Très bon film de Nicolas Winding Refn en mode biographie, ''biopic'' pour se la jouer anglophone ; seulement tout son talent de réalisateur consiste ici à transfigurer ce qui aurait pu être une plate fidélité à la vie ou plutôt à la genèse de Bronson, connu comme le prisonnier le plus violent d'Angleterre. Je ne connaissais pas le "cas", le "phénomène", peut-être seulement de nom... Mais c'est assez extraordinaire (je ne résiste pas à reproduire une scène qui présente le personnage : à la suite d'une prise d'otages en prison, il demande par exemple, à titre de rançon : une poupée gonflable, un hélicoptère et une tasse de thé...) : Bronson a inventé le surréalisme criminel, ou en tous les cas a hissé le crime à une forme d'art, de spectacle, de publicité qui déborde la zone d'ombres et de silence que la prison ne peut manquer de créer. Bronson donc tente de redessiner le "masque" de Charles Bronson ; il s'agit non pas d'un documentaire soumis à la vérité et aux codes froids du réalisme, mais de l'exploitation réussie, je trouve, du dédoublement médiatico-scénique de Bronson à partir de Michael Peterson, "l'individu" d'origine. Ce qu'on voit, c'est moins un homme qu'une pièce de théâtre, qu'un homme de spectacle, qu'un grand acteur du crime artistique.
La presse l'a présenté comme l'Orange mécanique du XXIème siècle ; c'est bien parce que ça fait vendre des places, mais il n'en est rien (cela rend vraiment inquiétant l'appareil critique de la presse spécialisée, parce que si on ne comprend rien à ses classiques, franchement...). On en est même à l'opposé : alors que Kubrick tentait d'anticiper sur une société niant à sa racine la liberté des hommes, Winding Refn traite d'une fulgurance de liberté, d'un choix absolument premier et fondamental, que rien ne peut limiter ou contraindre ; Alex était la victime paradigmatique d'une société attentive à la dangerosité de ses membres, Bronson est le noyau de dangerosité inaliénable, le repère de forces et de résistances à toute captation du pouvoir pénitentiaire ; le héros d'Orange Mécanique était, malgré une violence initiale indéniable, broyé, ployé par la prison et ses moyens de dressement/redressement ; Bronson, malgré un bon fond (le bon petit Mickey), est l'étoile filante que l'institution carcérale ne peut contenir, ne peut complètement stopper, ou anéantir. D'un côté, on vise la société disciplinaire et carcérale au nom d'une liberté humaine inaliénable en droit ; de l'autre on montre cette liberté dans toute sa violence, dans toute sa matérialité et son efficacité, comme irréductibilité absolue. Alors oui, les deux films parlent de prison et de liberté humaine (mais alors il y aurait beaucoup d'Orange mécanique...) ; mais les trajectoires sont diamétralement antipodiques, opposées, inverses.
Bronson n'est pas Alex, le jeune criminel brisé par la prison et son système totalisant ; il n'est pas non plus Vidocq, le criminel en connivence avec la police, ni Lacenaire, le criminel des complicités loué par la bourgeoisie et utilisé par elle ; il n'est pas davantage Jean Valjean, le faux-criminel prouvant finalement la bonté inhérente à tout être humain ; Bronson est un artiste en quête de reconnaissance, dont le terrain de jeu, dont la scène d'exposition est la prison. Dans sa folie et son exagération, Bronson est une figure absolument transgressive et critique : à contre-courant de toutes les critiques qui fusent depuis 40 ans sur la prison moderne, il n'est pas un discours, il n'est pas une théorie ni même une position stratégique vis-à-vis de la prison. Bronson ne veut pas dénoncer la prison, comme inhumanité, comme insalubrité, comme intolérable, comme lieu de production et de création de délinquance ou de criminels : Bronson aime la prison, elle est pour lui un multiplicateur de possibilités, un moyen fantastique pour créer, un lieu pour construire son image, son rêve et son mythe, l'instrument de son art. Mais évidemment, cela ne se fait pas dans l'amour sensuel : si Bronson aime la prison (scène merveilleuse où à sa première incarcération, on voit le tout jeune Bronson, le germe de Bronson presque, pleurer de dos - seulement ces pleurs sont une ironie : Bronson rit en fait aux éclats, de pouvoir enfin réaliser son oeuvre, son chef-d'oeuvre de criminalité...), il va être plus violent, plus froid, plus méchant, plus sanguinaire qu'elle. Bronson transcende la prison en en accomplissant la noirceur, en faisant imploser ses bornes, ses limites - comme la fausse cordialité-complicité entre gardiens ou personnel de prison et prisonniers - par l'excès, le surplus, le trop. Alors oui, la prison a tendance à rappeler à elle ceux que la justice lui a confiés ; mais Bronson n'est pas dans ce cas-là : c'est lui qui rappelle à lui la prison, c'est lui qui l'oblige à se tenir sur ses gardes, qui la contraint à la vigilance, à la peur, à l'effroi.
La critique complète sur le Tching's Ciné bien sûr (note 17/20) :
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