"Exfiltrés" : c’est le premier long métrage de fiction (même si ça n’en pas totalement une) d’Emmanuel Hamon qui a choisi de sortir de sa zone de confort fournie par les documentaires pour venir nous parler d’une histoire vraie. Celle de qui exactement ? On ne sait pas, l’anonymat de la (des) personne(s) intéressée(s) a (ont) été gardé(es). Mais d’après ce que j’ai pu lire ici et là sur la Toile, Hamon s’est directement inspiré des témoignages détaillés des cinq principaux protagonistes recueillis par son scénariste Benjamin Dupas. J’ai vu ce film, et bien content de l’avoir vu, constatant avec plaisir que c’est un point de plus dans le redressement du cinéma français, même si les turcs ont participé à cette production. Mais si je l’ai vu, je le dois au fait d’avoir observé avec attention le programme du complexe concerné parce qu’on ne peut pas dire que ce film ait bénéficié d’une promo tapageuse. La preuve, quand j’en parle autour de moi, personne ne connait ou n’en a entendu parler, à une ou deux exceptions près. En fait la promo a été l’image de cette histoire : la discrétion était de rigueur pour aboutir. Après, il faut reconnaître que l’actualité cinématographique a de quoi capter l’attention de la majeure partie du public, ce qui pourrait la faire passer à côté de ce "Exfiltrés". Un œil rapide jeté plus tard sur Allociné (note globale, survol des avis des allocinéens…), me voici en salle armé de mon ticket à 4€, sans grande attente particulière. Eh bien ce film est très bien fait. D’entrée on est attrapé dans son fauteuil par le mensonge de Faustine. Et le film ne nous relâche plus jusqu’à la fin par la succession de scènes dures, parfois choquantes, souvent révoltantes. Si on reste captivé jusqu’à la fin, on le doit à une réalisation dynamique, alternant avec brio les points de vue depuis le sol français et le sol syrien. De plus, le scénario ne s’encombre pas de choses inutiles, comme le mécanisme de la radicalisation, sujet souvent exploité par les documentaristes. Non, le spectateur se trouve directement confronté à un couple aux liens distendus, au moment même où Faustine est sur le point de partir là où elle se sentirait plus utile. Soit. Pourquoi pas. Il y a d’autres moyens. Car partir dans une contrée aussi lointaine pour essayer de se retrouver (la preuve avec Gabriel), il y en a qui le font certes, mais pas en emmenant des petits avec soi ! Et encore moins dans une zone aussi dangereuse ! Mais telle est l’histoire, l’enfant ne servant sans doute qu’à cacher la véritable destination de Faustine et à donner de la légitimité à son mensonge. Ensuite Hamon s’adonne à une réalisation en mosaïque, passant tour à tour sur un personnage puis un autre, dont certains sont en apparence sans liens. Ce n’est qu’une apparence, les liens qui unissent ces différents personnages vont apparaître au gré de l’enfoncement de Faustine dans un monde que les volutes de poussière et de sable ont bien du mal à cacher, en particulier les horreurs qui y sont perpétrées. Encore que le réalisateur ne s’est pas attardé sur les violences qu’on préfèrerait oubliées, loin derrière nous, et qui font malheureusement parties de notre présent. Le cinéaste est resté collé au plus près de l’histoire de cette femme et de son enfant, ainsi que de ce groupuscule de personnes qui se battent comme ils peuvent. Encore que j’aurai aimé qu’il montre plus d’audace, en prenant de temps en temps le point de vue de Faustine quand elle court vers une très hypothétique liberté. Cela aurait permis de mieux rendre compte de l’urgence de la situation, et de rendre cette histoire plus captivante encore, alors que la musique d’Armand Amar (reconnaissable entre mille par son style) produit son effet. Hamon s’est plus attardé sur les expressions du visage. Il pouvait le faire, car le casting est bon, permettant de tirer de très bons clichés photographiques : Jisca Kalvanda dans la peau de Faustine (même si la moitié de notre être a envie de la truscider), que ce soit Kassem Al Khoja dans le rôle d’Adnan (certes aidé par ses origines, lui qui vient de Raqqa), Andrino Mpioso en Issa… Mais je vais surtout parler des trois autres, c’est-à-dire de Charles Berling (Patrice), Swann Arlaud (Sylvain) et Finnegan Oldfield (Gabriel) qu’on sent éminemment concernés. On ne sait pas trop ce qui pousse Patrice à faire quelque chose pour ce qui n’est après tout qu’un collègue de travail. Heureusement, on saura plus tard pourquoi il agit de la sorte. Sylvain, je l’aurai imaginé plus comme quelqu’un de beaucoup plus nerveux, plus comme un électron libre, plus comme un homme animé par la révolte, mais pas vraiment comme quelqu’un de calme qui se ronge intérieurement les os. Mais pourquoi pas ? La psychologie humaine est d’une telle diversité… En revanche, la place de l’électron libre revient à Gabriel, et c’est bien sa tonicité naturelle dès sa première apparition qui va donner le la à ce qui va suivre. Après, on regrettera que le titre spoile la fin, bien qu’on n’ignore pas que des gens sont revenus de Daesh repentis par leur désillusion et miraculeusement vivants. "Exfiltrés" reste cependant un film solide, tendu à souhait qui ne se perd pas en conjectures inutiles pour rester sur le sujet de départ : l’histoire de cette femme et du combat qui a été mené pour lui sauver la vie, à elle et son gamin. Une excellente première pige pour Emmanuel Hamon, en tout cas très prometteuse. Hamon : un élément de plus dans la nouvelle garde qui pousse le cinéma français vers le redressement ? En tout cas, rien à voir avec "Jamais sans ma fille" (1991) comme semble le croire l’allocinéen Scrabble. Certes on retrouve quelques similitudes, mais ce n’est en aucun cas le même contexte !