Qu'on me crie dessus, je soutiens totalement ce film que nombre accusent de faux chef d'oeuvre, décriant une vacuité et une prétention sans limites, quand c'est tout le contraire. Les multiples récompenses glorieuses de Amour à travers le monde sont assez contestées. Mais pas par moi : je ne l'élève pas dans le panthéon sous prétexte c'est une bouleversante histoire d'amour et de fin de vie, car ceux qui ont fortement critiqué... n'avaient pas comprit la vraie réussite du film. Amour ennuie souvent, ou on dénonce un sujet inutile car si sombre et désespérant qu'il n'y a d'autre intérêt que vomir. Ils n'ont pas comprit les secrets de ce film d'une réussite et d'une maturité si ultimes qu'on peut prendre une année pour comprendre quel est le vrai film.
Les récompenses quand au scénario ont été critiquées, pour la bonne raison qu'il parait assez pauvre et n'apprend rien. Hors, la force d'un scénario repose moins dans la richesse que la finesse, et si la longueur des scènes ne permet pas de raconter beaucoup d'évènements, tout est dans le détail, le dialogue, qui est constamment plus ou moins réussis, et des scènes qui sont toujours inattendus. La force est cependant de cacher tout sous la surface du récit, et cette fin, inégalée pour longtemps. Là où on comprend enfin qu' un film si affreux, désespéré et déprimant n'était pas une erreur. Amour est un film d'horreur réaliste comme Haneke les aime, mais qui n'emploie pas la peur et l'écoeurement gratuitement. L'histoire se passe dans un huit-clos, entre quelques pièces claires-obscures, et ce choix pourra agacer de nombreux avides de liberté et d'un monde complet, mais outre que ce suffoquement illustre la situation de personnages sur lesquels le piège de la fin de vie se referme à les rendre claustrophobe, c'est le moyen le plus efficace d'agrandir l'ampleur de chaque plan, d'élargir le regard sur le récit et le contact avec toute la moelle du film.
Autre sujet à division, la mise en scène d'Haneke. Son dépouillement extrême et l'absence d'effet lui a valu l'admiration des uns et l'agacement des autres, y voyant un procédé rétrograde. Et pourtant,c'est au contraire un procédé incontestable par ce qu'il vise : Haneke choisit de s'interdit tout effet de style visant à embellir ou amplifier, parce qu'un de ceux-ci détacherait l'image du sujet, éloignerait le spectateur de l'histoire et son réalisme et briserait la perfection de l'immersion. Les éclairages naturalistes, les longs plans-séquence fluides, permettent encore une immersion totale dans un récit plus vivant et réaliste que jamais, les cadrages trouvent le parfait équilibre, les soundtrack sont rares. Et si on déplore bêtement l'absence de prouesse technique, qu'on apprenne que déplacer une caméra en un seul plan de plusieurs minutes de pièce en pièce, sans que portes ni meubles ne soient gênants et sans retirer de sa justesse à la scène comme Haneke, en est une rarement aboutie. La mise en scène donc, étonnement parfaite, est le meilleur de ce qu'il fallait pour donner toute puissance au récit, par sa fausse absence esthétique et la radicalité de sa méthode : césar du réalisateur mérité donc.
On en vient alors aux acteurs : le film aurait-il abouti si ses acteurs principaux n'avaient pas été convaincants ? Quoiqu'il en soit, ce duo le sublime doublement. Emmanuelle Riva part certes en demi-teinte, avec son énonciation trop théâtrale et insipide, pas assez naturelle pour être en raccord avec les objectifs de l’œuvre, mais devient parfaite de crédibilité et d'équilibre lorsqu'elle a sombré dans la démence et la paralysie. Jean L. Trintignant par contre, est divin et bluffant : rarement un acteur a joué de bout en large avec tant de naturel, avec des saillies si touchantes, et son talent explose comme rarement (discrètement) lorsque dans un plan fixe de plusieurs minutes, il parle seul, multipliant les tons et les émotions sans sombrer dans une théâtralité hors-propos. Une performance non surestimée qui entre dans le panthéon.
Mais Amour serait-il un objet filmique léché et parfait mais lisse, froid et antipathique ? Pour ceux qui comprennent le message, certes non. L'aboutissement manquant arrive lors des dernières minutes, et nous avons la preuve du véritable génie de Haneke : cette fin, étrange, inattendue, compliquée, incompréhensible pour une partie de nous, mais assurément poétique. Il m'a moi même fallu plusieurs mois pour le savoir : Amour n'est pas un film pessimiste, nihiliste, désespéré, et seulement déprimant. C'est au contraire un film en partie optimiste, qui finit bien et redonne de l'espoir et du réconfort comme rarement. Jamais il n'est prétendu qu'on peut réduire l'atrocité de la fin de vie, pour le partenaire comme le proche : mais que ce n'est pas dans la fin de vie, mais dans la mort qu'on trouve le positif, contre toute attente -même athée ; que le vrai Amour, est celui que nous bénissons quand nous le découvrons enfin. Culotté, unique et beau... comme la mort. Et laid comme la vie.