À sa sortie, Clint Eastwood avait annoncé que Gran Torino était son dernier film en tant qu’acteur (si on excepte son caméo furtif dès l’année suivante dans Invictus, il reviendra sur cette décision sous la direction de Robert Lorenz en 2012 avec Une nouvelle chance puis sous sa propre caméra avec La Mule en 2018). Cela peut s’expliquer par le fait que le rôle de Walt Kowalski semble une conclusion parfaite à la majorité des personnages qu’il a interprétés tout au long de sa carrière. Ainsi, au premier abord, Walt est un être raciste et rétrograde n’acceptant pas le monde moderne pouvant le faire considérer comme une sorte de prolongement de Dirty Harry. Mais, comme pour le célèbre inspecteur, on découvre au fur et à mesure qu’il est un personnage plus complexe
(il a été traumatisé à vie par son expérience de la guerre de Corée qui l’a poussé à avoir des comportements qu’il n’arrive pas à se pardonner) qui, sous ses dehors agressifs, laisse apparaître une part d’humanité en se prenant d’affection pour ses voisins hmong (communauté très rarement évoquée dans les médias en règle générale) et se révèle être un homme bien, allant jusqu’à un sacrifice christique (il meurt les bras en croix)
.
Pour souligner cette apparition progressive de l’humanité du personnage, Clint Eastwood multiplie les éléments humoristiques montrant un personnage totalement dépassé par le monde qui l’entoure
et qui surtout réalise petit à petit que ses sentiments et son sens du devoir passent au dessus de préjugés racistes qui semblent au final être plus une façade pour supporter les horreurs qu’il a pu commettre pendant la guerre
. Le film est ainsi souvent très drôle mais cet aspect n’est pas la finalité du métrage. En effet, cet humour permet de s’attacher aux personnages et ainsi d’accentuer les sentiments du spectateur quand le récit prend une tournure plus dramatique. Il faut d’ailleurs noter que contrairement à des films comme L’Homme des hautes plaines ou Pale Rider, le cavalier solitaire, la violence n’est pas considérée comme une forme de résolution des problèmes
puisque le personnage de Walt, marqué par la violence de son passé, préfère se sacrifier que d’y recourir
. La violence ne peut en aucun cas être glorifiée, c’est ce que semble nous dire Eastwood.
À ce discours subtil et intelligent s’associent une réalisation toute en finesse et en sobriété (une habitude chez le cinéaste), une superbe musique (signée Kyle Eastwood et Michael Stevens, tous deux rejoints par Clint lui-même et Jamie Callum pour la chanson final) et une interprétation très juste notamment des acteurs hmong débutant pour la plupart au cinéma.
Ainsi, avec ce qui devait être le chant du cygne de l’acteur Eastwood
(quelle meilleure fin de carrière qu’une scène montrant les funérailles de son personnage?)
, le réalisateur signe un film à fois drôle, émouvant et intelligent où la violence est montrée comme une impasse malgré ses quelques scènes d’action. Un des plus beaux films d’Eastwood en tant qu’acteur et en tant que réalisateur.