Cela portait Tony Gatlif à coeur depuis longtemps de rendre hommage aux Roms victimes de l'Holocauste pendant la Seconde Guerre Mondiale, injustement oubliés aujourd'hui. Si Liberté peut donc être considéré comme un devoir de mémoire - à l'instar d'Indigènes de Rachid Bouchareb (2006) - l'énergie et la liberté dont il est investit et qu'il porte avec lui vont bien au-delà du simple cadre du "film-mémoire".
Car si de par le sujet grave qu'il prend le parti d'aborder, il se révèle peut-être de facture plus classique et académique que les autres films de Gatlif - en atteste aussi la romance un poil convenue entre le vétérinaire et l'institutrice - il a cette force, cette énergie et cette liberté qui prennent littéralement aux tripes. Une caméra qui n'en fait qu'à sa tête et, superbement dirigée par Julien Hirsch, le chef. op de Lady Chatterley de Pascale Ferran, des Temps qui Changent et des Témoins d'André Téchiné, nous peint cette vie dans des mouvements fluides et continus. Des scènes se révèlent particulièrement inouïes: la scène où les Roms pansent la blessure du vétérinaire Théodore à l'aide de bouse de vache par exemple. Ce qui est particulièrement remarquable, c'est que comique et tragique se côtoient presque en permanence ici: il n'y a pas d'opposition primaire. Entre une scène cocasse de vente de casserole ("Il y a des trous qui se cachent" dit-on à une femme de ménage française affirmant ne pas avoir de trous dans ses casseroles) et une scène bouleversante où le clan se partage les denrées de Théodore, distribuées par P'tit Claude - lard, fromage, pain - c'est finalement la Vie que Gatlif parvient à capter sur sa pellicule, la Vie colorée, bigarée, surréaliste et réaliste, loufoque et tragique, désespérement drôle, irrésistiblement pleurnicharde.
Le grand bordel de la vie se déploie sous nos yeux ébahis, et des scènes se développent en toute liberté (un titre qui décidemment convient bien au long-métrage): de l'encre bue par une jeune fille Rom, qui la pensait comestible; un robinet qui coule et coule dans l'escalier de la maison dans laquelle Théodore permet au clan de s'établir; le miroir d'une horloge vacillante dans laquelle un Rom se regarde pour se coiffer et se raser; dans la classe d'école on improvise une version Gitane et débridée du "Maréchal, nous voilà!".
Et puis il y a un personnage, Taloche. Magnifique. Ivre de liberté lui aussi, il s'accroche obstinément à la roue d'un véhicule, tentant ainsi d'échapper aux gendarmes qui se mettent à 2 voire à 3 pour le capturer. S'il y a une chose au monde qu'il ne peut supporter, c'est bien celle d'être enfermé, derrière des grillages, des clôtures, des fils barbelés, ou même des murs, à l'intérieur d'une maison. Car lui son élément c'est vraiment l'extérieur, la nature. Cette eau qu'il a envie de baiser... Cette terre qu'il a envie de baiser... Cette mousse dont il se recouvre... Ces arbres avec lesquels il tente d'être en osmose... Comme un petit lion enragé, il court partout, comme rempli du désir de devenir une part intégrante de cette nature, devenir lui aussi lac, mousse, pierre, racine, caillou, branche, nuage. Dans des scènes de transe libératrice absolument splendides il dit cette rage qu'il y a à l'intérieur de lui; cette rage et cette soif, cette soif d'ailleurs et d'infini. Mais finalement cette soif illimitée d'infini se heurte à la réalité: Taloche est pitoyablement abattu au pistolet dans un ruisseau, alors qu'il venait d'essayer d'escalader un arbre. Dans le rôle, James Thiérée, petit-fils de Charles Chaplin, excelle. Après une carrière réussie et remarquée au théâtre et au cirque avec des spectacles comme La Symphonie du Hanneton ou Raoul, voilà enfin un rôle au cinéma à la mesure de son immense talent. Notons qu'il est à l'affiche du prochain Claude Miller, dont le tournage a débuté en ce mois de février 2010.
Ainsi si "Liberté" est peut-être de facture un peu plus classique, notamment au vu de son sujet lourd à porter, que d'autres films du même cinéaste, il est bien vecteur de cette énergie, de cette folie, de cette soif pour la liberté et de cet amour pour la vie qui font tout le sel du cinéma de Tony Gatlif. Et puis il y a James Thiérée dans le rôle de Taloche, exceptionnelle performance pour un exceptionnel personnage, et qui vaut à elle seule le détour.