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    Le Livre d'image
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    gimliamideselfes
    gimliamideselfes

    2 801 abonnés 3 956 critiques Suivre son activité

    5,0
    Publiée le 14 décembre 2018
    Le dernier film en date de Godard, palme d'or spéciale à Cannes, est sans doute l'apogée de son cinéma, voire même l'apogée du cinéma. Il aura fallu quelque chose comme 130 ans pour arriver à ça, pour arriver à ce film.
    Godard pousse à son paroxysme son idée du cinéma. Idée qu'il avait déjà développée en 1983 dans Scénario film Passion où montrait comment créer du beau par le montage. Il superpose les images, change la musique, les ralentis, change la colorimétrie, pour créer autre chose. Il fait un véritable collage cinématographique, où les bouts de films, de musiques, de vidéos, de pensées forment un tout uniforme, une œuvre nouvelle. Il lui faut puiser dans toute l'histoire(s) du cinéma pour faire son film. Il pille allègrement pour faire ce qui n'est pas un simple hommage, mais avant tout Le film, le seul, l'unique, celui qui fait la synthèse de ce qu'est le cinéma : l'émotion.

    Il crée l'émotion de la manière la plus pure, sans personnage, sans véritable histoire (enfin il y en a une sur la dernière demi-heure, mais tellement éthérée que ce qui compte le plus c'est l'image), juste avec ses collages, il arrive à créer de la poésie. Il déstructure totalement le cinéma depuis le début des années 60, il réinvente à chaque film, sans se dénaturer, la manière de faire du cinéma, en essayant, en délaissant ce qui paraît essentiel à d'autres, en provoquant... et là, avec son film sans personnage, sans acteur, juste avec des images, il va plus loin qu'Histoire(s) du cinéma, qui bénéficiait encore de ses interventions face caméra, il va plus loin que les premières minutes de Notre musique où malgré le montage, le texte liait le tout ensemble... Ici il propose les images.

    Certes il parle encore, un peu, étouffé... C'est beau... poétique...

    Mais surtout il colle, il découpe... il arrive à créer quelques instants précieux de grâce absolue avant de couper brusquement, laissant un goût dans la bouche (et surtout les yeux du spectateur) de paradis perdu, de sensation d'harmonie parfaite entre des images, un texte, une musique, qui n'auraient jamais pu se rencontrer, qui n'auraient jamais dû se rencontrer et qui pourtant fonctionnent si bien ensemble, pendant un instant si fugace, si précieux.

    On aimera, on n'aimera pas, peu importe, on est là dans l'histoire du cinéma. Après avoir révolutionné la 3D avec Adieu au langage, osant l'utiliser pour faire autre chose qu'un spectacle de foire, proposant de manière ludique de jouer avec la 3D, avec ses possibilité, filmant le champ et le contre champ et les diffusant en même temps. Permettant au spectateur de choisir de voir à sa guise le champ ou le contre champ. Là, encore une fois il propose une manière de faire du cinéma, il n'est pas là le premier à utiliser les images des autres pour les sublimer. Il y a fort à parier qu'il ne sera pas le dernier non plus. Mais comme Adieu au langage qui n'était pas le premier film en 3D non plus (et pas le dernier), il fera date. Il propose autre chose qui ne serait que poésie. L'avenir dira s'il était un génie, c'est à dire un précurseur rattrapé par les autres ensuite lui faisant perdre sa valeur car ils feront au moins aussi bien que lui, ou bien un apôtre, ne faisant que montrer la voie vers un autre cinéma que celui classique, morne, que l'on connaît tous que trop bien.

    La poésie de Godard n'est pas vaine, il y a un message lorsqu'il propose une nouvelle version des 1001 nuits, où il propose un conte de Shéhérazade moderne en reprenant Une ambition dans le désert (un roman de Albert Cossery) qu'il illustre avec ses collages habituels de films, d'images de propagande de Daesh, faisant raisonner à la fois les 1001 nuits et le bouquin (qu'il me faut lire) comme infiniment modernes et actuels, décrivant parfaitement la situation au Proche et Moyen Orient.

