Il semblerait que Stanley Kubrick, dans sa quête de maitrise totale du récit qui lui a valu ses plus belles œuvres (Shining en tête), se soit fait dépasser par son ambition de perfection. Derrière ses airs faussement tragiques, les évènements qui parcourent Barry Lyndon n'ont en effet rien à voir avec la fatalité, mais avec une toute-puissance du récit, qui divise alors son œuvre de manière extrêmement binaire (deux parties égales, l'ascension et la déchéance), et qui fait subir à ses personnages gloires et humiliations, suivant le bon déroulement d'un plan assez banal. Si le montage s'avère parfois virtuose (un jeu de regards éblouissant entre Redmond et Lady Lyndon, lors de leur première rencontre), il ne fait généralement que suivre la dictature de l'évènement, ne devenant alors que simple voyeur humiliant le personnage. Ainsi, lorsque la caméra se détournera de Lord Bullingon vomissant de peur, ce ne sera que fausse pudeur, les ignobles bruits gutturaux du pauvre jeune homme trahissants ses problèmes gastriques. On détourne les yeux, ce n'est que pour mieux humilier. Il en va de même pour la scène où Lady Lyndon tente de se suicider : la caméra suit à l'exactitude ses convulsions pathétiques et ses déplacements dans la salle, alors qu'une exaspérante et omniprésente voix off expose froidement la séquence.
La simplicité aberrante du récit (ascension directe et déchéance directe, les deux parties qui, si l'on devait les représenter en une courbe graphique, formeraient un pic droit et solitaire) applique sa toute-puissance au reste du film. Mais, contrairement au méfaits de la fatalité, ce ne sont pas que les personnages qui en sont victimes. C'est le film tout entier qui est commandé ici, et c'est ce qui rend Barry Lyndon si profondément impuissant à faire naitre de véritable émotion.
L'antipathie générale de la plupart de ses personnages lui permet de leur faire subir sa loi du récit sans trop faire culpabiliser le spectateur. La manipulation est totale, et le film réussit, pendant près de 3h (!), à captiver le public dans un récit cloisonné sur sa propre dimension, racontant l'histoire pseudo-tragique de personnages à qui l'on s'identifie sans jamais s'attacher. En soi, c'est peut être malhonnête, mais c'est un exploit.