Haneke va manier avec plein de talent son sujet pour plonger le spectateur dans une profonde intensité, dont il pourra très difficilement se sortir. Il use et abuse de longs plans fixes, qui vont avoir plusieurs utilités. La première va être de se concentrer sur des objets du décor, apparemment insignifiants, et de laisser toute l'action se produire en hors-champ (durant le film il doit y avoir autant de dialogues dans le champ qu'en dehors), c'est le cas lors de l'arrivée de la famille dans leur maison, c'est aussi le cas lorsque Naomi Watts se trouve dans la serre, par exemple. Ce procédé sert vraisemblablement à montrer que quoique ces gens fassent, ils sont condamnés. Il joue volontairement sur l'ignorance totale de leurs faits et gestes pour montrer cela. Cette sensation de fatalité que l'on retrouve tout au long du film est d'ailleurs reproduite dès les premières secondes. L'intérêt vraiment essentiel de ces longs plans fixes va se retrouver sublimé vers la moitié du film, quand nous aurons un seul plan d'une dizaine de minutes, qui alternera entre la souffrance de la mère et du père, dans une scène marquante qui dérange forcément. Le réalisateur insiste bien sur le fait de montrer d'abord la femme, puis l'homme, et non les deux en même temps, alors que selon une logique réaliste, cela aurait du être le cas. Mais il veut faire durer ce passage très troublant, et c'est là que le spectateur va clairement être embarqué dans une sorte de voyeurisme malsain. Devant le pathétique de cette scène, c'est comme si l'on insistait pour nous montrer que c'est nous qui voulons voir cette souffrance à l'écran, que ça nous fait plaisir. Ici il pousse le spectateur à se sentir aussi sadique et détraqué que les criminels. J'ai par ailleurs une forme de fascination pour ces deux jeunes hommes antipathiques, et surtout pour Paul, le personnage principal du film. La politesse, l'humour, le désintérêt, le pouvoir, il dispose de tout. S'adressant de temps en temps à la caméra, on devient son plus fidèle complice, lui n'est là que pour satisfaire nos désirs les plus sombres. En réalité, Paul n'est autre qu'un personnage-dieu qui symbolise le réalisateur. Je disais que Haneke rompait avec les codes du cinéma, c'est bien le cas, il ne montre quasiment aucune action directement devant la caméra. Ces actions, qui gagnent en cruauté au fil des minutes, nous sont uniquement suggérées à travers tout le travail réalisé en hors-champ. L'ensemble du film est organisé pour que l'on n'aperçoive aucune forme (ou presque) de violence. On la ressent, on la palpe, mais on ne la voit pas, la seule chose que l'on voit, c'est le travail psychologique, qui en devient bien plus dérangeant de que simples images sanglantes. C'est vraiment avec ce genre de méthodes que le film trouve toute son originalité, car l'on pourrait penser que dans un film qui critique la violence, voir de la violence dans son état le plus brut est impératif. Ici, Haneke prouve le contraire. Si l'on est tant marqués, abasourdis, choqués, ce n'est pas par l'acte violent, mais par les causes et les conséquences psychologiques de ces actes, car ce sont les éléments qui en deviennent les plus troublants. Le défi est réussi, le tout est pesant, et s'imprègne en nous pour nous faire ressentir la douleur, la vraie. S'il fait effectivement une critique de la violence, le réalisateur s'amuse aussi des thrillers habituels, et à travers cela, se moque du spectateur, qui est généralement manipulé par le cinéma. Il exagère tous les procédés que l'on peut retrouver régulièrement dans ce genre de film, pour montrer à quel point ils sont futiles et prétextes à un divertissement malsain. "La fiction, c'est la réalité, donc le film est réel". Idée majeure du film, transmise à nouveau grâce à ces personnages, qui sont bien plus que de simples personnages. Tout est mené d'une main de maître dans ce long-métrage, que ce soit la réalisation, l'utilisation du hors-champ, le choix des musiques, les couleurs, ou encore le thème du jeu et du vice. Et surtout, en point d'orgue, la complicité entre le réalisateur et le spectateur, qui arrivera à faire passer son message grâce à des acteurs géniaux et à une exagération de certains procédés cinématographiques qui vont finir par rendre mal à l'aise. Mal à l'aise mais dans le bon sens du terme, c'est à dire que le film est marquant, mais pas seulement, il est génial, car il respire d'intelligence et d'humour, ce qui permet de rendre la critique plus sincère, plus humaniste. Rien n'est laissé au hasard, tout est important et parfaitement ajusté. La tension est constante, et c'est l'oeuvre toute entière qui est alors maîtrisée à la perfection, rendant l'expérience cinématographique tout simplement unique.