    Il résulte surtout du film une expérience personnelle, intime, qu'on a envie de garder pour soi, comme si les autres pourraient la souiller avec leur regard malpropre, je ne peux pas conseiller de le voir, vos yeux saliraient le film, souilleraient cette expérience intime, dont j'ai envie de garder la préciosité.
    Olivier Barlet
    Olivier Barlet

    264 abonnés 383 critiques Suivre son activité

    5,0
    Publiée le 6 juin 2018
    Dans la lignée directe des Histoire(s) de cinéma, on assiste chez Godard à l’affirmation d’une écriture poétique maniant les images, les mots et les sons que l’on pourrait rapprocher de l’oralité puisqu’elle développe via la répétition, la redondance, l’emprise du rythme et le renouveau des assonances une forme alternative à la pensée linéaire de la transcendance qui sous-tend l’écriture filmique occidentale. « Je ne trouverai de vérité que pour la perdre » : c’est dans ce rejet des religions du Livre que se situe Godard. « Elles ont sacralisé les textes : il fallait le livre de l’image ». Il reste en cela d’avant-garde car il accompagne le mouvement de notre monde qui repasse de l’écrit à l’oral, de l’absolu au relativisme, en se séparant de l’universel généralisant par la progressive revendication de sa diversité. Et se situe ainsi catégoriquement du côté de la créativité.

    Une image récurrente dans le film est issue des Baliseurs du désert de Nacer Khémir. Un instituteur y est amoureux d’une jeune femme très belle et secrète tandis que les hommes sont partis dans le désert pour y chercher ses limites. Cette femme montre les paumes de ses mains et recouvre l’une par l’autre. C’est cette image que Godard s’approprie pour nous inviter à penser avec nos mains, selon lui « la vraie condition de l’homme ». Des voix s’élèvent sur des images du monde en guerre : images et paroles, en contrepoint, cette « discipline de la superposition, ces mélodies dont à l’inverse résultent les accords ».

    De fait, le film est en cinq parties, comme les cinq doigts de la main, dont le dernier serait la partie centrale : 1) « Remakes » (le cinéma), 2) « les Soirées de Saint-Pétersbourg » (la guerre), 3) « Ces Fleurs entre les rails, dans le vent confus des voyages » (Rilke sur les trains du monde), 4) « l’Esprit des lois (la politique et la justice), 5) « la Région centrale » où il développe une question : « Les Arabes peuvent-ils parler?»« .

    Godard déterre L’Arabie heureuse d’Alexandre Dumas, pour vite critiquer avec Edward Saïd ce livre suranné : « l’acte de représenter implique presque toujours une violence envers le sujet de la représentation. » A l’exemple des images du monde arabe, le calme de l’image s’oppose à la violence de la représentation.

    C’est dans cette contradiction que se situe un cinéma en prise sur le monde, ces gestes d’amour pour le faire évoluer, que l’on peut façonner avec ses mains. Au-delà du réalisme, la poétique de l’image peut nous réconcilier avec l’espoir. C’est un des derniers représentants de la Nouvelle vague encore vivants qui, dans son chant révolutionnaire, nous en propose la perspective.
    In Ciné Veritas
    In Ciné Veritas

    80 abonnés 922 critiques Suivre son activité

    3,5
    Publiée le 24 avril 2019
    Récompensé du Prix du jury lors du festival de Cannes en 2014 pour Adieu au langage, Jean-Luc Godard revient avec un nouvel objet filmique, Le livre d’image. En 2018, ce n’est pas moins qu’une Palme d'or spéciale qui vint saluer ce film mais aussi et probablement toute l’œuvre cinématographique de l’auteur d’A bout de souffle (1960). Le livre d’image résonne comme un adieu au cinéma après l’Adieu au langage formulé quatre ans plus tôt. Ainsi vont les Histoire(s) du cinéma (1989-1999) auxquelles l’ultime opus en date du chef de file de la Nouvelle Vague paraît intimement lié. Critique complète sur incineveritasblog.wordpress.com
    kingbee49
    kingbee49

