Sixième long-métrage du réalisateur Tim Burton, Ed Wood fait le choix d'évoquer, en l'espace de deux heures et sept minutes, la vie et le travail d'Ed Wood, cinéaste sacré "le plus mauvais de tous les temps". Étonnant de la part de Burton, qui n'a pas franchement d'affinités particulières pour le genre du biopic ("Je ne suis pas un très grand fan du genre. Quand je vois des biopics, je ne les trouve ni réalistes ni vraiment intéressants. Je n'aime pas que l'on me dise: "En 1959 ceci est arrivé", car je ne crois pas à ce genre d'objectivité.").
En fait bien plus qu'un biopic, Ed Wood se veut une réflexion sur le processus de création artistique. Malgré les ratages successifs qu'il met sur pied (Glen or Glenda?, Bride of the Monster, Plan 9 from outer Space), Ed Wood ne perd ainsi (presque) jamais en confiance en lui-même et ne perd jamais cette soif de création et cet amour pour le cinéma qui le caractérisent. C'est cela qui intéressait le réalisateur de Beetlejuice et d'Edward aux mains d'argent en tout premier lieu: "Ce qui est important, c'est le processus créatif et le plaisir qu'on y prend. Il faut accorder cela à Ed Wood: la flamme qui l'animait (...), voilà ce que j'aime dans son personnage. Il est rare de rencontrer à Hollywood des gens qui sont simplement heureux de ce qu'ils font sans se soucier des ramifications ou des conséquences, de ce que le studio va penser ou de ce que sera le box-office".
Car Ed Wood est bien un personnage qui semble vivre ailleurs, et un réalisateur qui semble tourner autre part; bien loin des impératifs budgétaires, des exigences des producteurs, des conditions de tournage (temps limité, la star Bela Lugosi qui meurt pendant un tournage...)... Il vit dans son propre monde, dans ses propres sphères; en faisant bien fi de ce que peuvent dire et les critiques et les producteurs et de ce que peuvent être les chiffres du box-office. La belle scène où il rencontre Orson Welles (interprété par Vincent D'Onofrio) prouve que, en dépit des résultats finals, ce qui compte avant tout c'est la conviction, la passion, la flamme avec laquelle on se consacre à la création d'une oeuvre d'art.
Il me semble bien que c'est comme cela que peut être compris Ed Wood: une ode à la passion créatrice et à la fougue artistique, qu'importe le résultat. Dans le rôle de cet inventeur incompris, mi-génie mi-charlatan, Johnny Depp est magnifique (décidément toujours sublime lorsqu'il est filmé en noir & blanc; voir aussi Dead Man de Jim Jarmusch). En lui conférant un air d'illuminé mêlé à de l'innocence (un gamin qui fait des bêtises en fait), il rend son personnage extrêmement attachant (il faut le voir dire que "Orson Welles avait 27 ans lorsqu'il a tourné Citizen Kane"). Dans le rôle de Bela Lugosi, un espèce de barjot iconique de la série B d'horreur (Frankenstein, Dracula...), Martin Landau est, quant à lui, tout simplement hilarant, et a remporté un Oscar amplement mérité ("Beware! Take care!").
Néanmoins, malgré ces éminentes qualités, il semble qu'on aurait pu aller encore plus loin et faire plus. Le film a des allures encore trop sages. L'hommage à la passion créatrice malgré tout aurait pu être encore plus fort. Ici, certaines scènes de la vie d'Ed Wood sont simplement juxtaposées, et, malgré ses intentions bienvenues, il se trouve que Tim Burton cède tout de même à plusieurs exigences obligées du biopic.
Tout de même, le projet reste digne d'être salué, pour ses partis-pris (faire l'éloge de la foi en l'art, en dépit du résultat) tout comme pour son originalité (s'attaquer au réalisateur "le plus mauvais de tous les temps", il fallait l'oser), pour son très beau noir & blanc, pour Johnny Depp et pour Martin Landau.