New Territories : les secrets du tournage

En 2009, Fabianny Deschamps avait découvert un fait divers terrible autour du commerce des morts dans le South China Morning Post, à Hong Kong : des gens se sont mis à disparaître par dizaines, dans un rayon de cinquante kilomètres : des vieux, des femmes, des handicapés. En fait ils étaient assassinés pour servir de cadavres de substitution à l’incinération (obligatoire en Chine depuis la révolution culturelle). Les corps étaient ainsi vendus à des familles en deuil par les triades avec la complicité des entrepreneurs de pompes funèbres. Après leur arrestation, l'affaire a été étouffée par le gouvernement. D'où la nécessité pour Fabianny Deschamps d'en faire un film, après s'être posée la question suivante : quel est ce monde où une vie humaine a moins de valeur que le salut d’un mort ?

Du début à la fin des prises, il s’est principalement agit d’incessants allers-retours entre écriture, tournage et montage : "Lors du premier tournage, nous sommes partis avec un seul canevas, un mouvement dramatique et thématique, qui ne composait pas une dramaturgie aboutie mais un champ lexical de recherche afin de tester notre dispositif et éprouver ce sujet. Nous avons gravité un peu comme des satellites autour de l’orbite de notre histoire afin de laisser advenir l’accident documentaire, l’improvisation et s’imprégner de cette culture, de ces ambiances et privilégier une approche sensorielle. L’écriture définitive est intervenue dans un second temps, au montage principalement, avant d’initier une seconde phase de tournage", se souvient la cinéaste Fabianny Deschamps.

Le sujet de l’abrogation des rites funéraires en Chine a bien évidemment nécessité pour l'équipe de contourner la censure lapidaire du gouvernement et donc filmer clandestinement. New Territories est ainsi selon Fabianny Deschamps un film clandestin : "Equipés d’un Canon 5D, idéal par sa discrétion, et les comédiens appareillés de micros H.F., nous avons pu ainsi pénétrer en Chine continentale et penser un moyen de tourner ce film sans entrave, en contournant le comité de censure, qui assurément ne nous aurait pas laissés filmer un tel sujet. Ce dispositif de tournage a permis aussi d’aller chercher une interaction réelle avec la ville et ses habitants, qui ont pu devenir ponctuellement des personnages. Il y avait quelque chose de l’ordre du hold-up dans ce vol d’images, assez jubilatoire dans sa liberté et son illégitimité", se souvient la cinéaste.

Le tournage s’est fait en deux temps, sur 6 semaines entre Hong Kong et la Chine du Sud. L'équipe a également posé ses caméras dans les nécropoles antiques qui entourent la ville de Xi’an, au Nord du pays.

Fabianny Deschamps avait déjà travaillé avec la comédienne Eve Bitoun sur le court métrage "La lisière" en 2008. La cinéaste explique au sujet de la distribution de New Territories : "Eve Bitoun qui vient de la performance et je savais qu’elle aurait la souplesse et la fantaisie nécessaires pour improviser des situations, s’abandonner au jeu du dispositif et travailler la plupart du temps en une seule prise, faute d’autorisation de tournage. Avec Yilin Yang, la voie et la voix du film, nous avons travaillé le texte comme une partition musicale, entre incantation et scancion, un dialogue avec la musique et l’image pour parvenir à créer une forme d’envoûtement. Il est vrai que le traitement des personnages est très particulier dans ce film. Le personnage interprété par Eve Bitoun est en quelque sorte démis de ses fonctions de personnage, en tant qu’objet d’identification. C’est une figure qui traverse l’histoire sans jamais vraiment parvenir à l’impressionner en opposition au personnage de Li Yu - Yilin Yang - qui, dans son invisibilité, s’incarne le plus. Le fantômatique dans cette histoire ne se situe pas là où l’on croit."

Certains films ont beaucoup inspiré la réalisatrice pour New Territories, comme ceux de Patrick-Mario Bernard et Pierre Trividic (Dancing ou L’Autre) ou encore Lucille Hadzihalilovic (Innocence).

New Territories a été présenté au French May festival à Hong Kong. Le public fut très curieux par rapport au film, dans le bon sens du terme, du fait qu'une occidentale se soit saisie d’un sujet si typiquement asiatique et d’un problème de société à ce point caché par la censure de Pékin.