    30 abonnés 585 critiques Suivre son activité

    4,0
    Publiée le 25 septembre 2022
    Film exigeant, rempli à ras bord de cette grammaire godardienne faite de collages visuels, sonores ou textuels à laquelle on est bien rodé depuis quelques années. Mais la proposition est plus tendue, plus sombre, plus désespéré, mais pas sans espoir. ."Le livre d'image" transpire la mort d'un certain cinéma tout en jetant des perspectives sur la remise en question de l'homme, de l'humain par le prisme inouï d'un montage savant, qui fait sans cesse des va-et-vient entre passé et présent. A ce titre, le plan final, tiré d'un film de Max Ophüls, est absolument bouleversant. C'est le film d'un sorcier qui vous murmure à l'oreille et vous confie son désarroi face à l'état du monde... Honnêtement, j'ai trouvé le film un peu long et peut-être un peu redondant par moment mais force est de reconnaître que l'opportunisme de Godard à toujours quelque chose de salvateur, définitivement hors du temps.
    Cinéphiles 44
    Cinéphiles 44

    1 166 abonnés 3 967 critiques Suivre son activité

    1,0
    Publiée le 12 mai 2018
    Il est bien entendu très loin le temps de « Vivre sa vie », « A bout de souffle », « Bande à part » ou « Pierrot le Fou » pour ne citer qu’eux. Jean-Luc est entré dans un monde que peu de gens comprennent. Son « Film Socialisme » ou « Adieu au langage » en avait déjà laissé plus d’un sans voix. Monsieur Godard insiste avec l’expérimental « Le Livre d’Image », une sorte de mashup dénonciateur de nos sociétés actuelles. Icône de mai 68, il était tout à fait logique de présenter la nouvelle œuvre du cinéaste à Cannes. Pourtant nous aurions opté pour une séance spéciale plutôt que de le placer en compétition officielle. Godard emprunte ici des extraits de films plus ou moins connus ou de reportages télévisés. Il s’est ensuite amusé à modifier leurs formats, leurs colorimétries, à couper le son ou à l’inverse le saccader. Des œuvres telles que « Johnny Guitare », « Un Chien Andalou », « Les Dents de la Mer » ou encore « Elephant » et « Timbuktu » sont dénaturées et détruites au profit d’une pseudo réflexion intellectuelle sur la guerre en Syrie, les manifestations françaises et autres révolutions qui le touche. De notre côté, nous nous sommes senti agressés face à ce sacrilège visuel. « Le Livre d’Image » nous démontre qu’il est temps pour Pépé Godard de prendre sa retraite.
    D'autres critiques sur notre page Facebook : Cinéphiles 44 et notre site cinephiles44.com
    janus72
    janus72

    44 abonnés 261 critiques Suivre son activité

    2,5
    Publiée le 26 avril 2019
    “ Élucubration" (nom féminin)
    Définition :
    - Production déraisonnable, absurde, issue de recherches laborieuses
    - Divagation
    - Extravagance.

    La Rousse !
    SociN
    SociN

    8 abonnés 532 critiques Suivre son activité

    1,0
    Publiée le 25 décembre 2022
    Un film érudit mais totalement obscur. Je le suis franchement ennuyé. J'aurais aimé partager ou développer certaines des références évoquées, mais le montage frénétique et l'absence totale de contexte rendent le film abscons. Si cela n'avait pas été Godard, le film ne serait jamais sorti.
    Chris CD
    Chris CD

