Ce que dit le journal « Le Parisien » est juste : "Ken Loach signe un beau film, assez classique, avec ce qu’il faut d’injustices et de romantisme". Sauf que son propos manque de force pour emporter l’adhésion de tous. Oui le romantisme est là. Oui les injustices sont dénoncées. Tout cela est mis en scène dans une ambiance vieillotte, dotée d’un discret parfum de naphtaline, et dont les volutes poussiéreux n’ont aucun mal à immerger le spectateur dans l’Irlande profonde de l’été 1932. En dépit d’un casting pas très relevé, tous les ingrédients étaient réunis pour faire de "Jimmy’s Hall" un grand film. Le fait est que dans ce sens-là, le spectateur peut être déçu que ça ne soit pas un chef-d’œuvre. Pour autant, ce n’est pas un mauvais film, loin de là. Ma note est là pour en témoigner. Au contraire, il se révèle intéressant, et même assez prenant, suffisamment en tout cas pour venir à bout des 109 minutes d’un seul coup d’un seul. Cependant, ne vous attendez pas à vivre des émotions fortes comme c’est souvent le cas quand on nous parle de combats peu ordinaires menés par des gens ordinaires. Je parle de ces émotions qui rendent un film totalement inoubliable. Certes certaines séquences vous feront sourire, d’autres vous inspireront un certain dégoût. Par contre, il y a de fortes chances pour que vous vous surpreniez à battre le tempo du pied sur les musiques irlandaises, tant elles sont enjouées et entraînantes. Un style qui plait, au point de voir des spectacles dédiés opérer de véritables tournées. La première partie est la plus joyeuse, grâce au retour de Jimmy Gralton (Barry Ward) au pays après 10 ans d’exil aux Etats-Unis. Chers lecteurs, chères lectrices, chers et chers et chères abonnés, vous devez savoir que Jimmy Gralton n’est pas un personnage de fiction. Oui, il a réellement existé. En effet, Ken Loach s’est appuyé sur la pièce "Jimmy Gralton’s Dancehall", laquelle revient sur la vie mouvementée d’un activiste communiste irlandais. En regardant ce film, le fait qu’il soit un activiste rouge n’est que pure anecdote pour développer en partie les différents qu’il aura avec ceux qui sont censés être ses compatriotes. Une anecdote qui a toutefois son importance pour le contexte politique du pays du moment, mais surtout parce qu’elle offre du même coup une bonne excuse pour les actes de certains, des actes qui constituent la partie apparente de l’iceberg, un iceberg synonyme de bêtise humaine. Cet aspect politico-social est malgré tout en liaison étroite avec le vrai fond du film. Car le vrai fond réside dans la musique et tout ce qui va avec : la danse, le chant, et… tout ce qu’elle peut représenter. Impossible de ne pas penser à "Footloose", de Herbert Ross (1984) car le combat est le même : imposer la musique dans une petite bourgade rurale tenue de main de fer par le curé de la paroisse, j’ai nommé le curé Sheridan (Jim Norton). Sauf que le propos est enrichi par le fait que ce n’est pas tant la musique irlandaise qui est condamnée, non. Enfin un petit peu quand même, puisque l’homme d’église préfère retrouver ses ouailles dans la nef de son église. Enfin quand je dis "son église", c’est une façon de parler, hein ! parce que ce n’est pas vraiment la sienne. Bref ! Le vrai problème vient du fait que l’Irlande, sortie voilà 10 ans d’une guerre civile, bénéficie d’un nouveau gouvernement sur lequel reposent tous les espoirs possibles et imaginables de la population. Sauf que certains citoyens sont bien décidés à imposer le conservationnisme à tout prix, quel qu’en soit le moyen, aussi peu avouable soit-il. La musique venant d’un autre continent n’est rien d’autre qu’un faux argument pour ceux qui prônent la défense et la sauvegarde des traditions irlandaises. C’est en réalité le modeste établissement dans lequel on peut jouer de la musique, chanter, danser, et plus encore qui est montré du doigt, car alors considéré comme un lieu de dépravation où le satanisme peut se payer facilement un droit d’entrée. Malgré cette diabolisation intentée par certains, le spectateur adhèrera à la cause de cet irlandais affublé de ses admirateurs parmi lesquels la jeune Marie (Aisling Franciosi) ou ses parents (en particulier sa mère, interprétée par une très touchante Aileen Henry). Il se prendra aussi à détester certains personnages tels que le Père Sheridan ou le père de Marie, à tel point qu’on se surprend même à espérer que ce dernier se fasse crever à un moment ou un autre. Il n’empêche que j’aurai aimé qu'Alice Gralton bénéficie d’un rôle plus fort, de même que celui du jeune vicaire Seamus (Andrew Scott, dont le rôle m’a sensiblement rappelé celui que Mathieu Kassovitz a tenu dans "Amen." de Costa-Gravas en 2002). C’est également le cas de Oonagh (Simone Kirby), parce qu’on sait bien que les tourments d’un amour contrarié la torturent bien plus que ce qui nous est montré à l’écran. Aussi j’ose affirmer que « Jimmy’s Hall » aurait mérité une rallonge d’une bonne vingtaine de minutes pour développer ces points. Ou alors il aurait fallu que le point de vue soit beaucoup plus intimiste, et moins… observateur. En effet, l’histoire parait complète, mais manque paradoxalement de profondeur. Par exemple, le spectateur sait qu’elle se passe dans l’Irlande profonde, mais ne profite que très peu des joyaux paysagers de ce pays que sont les collines chatoyantes de verdure (en fait, elles ne sont montrées presque distraitement qu’en tout début de film) ; Ken Loach a su capter les douleurs d’un amour resté en suspens, avec une bien jolie interprétation des deux acteurs, quoiqu’un peu trop sage mais c’est pareil, le sujet parait survolé ; et puis il y a ce caractère bien trempé de ces diables d’irlandais bien connu de tous, mais il n’en est montré pour ainsi dire qu’un échantillon. Oui la réalisation est propre, car Ken Loach n’a omis à mon avis aucun des points importants ayant construit la vie mouvementée de Jimmy Gralton. Le film est bon, mais il réside un goût d’inachevé, tout comme fut le projet de Jimmy Gralton, finalement…