C’est de Suède qu’on reçoit de temps à autre des propositions Fantastiques à nulles autres pareilles, qui parviennent non seulement à révolutionner des thèmes qu’on pensait avoir exploré sous toutes les coutures mais aussi à transcender les barrières entre les genres. Voici une dizaine d’années, c’était le magnifique ‘Morse” qui jouait le rôle d’Elu et avait été jusqu’à susciter un remake américain qui perdait malheureusement beaucoup de sa saveur au passage : je ne doute pas un seul instant que ‘Border’, d’ailleurs du même auteur, puisse connaître le même destin. Tina, douanière à la frontière suédoise, possède le pouvoir de “sentir” non seulement les marchandises illégales mais aussi les sentiments les plus inavouables des voyageurs, comme la honte ou la peur, ce qui fait d’elle une excellente recrue. Ce don se paye toutefois au prix fort, car Tina est physiquement monstrueuse, avec son allure préhistorique, ses yeux d’animal enfoncés dans leurs orbites, son nez à la fois allongé et écrasé, sa bouche prognathe et sa dentition répugnante. Condamnée à une vie privée qui ne lui apporte aucune satisfaction entre un père sénile et un amant opportuniste, seulement atténuée par ces brefs instants où il lui est possible de communier avec la nature, Tina rencontre un jour un de ses semblables...et c’est le coup de foudre ! Un coup de foudre qui l’oblige aussi, pour la première fois, à se poser réellement la question de ses origines et de sa véritable nature. Ces interrogations existentielles occupent une bonne moitié du film, et le spectateur ne peut faire autrement que de se poser les mêmes questions, d'interpréter les indices en faveur d’une hypothèse ou d’une autre, mais également à se livrer sa propre introspection, en se demandant s’il pourrait agir normalement au contact d’une personne dont l’apparence extérieure est si repoussante qu’elle occulte toute autre considération. Heureusement, Ali Abassi ne fait pas reposer le pivot de sa fable sur une révélation qui est connue dès le milieu de l’histoire, et continue à cultiver l’intérêt du spectateur en proposant plusieurs degrés de lecture qui ont le bon goût de rester lisibles sans être assénées pesamment, qu’il s’agisse de références à l’extermination des peuples indigènes ou aux stérilisations massives à visées eugénistes réalisées par les gouvernements suédois d’après-guerre, et à emballer le tout dans un polar tendu, compliqué par le comportement imprévisible qu’on ne peut que prêter à ses protagonistes.