-terrestre… ce qui lui permis d’éviter le piège de la redite mais, également, du survival horrifique où le monstre se contente de tuer les personnages les uns après les autres (idée d’autant plus judicieuse que "Alien" est sorti 3 ans avant). L’intérêt du réalisateur ne se porte, d’ailleurs, pas tant sur la Chose en elle-même que sur les conséquences de sa présence dans cette base américaine. En lui conférant des facultés métamorphes lui permettant de copier sa victime, Carpenter transcende la menace que représente la Chose qu n’a pas d’apparence propre et apparaît davantage comme un virus (on est loin de l’alien végétal du film original) et, surtout, transforme son film en un sommet de tension continue où il est impossible de se fier à qui que ce soit. Le spectateur est, lui-même, mis à rude épreuve puisqu’il en vient à douter de tous les personnages, y compris le héros McReady (fantastique Kurt Russell, qui éclabousse le film de sa cool attitude)… ce qui change des films habituels où on sait que le héros désigné est pur et survivra ! Ce sentiment de parano est formidablement orchestré par un scénario brillant, qui a l’intelligence de ne pas donner toutes les réponses
(comment la Chose s’est-elle emparée de certains personnages ? quand et comment tente-elles de brouiller les cartes ?)
ce qui rapproche le spectateur de la situation des personnages et évite les sempiternelles scènes d’explications (assénées, en principe, par un personnage invraisemblablement omniscient) ainsi que certaines scènes dispensables (pas de flash-back explicatifs et c’est tant mieux !). Quelle idée de génie, d'ailleurs, de démarre l'intrigue tout juste après
un premier massacre qu'on ne voit jamais à l'écran et dont le pouvoir d'évocation est forcément terrible (voir l’exploration de la base norvégienne)
. La parano est, également, transcendée par la fantastique mise en scène de Carpenter qui impose une ambiance extraordinairement pesante au film par le biais d’une musique géniale (Ennio Moriconne à la baguette… en lieu et place de Carpenter qui officie d’habitude à ce poste), d’un jeu de lumière où l’obscurité est magnifiée, de décors très réussis et, plus généralement, d’une réalisation qui prend son temps… pour mieux surprendre le spectateur lors des séquences plus horrifiques. Ces scènes
(où la Chose se révèle en déformant monstrueusement le corps de son hôte)
ont fit la renommée du film (mention aux effets spéciaux en animatroniques, incroyables pour l’époque et qui tiennent encore la dragée haute aux SFX discutables de certaines productions horrifiques actuelles)… mais, paradoxalement, ne sont pas son moteur principal. Elles servent davantage à crever l’abcès de tension pure qui s’est accumulée jusque-là et sont, pour certaines, de fantastiques moment de terreur
(ah, Windows en cours de transformation et son monstrueux cri dans la nuit !)
. Ceci étant dit, même les séquences moins horrifiques nous réservent de très grand moments, tels que
l’intrigante scène d’intro avec l’hélicoptère chassant le chien, la cultissime scène du test sanguin ou encore la génialissime séquence finale, d’une noirceur superbe
. Enfin, Carpenter réussit un sans faute en soignant ses seconds rôles qui ne sont pas qu’un tas de futures victimes fongibles mais une galerie de personnages attachants (et surtout, bien différenciés) dans lequel se fond parfaitement le héros McReady. On retiendra, notamment, Donald Moffat en chef de la sécurité, Keith David en mécano, Wilford Brimley en chercheur ou encore Charles Mallahan en météorologue. Que reprocher, dès lors, à "The Thing" ? Une imagerie 80’s qui parait un peu vieillotte aujourd’hui ? Le film a bien moins souffert que bon nombre de ses contemporains. Un sujet forcément moins grand public ? C’est le cas de tous les films d’horreur. Non vraiment, en cherchant, je ne trouve rien à redire à ce film qui restera comme l’un des chefs d’œuvre de Carpenter.