Voici un fruit qui passe bien, ma foi! Piquées des vers des faux-semblants, ces pommes à la fois centrales et accessoires ne nous livrent pas une connaissance facile des protagonistes. Ceux-ci, troublants, complexes, torturés sans vouloir trop le montrer, témoignent d'une grande ambiguïté et on risque de se perdre dans le dédale de leurs intériorités que le réalisateur nous livre par petites touches, qu'il nous suggère plus qu'il ne les étale. Pour notre plaisir; car le plaisir est là, indéniable: on se laisse prendre volontiers par cette histoire apparemment simple d'un pasteur voué corps et esprit au sauvetage des âmes les plus tordues, les plus sombres.A.T. Jensen livre un film intensément dramatique bien que parfois à la limite de la comédie - mais d'un humour bien noir, entaché de violence et de dérision.
Caméra riche de sens, inspirée... la symbolique est partout, y compris dans les noms des héros. Le bon pasteur, c'est Yvan, évocation du Terrible tsar? peut-être tant cet être aux dehors d'impassibilité, d'inébranlable moralité, de dévouement... a dans le fond de son âme des noirceurs insoupçonnées, des traumatismes effroyables qui ont fait dérailler sa délicate machine mentale. Se voulant l'instrument de Dieu, n'est-il pas un peu celui du Malin?
En face, Adam, skinhead nazillon adorateur du Führer, casseur d'arabes, à la violence à fleur de peau. Le Mal incarné? Pas sûr... au fil du film, il va révéler une profondeur inconnue de lui même, une sorte de compassion active qui ne cesse de nous étonner - et lui aussi! Cet Adam est-il le premier homme, celui certes qui fauta (il sort de taule!) mais qui accéda aussi à la connaissance du Bien et du Mal. Et c'est bien pour moi la thématique centrale de cette œuvre chargée: l'inextricable mélange de ces deux tendances, de ces deux forces, visible dans chacun des personnages. Yin et Yang intimement mêlés, chaque être est un Janus biface qui peut révéler , selon les circonstances, le pire ou le meilleur.