    8 abonnés 17 critiques Suivre son activité

    1,5
    Publiée le 12 novembre 2018
    Ma note représente mon état d’esprit pendant de la séance… mais peut-on vraiment noter un film qui n’en est pas un? Godard n’a-t-il lui-même pas dit que son film n’était pas fait pour les salles obscures ?
    Exercice de style déconcertant, collage (cohérent ou pas ?) de courtes séquences de films d’auteur (et de l’auteur lui-même) et de vidéos parfois extrêmement violentes prises sur le net. Pas de transition entre les images ou plutôt si, des transitions par le néant…des écrans noirs. Ce film se veut structuré en chapitres qui aident peut être à se raccrocher intellectuellement mais difficile de ne pas sombrer dans le gouffre… Ce film est plus une prouesse de montage audiovisuel abracadabrant qu’une création cinématographique. De l’art pour l’art ? Mais peut-on considérer ce film comme du septième art ?
    Caverneux Boutonneux
    Caverneux Boutonneux

    2 abonnés 55 critiques Suivre son activité

    3,0
    Publiée le 24 septembre 2022
    À l'occasion du décès par suicide assisté de Jean-Luc Godard, la chaîne Arte a rendu public son dernier long-métrage considéré comme son plus avant-gardiste, plus encore que Adieu au Langage qui repoussait déjà les limites. Le Livre d'Image n'est donc pas le film le plus évident à aborder lors d'une critique, s'éloignant de toutes les conventions et se voulant être un film expérience. Donc comme pour Salò ou les 120 Journées de Sodome, mon opinion sur le film se dessinera à mesure que j'écrive ces lignes. Ce sera un exercice laborieux vu le caractère du film mais important puisque c'est le genre de films qui nous fait repenser notre vision du Septième Art.

    Je ne sais pas. Je ne sais vraiment pas sous quel angle aborder Le Livre d'Image. Au moins c'est sûr il ne ressemble à aucun autre film et il se place en tant que véritable OVNI cinématographique. Ça c'est sûr, papy Godard, à presque 90 ans, avait encore la volonté de transcender les codes du cinéma et en repousser les limites. C'est admirable de voir des auteurs aussi farouchement convaincus de leur vision artistique et qui ne se sont jamais trahis en 60 ans de carrière, depuis la Nouvelle Vague jusqu'à l'art contemporain vers sa fin de vie. Car de tous les auteurs de la Nouvelle Vague, Jean-Luc Godard est le seul qui soit resté attaché à un cinéma différent, là où les autres ont ironiquement succombé au cinéma à papa qu'ils niaient tant auparavant. Donc oui, Godard a mon admiration, car il ne s'est jamais travesti tel un François Truffaut, une Agnès Varda ou je ne sais quel Maurice Pialat qui seront vite passé à autre chose, effet de mode t'y prendra.

    C'est amusant de voir que parmis les révolutionnaires de la Nouvelle Vague avec lesquels on nous a rabâché les oreilles en école de cinéma il n'y en a qu'un seul qui ait conservé cet état d'esprit expérimental. Et n'allez pas croire que je suis un fanatique de Godard, loin de là. Même si j'admets ne toujours pas avoir déprécié un de ses films, ce n'est pas non plus l'extase. Pourtant j'avais beaucoup apprécié Pierrot le Fou pour sa liberté de ton et sa dissonance qui avait suscité en moi de la fascination. Donc j'ai essayé. J'ai essayé Le Livre d'Image. Je m'étais promis de lâcher l'affaire après trois films mais j'ai cédé à la tentation. Entre le Moizi d'un côté qui crie au chef-d'œuvre et le InThePanda de l'autre à l'arnaque, je me devais un jour de me risquer à cette expérience.

    Alors c'est sûr, on n'en voit pas tous les jours des exercices de style comme celui-ci. Composer un film à partir d'un simple collage d'image avec par-dessus la voix du très rouillé Jean-Luc en personne, ça ne s'invente pas. Mais pourtant je l'admets, dans un premier temps ça a suscité mon admiration. Il y a constamment une nouvelle idée de montage à chaque image qui défile, une difformité qui marque, un jeu des couleurs tantôt laid, tantôt esthétisé mais qui ne laisse jamais indifférent, Le Livre d'Image est un film qui vit. Certes on ne comprend rien, et c'est même souvent volontaire d'induire le spectateur en erreur quand deux voix se superposent en racontant deux choses différentes, mais au moins il y a un truc qui se passe. Le Livre d'Image donne à ressentir. Il donne à vivre.

