Lorsque l'on se retrouve, et dans le cas présent, on le sait pertinemment, il est difficile de décrire en détail son ressenti. Sergio Leone, après avoir livré durant les années 60 l'apothéose du Western Spaghetti, la trilogie de l'homme sans nom, voulait casser son image, trancher avec l'univers de l'ouest sauvage, dans tous les sens du terme. C'était sans compter sur l'appel du public, des producteurs, qui attendaient encore du cinéaste italien d'avantage encore. Presque à contre cœur, alors qu'il travaillait à l'écriture d'Il était une fois en Amérique, le réalisateur accepte de repartir dans l'Ouest pour livrer un film hommage qui pourtant s'avère radicalement différent de ce qu'il fît lui-même dans le passé et de l'ensemble de ce que le Western aura démontré jusqu'alors. Comme le dit si bien Bertolucci, co-scénariste du film, Sergio Leone aura finalement démontrer à tout un chacun que le Western peut aussi être un grand film, un opéra filmique digne des plus grandes tragédies,offrir d'avantage que de l'action, des duels et des enchaînement classiques.
Dès lors, Sergio Leone entend respecter le matériau original tout en dotant son nouveau film d'une rancune, d'une note mélancolique indéniable. La composition de l'éternel Ennio Morricone participe grandement à la lecture toute particulière d'un film qui prend plus des allures de grande fresque historique que de Western à proprement parler. Mais plus étonnant qu'il ne puisse paraître aujourd'hui, la véritable démonstration du culot du cinéaste à l'époque était d'y avoir introduit une femme, la légendaire mais éphémère Claudia Cardinale, qui prend ici les allures d'un ange en plein désert, d'une beauté indéfinissable dans un univers crasseux, machiste et en pleine expansion. Non seulement femme mais aussi fille de joie, accompagnée de la bande-son qui lui est propre, le personnage de Jill est pour parler franchement une ode à la beauté féminine, un soleil dans le cœur de l'homme sauvage, comme le démontre si habilement la toute dernière séquence du film. A priori très simple à mettre en scène, l'aura de l'actrice est la preuve même que Sergio Leone était un maître incontesté.
Mais par-dessus tout, Il était une fois dans l'ouest est une réelle démonstration du génie de son créateur pour une chose en particulier, la reconstitution. Tourné majoritairement au sud de l'Espagne, jamais film d'époque, à l’exception peut-être d'un autre film du cinéaste, n'aura été aussi majestueuse dans la représentation d'une époque révolue. Figurants, décors, teintes, tout est absolument parfait, un travail d'orfèvre qui laisse penser parfois à la numérisation d'images d'archives alors que tout fût construit pour l'occasion. L'on pourrait citer notamment la ville de Flagstone, l'arrivée finale du chemin de fer et j'en passe. Narrativement, Il était une fois dans l'ouest n'est pas non plus en reste. Si le réalisateur aura pris le pari risqué d'imposer un rythme profondément lent à son oeuvre, l’accueil américain fût d'ailleurs nuancé en 1967, le scénario dans son ensemble, s'avère nettement plus complexe que tout récit de Western, là-encore une coupure. Sergio Leone symbolise ici, par l'avènement du chemin de fer, la naissance du capitalisme, de la corruption, en terre inculte. L'argent est maintenant la pire de toutes les armes et l'on sent que les trois personnages principaux, ceux masculins, aussi bourrus soient-ils, n'y pourront rien.
L'on notera que si aucun des personnage ne pourra à lui-seul succéder au charisme de l'homme sans non, l'inoubliable Clint Eastwood, les trois réunis forment sans doute l'une des plus belles brochettes de personnages de l'histoire du cinéma, avec les clichés et les subtilités dont s'est joué Leone. Charles Bronson, inoubliable jouer d’harmonica ténébreux, Jason Robards, truand au grand cœur ou encore Henry Fonda, qui prend ici pour la toute première fois la place du méchant, sont chacun inoubliable, mais seulement réunis dans la machination du cinéaste. C'est un Sergio Leone maniaque, ne tolérant aucun écart, qui livre là une film à la postérité. Si parfois son oeuvre peut paraître poussive, je n'aurais toutefois jamais ressenti autant de mélancolie qu'à la vue d'Il était une fois dans l'ouest, une ode, un mythe et un hommage qui prend pourtant la forme d'un nouveau genre de grand film. Absolument culte aussi bien qu'inoubliable. Un monument de cinéma qui aura définitivement, après quelques tergiversations, réconcilier les américains avec le cinéma italien qu'ils accusaient de s'approprier leur patrimoine historique. En parlant de patrimoine historique, Il était une fois dans l'ouest en est un sacré morceau. 19/20