Certains catalogueront un peu vite le troisième film de Terrence Malick dans les « films de guerre ». Pourtant il y a très peu de ressemblance entre cette Ligne Rouge et par exemple « il faut sauver le soldat Ryan » de Spielberg, sorti la même année et abordant la même guerre.
Non. En fait Terrence Malick filme la guerre comme un poète. La ligne rouge, c’est un film d’auteur, très loin des conventions hollywoodiennes. C’est une œuvre qui ne se regarde pas, ne s’analyse pas vraiment, c’est plutôt une œuvre qui se vit et se ressent. Comme de la poésie, finalement, et non pas comme de la philosophie.
Et quand on dit poésie, souvent on s’écarte du rationnel. Cela se traduit dans ce film-ci par plusieurs éléments : « la ligne rouge » n’a pas d’intrigue précise, pas de héros clairement définis avec des gentils d’un côté et des méchants de l’autre, aucun des personnages n’est vraiment développé.
C’est un grand tour de force, car cela permet que le film ne reste pas au stade de « récit de la bataille de Guadalcanal en 1942 ». « La ligne rouge » va bien au-delà, les pensées qui émanent de ce film dans l’esprit du spectateur peuvent être étendues à beaucoup d’autres guerres, à beaucoup d’autres questionnements. Même chose pour les personnages : ce n’est pas la vie des soldats ayant connu cette bataille, c’est tout simplement l’homme dans son essence, c’est l’humanité tout entière dont parle Malick. On appréciera aussi le regard porté sur l'ensemble des humains peuplant le film, qu'ils soient américains, japonais, blancs, noirs, hommes, femmes... Malick les place tous sur le même pied d'égalité, montrant à la fois leurs moments de grâce et leurs moments de faiblesses, de peurs, de questionnement. Rarement un film de « guerre » aura osé proposer un tel regard, bien loin de tout manichéisme entre les camps de bons et de mauvais.
La ligne rouge nous propose un questionnement sur la place de l'homme dans la Nature, une quête de sens à travers des épreuves comme la mort, la guerre, l'animalité. Finalement, le film semble vouloir nous dire que tous ces éléments sont interconnectés les uns les autres : la beauté et la violence, la vie et la mort, tout fait partie du même ensemble, auquel nous sommes tous connectés. Acceptant cela, un personnage semble trouver enfin l'apaisement et la lumière semble naitre, comme en témoigne le plan final, d'une beauté fulgurante.
Ce plan est l'une des nombreuses métaphores grandioses créées par Malick, nous offrant des images de contemplation de la beauté terrestre qui sont tout simplement à couper le souffle. La ligne rouge, c'est comme un symphonie panthéiste célébrant l'union de tous les éléments de l'univers se rejoignant dans un seul ensemble. Un poème bouleversant traversé par des images inoubliables : une tribu chantant une mélodie comme sortie du premier jour de la Terre, une baignade purificatrice mêlant enfants et soldats, l'enterrement d'un japonais, retrouvant le contact originel avec la terre, des soldats avançant dans le brouillard, entre ciel et terre, un rai de lumière illuminant la colline entre deux explosions, ou encore le dernier plan, comme un espoir de Vie renaissante après l'épreuve de la Mort. Je m'arrête là, les mots sont insuffisants pour traduire toute la beauté de ce film. La ligne rouge, un film qui semble inventer le cinéma sur presque chaque image.