    Cependant, et je m'y attendais, de la fascination je suis rapidement passé à la lassitude. Le film dure un peu moins de 90 minutes mais qu'est-ce que j'ai trouvé le temps long. Il faut dire que l'effet de surprise fonctionne au début mais au bout de 20 minutes, alors qu'on a compris la mécanique, plus rien ne surprend et les expérimentations les plus folles font davantage l'effet d'un encéphalogramme plat plutôt que d'un émerveillement de cinéphile. On peut difficilement nier la maestra au niveau du montage qui comporte un design sonore aussi désagréable qu'intrigant et qui détient de véritables moments puissants grâce à la musique et aux images mises en avant formant une poésie disgracieuse du plus bel effet, mais dans la finalité on a l'impression de voir une avalanche d'informations inintelligibles qui se font passer pour de la virtuosité, ce qui est quelque part le cas, mais qui s'avère être un festival de pur non-sens souvent irritant.

    Si parfois je me contentais de regarder ma montre et de m'illuminer de temps en temps devant une référence littéraire ou cinématographique que j'arrivais à capter, je dois bien admettre qu'au final Le Livre d'Image a quelque peu fonctionné sur moi. C'est certes très exigeant, mais les rares moments de grâce cinématographique rattrapent l'ennui et parviennent à faire passer la pilule correctement. Je regrette de ne pas avoir été plus réceptif au délire car parfois j'étais à fond dedans mais souvent à fond dehors. Hélas pour moi...
    Louis Arrogant
    Louis Arrogant

