Ce film est assurément l’un des chocs de l’année, en tous cas en termes de claque dont on se souvient longtemps après la projection. Une claque cinématographique qui fait autant de bien à notre cœur de cinéphile que mal à notre esprit de spectateur tant la projection peut sembler éprouvante. Mais c’est aussi ça le cinéma : déranger, troubler, faire réagir, … Et pourtant, le cinéma n’est pas avare en films chocs que ce soit dans le domaine du fantastique (« Conjuring »), du réalisme social (« 4 mois, 3 semaines, 2 jours ») de la violence (« Hostel », « Martyrs », …), du sexe (« Baise-moi ») et on en passe. Gaspard Noé s’en est fait une spécialité à travers sa filmographie (« Seul contre tous », « Love », …) et ce n’est pas un cinéaste forcément sympathique pour tout le monde tant ses films sont clivants. Et celui-là ne dérogera pas à la règle, il va scinder le ressenti du public en deux. Mais cette fois, et surtout contrairement à l’un des pires jamais vu du même réalisateur « Irréversible », on n’est pas dans la provocation gratuite, la violence certes réaliste mais insoutenable ou dans l’envie de choquer à tout prix. Non, cette fois Noé s’assagit un peu, ce qui reste néanmoins un pléonasme dans toute sa splendeur pour ceux qui verront le film. En tout cas, on en a l’impression dans la première partie de cette œuvre radicale scindée en deux temps. Mais dans la première partie seulement.
Car « Climax » c’est aussi ça. Un film bicéphale voire protéiforme qui se fond dans un huis-clos se déroulant en 1996. Sous couvert d’une histoire vraie dont il s’inspire, Noé nous concocte un long-métrage totalement barré, fou, jubilatoire et extrême à la fois qui synthétise toutes ses obsessions thématiques et formelles. Dans la première catégorie, on a le sexe, la drogue, la jeunesse, la vie et la mort entre autres, mais déjà quel programme. Dans la seconde, on retrouve les plan-séquences (celui du film est proprement incroyable et le sert totalement), la caméra à l’envers, le montage singulier ou encore les inserts. Bref, un film en forme de condensé, baroque mais plus accessible tout de même que ses précédents films, de son oeuvre. Et donc beaucoup plus intéressante que les plus ou moins vaines tentatives d’un jeune cinéaste un peu prétentieux de choquer censeurs et festivals. Ici, les trois premiers quarts d’heure prennent la forme d’un film de danse. Et quel film ! On y voit une troupe d’une vingtaine de danseurs venant de tous horizons, issu des deux sexes, pratiquant toute(s) sexualité(s) et adoptant différents caractères, fêter la fin de répétitions. En l’espace de quelques fausses interviews face caméra intelligemment insérées dans l’écran d’un téléviseur lui-même au centre d’un arrière-plan malin et symbolique de ses goûts, il pose le décor et les bases humaines de ce qui va exploser dans la seconde partie. Cela appuyé par quelques brèves mais fondamentales séquences de dialogues en duo entre les personnages. Puis vient l’extase de voir ces danseurs au sommet de leur art lors de deux très longues scènes de danse (de transe ?) totalement hypnotiques. Rarement on avait autant eu envie de danser (la bande originale fera certainement partie des meilleures de l’année) et de faire bouger son corps. Noé les films comme personne, sa caméra semblant choisir toujours le meilleur angle et le meilleur plan pour les mettre en valeur et nous fasciner. Magnétique !
Puis vient la seconde partie où tout va partir en vrille et où rentre dans ce que l’on pourrait un film d’horreur réaliste ou plutôt un bad trip à vous dégoûter de prendre n’importe quelle drogue, ou goutte d’alcool. On hésite même, avant d’avoir une explication plus ou moins rationnelle laissant planer le doute, à croire qu’une intrusion du fantastique dans « Climax » va pointer le bout de son nez. Et là commence un voyage au bout de l’enfer - ou plutôt des tréfonds torturés que peuvent emprunter les esprits humains sous emprise. De ces voyages dont on ne ressort pas indemnes. Et nous, spectateurs, n’avons plus qu’à supporter avec effroi le cocktail de l’humain perverti par quelque chose dont on taira le nom. Mais aussi à être subjugué par la beauté plastique de la réalisation de Noé et cette manière unique de dérouter le spectateur. Alors ça peut sembler légèrement long sur le la fin mais c’est le prix à payer pour être en adéquation avec ce que vivent les personnages, ce qui était certainement la volonté première du monsieur. Et il y a quelques moments maladroits, rares cependant. Mais ce film est une bombe à retardement, originale voire jamais vue, de celles qui marquent durablement le septième art. On aime ou on déteste mais il est acquis que « Climax » ne laissera personne indifférent. On est embarqués dans ce voyage qui prend aux tripes. Radicalement. Et on est à la fois aussi bien soulagé lorsqu’il se termine que déçu et triste que cette virtuosité plastique qui imprègne cette œuvre complètement unique et nous avec touche à sa fin lorsque les lumières se rallument. Bravo monsieur Noé car je n’aimais pas vos films et « Climax » a fait mentir cette impression. Un chef-d’œuvre aussi envoûtant que répulsif sachant allier deux domaines aussi antinomiques que la danse et l’effroi. Une proposition de cinéma différente, extrême mais surtout un monument d’images inoubliables.
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