Pourtant l’idée originelle de prendre comme décor une gigantesque zone commerciale périphérique avec son lot pléthorique d’enseignes universelles laissait présager du meilleur. En effet, comment ne pas voir dans ces espaces anonymes et tellement formatés et uniformes qu’ils sont globalement identiques d’une ville à l’autre, sauf leur surface et donc le nombre de magasins à s’y implanter, le territoire rêvé de la consommation de masse, avec l’abrutissement et le suivisme qui font logiquement avec. L’apparition de Not, dernier punk à chien d’Europe selon ses propres dires, même si on verrait davantage son compagnon canin aux basques d’une petite vieille, a quelque chose de l’éléphant dans le magasin de porcelaine. Jean-Pierre, son frère, qui trime à vendre des matelas à la technologie révolutionnaire dans un des hangars de la zone, constitue le symbole de la réussite et de l’intégration de la famille, dont les parents tiennent le restaurant de La Pataterie, établissement curieusement désertifié. Les deux compères de Groland ne semblent pas s’intéresser réellement à leur sujet, préférant prendre la tangente et renouer ainsi avec l’escapade et les chemins buissonniers, lorsque Jean-Pierre est viré, pète les plombs avant d’être récupéré et ‘éduqué’ par son frère aîné à une existence libre et sans contraintes, hormis la pauvreté, la solitude, l’ostracisme et l’ennui.
Dès lors, de grand soir, envisagé comme la destruction par le feu des surfaces de la zone commerciale, il ne pourra bien sûr y avoir. Par amitié, on retiendra l’esprit libertaire et bordélique qui prévaut à l’ensemble, Not et Jean-Pierre comme des lointains parents de Jean-Claude et Pierrot, les deux marginaux des Valseuses en 1974. Bien sûr, le film a son côté punk, non seulement dans le look de Not savamment entretenu à la bière et à la sueur, puis dans la nouvelle dégaine de Jean-Pierre, mais aussi dans les concerts des Wampas, et surtout dans ces scènes de délire total : l’irruption au mariage, l’intrusion dans les maisons du lotissement. Dans ces instants, Benoît Delépine et Gustave Kertern semblent en complète roue libre, tout comme leurs acteurs débridés qui s’en donnent à cœur joie – l’inénarrable Brigitte Fontaine épluchant soigneusement ses patates restera comme une séquence culte du film. Culte peut-être, mais terriblement anecdotique et superficiel. Quitte à opter pour la dérision et le déjanté, autant être drôle et grinçant, caustique et innovant. Hélas, Le Grand soir parait en rester aux intentions, se perdant rapidement dans des sketches lourdingues et inopportuns qui manquent résolument leur cible.