    16 critiques Suivre son activité

    5,0
    Publiée le 27 mars 2023
    Revu il y a quelques jours dans un cinéma du quartier latin ( j'avais pu voir ce film à deux reprises hors salle). Autant dire tout de suite qu'il s'agissait là de simples reproductions. Il est d'ailleurs étrange que Godard et ses camarades affirment avoir conçu le film pour un écran de télévision (mais aussi pour des installations dans des musées etc). Sans doute savaient-ils où ils voulaient ne pas en venir mais il est certain qu'on assiste à la naissance d'un tout autre film lorsque celui-ci devient un faisceau de lumière.
    C’est comme si le monde venait d’éclore.
    Quel film a déjà apporté un tel sentiment de réalité face aux images ? Quel souci pour nos yeux. Passer d’un plan fixe sur une surface jonchée d’aspérités à une peinture de Matisse : là est le cinéma tout simplement parce qu’on pense d’abord voir la même chose puis une demie seconde après on voit les couleurs du peintre et la différence est éprouvée, le rapport connaît une naissance puisqu’il existe sensoriellement dans l’œil du spectateur. Et le cinéma accomplit dignement son ouvrage : il produit un changement dans le regard. Et ainsi vient l’échange. Quelque chose a eu lieu. Des mises en rapport comme celles-ci, le film en regorge. Autre exemple quand Godard montre 5 ou 6 vidéos 280p puis enchaîne avec le plan d’ un bord de mer en haute résolution en un raccord. Godard fait gagner la réalité sur le temps puis le temps sur la réalité et toute l’avanie des chaînes d’information, toute la laideur qui ne sait plus que faire d’un monde mis à feu et à sang est annulé. Le regard reprend ses droits et le monde est à nouveau là, quelque part dans l’œil. La vie est sauvée, le temps d’une image. Cela suffit.
    Passer de l’abstrait à la pure concrétude c’est la retrouver dans une vie qu’elle avait perdu et que notre regard, vaincu lui aussi s’était lâchement résigné à perdre. À nouveau nous sommes touchés. Nous passons de ces yeux qui ne savaient plus verser une larme face au chaos des actualités à ces yeux qui ne peuvent s’empêcher de trembler face à un enfant qui marche dans une rue étroite de Bagdad.
    Nos yeux sont révolutionnés comme l’est la pellicule que l’enfant roule dans le désert peu avant la fin. Et après la haine, la destruction, le sang et la cendre il s’agit de finir sur le plaisir, consumer sa joie jusqu’en ses terres les plus secrètes puis s’évanouir pour mériter cette parole : j’ai été vivant. Et comment expliquer ce sentiment que l’on a de voir des paysages pour la première fois : ce soleil qui noircit la terre et l’eau , la Méditerranée flamboie encore et les nuages jamais n’ont autant été émerveillé par l’azur. Puis il y a cette image abstraite où l’on identifie seulement le mouvement d’un train sur des rails. Qu’en dire ? Bariolée de pixels vifs et éclatants elle parvient pourtant, en dépit de son abstraction à provoquer le sentiment d’une traversée comme si on était face à une peinture de Monet au XXIe siècle. Peut-être qu’alors une forme d’art s’est créée et donc à travers elle une époque, selon les propres mots du Livre d’image.
    Car le pixel a une émotion. Littéralement, cela impressionne. Il « nous force à regarder comme réel ce que l’on ne regardait même pas comme irréel » avait dit un jour Jean-Luc à propos d’un film de Ray (Amère victoire, son meilleur) dans une critique qui était déjà presque un essai cinématographique et cette phrase s’applique parfaitement à ce maelström qui prend vie sous nos yeux.
    L’éclosion sera sans fin : le monde arabe ne trouvera de paix que dans la furie de ces couleurs, de ces images. Et comment ne pas voir dans la traversée de ce paysage pixelisé - qui nous fait sentir le bleu, le vert, le jaune comme jamais nous ne les avons senti au cinéma - comment ne pas y voir une entrée dans la zone de Chris Marker : de la peinture faite avec du numérique, comme si le second n’était désormais plus sans soleil.
    C’est comme si nous vivions ce qu’avaient vécu les premiers spectateurs face à un train arrivant en gare de La Ciotat. La même sensation que le monde va nous traverser de plein fouet en ramenant ce sentiment de présence que les images ont échoué sur les rivages du XXeme siècle. Alors peut-être que le prophète a retrouvé sa parole, celle qui se terre encore à la fin du générique entre deux plans : une révolution a cours dans ce livre d’images retrouvées comme une apocalypse est en cours dans « les toiles du vieux Van Gogh martyrisé » selon le mot d’Artaud dans un autre livre d’image, du reste tout aussi passionnant.
    Et les extraits, eux tous vivront encore précisément parce que, comme toujours chez Godard, on ne sait pas d’où ils viennent, on ignore pour la plupart leur nom, leur auteur. Alors les choses reprennent du pouvoir et pensent par elle-même, ne sont plus que des question qui vivent et cheminent dans les lueurs des quelques lumières qui les ont regardé, enfin libérés du savoir assourdissant qui les injure.
    Peut-être alors serons-nous un jour suffisamment triste pour renoncer à la parole (et donc quelque part la retrouver) et comprendrons-nous le visage sans bouche de Bécassine. Il sera toujours temps une fois venu le règne du silence de se demander : les Arabes ont-ils déjà parlé ? Il faudra cette-fois formuler la question autrement que par des mots et cette formulation sera peut-être la réponse à la question. On pourra appeler ça une pré-histoire, Godard aurait dit lui un livre d'image. Ce sera la même chose mais au moins deux histoires différentes. Un monde dans lequel le museau d'une gazelle de Thomson étouffera le bruit d'une bombe en même temps qu'il le fera éclater : une guerre pacifique se prépare entre la main du nomade et la voix chevrotante de Jean-Luc. Cette guerre c'est le montage et donc l'amour (la rupture et le rapprochement). Le dernier film de Godard est et demeurera l’abri de l’éternelle jeunesse du vieux monde.
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