Le Sel des larmes : les secrets du tournage

Depuis La Jalousie (2013), le cinéma de Philippe Garrel est entré dans un cycle en noir en blanc, caractérisé par le resserrement intime sur le couple, les thématiques de la famille et du dépouillement, mais aussi la collaboration régulière avec plusieurs artistes (Jean-Claude Carrière et Arlette Langmann à l’écriture, Renato Berta à la lumière ou encore Jean-Louis Aubert pour la musique). Le réalisateur confie :

"Ces films ont en commun l’absence de mégalomanie dans la mise en scène et les moyens utilisés. J’ai compris qu’on n’était pas meilleur avec des budgets trois fois supérieurs et tout ce que cela impliquait. On a autant sa chance de faire un très bon film avec un petit budget, pour peu qu’on soit très pratique et qu’on sache bâtir ce type de film. Cette contingence économique a recréé un style, un style que je garde."

Le scénario du Sel des larmes, co-écrit avec Arlette Langmann et Jean-Claude Carrière, était très court mais très dense. Philippe Garrel explique : "J'ai conservé tous mes trucs économiques comme la pellicule et le noir et blanc. Pour 1h40 de film, j’ai tourné environ 6 heures de pellicule, parce que je fais très peu de prises, je jette peu, et je fais mon montage en cours de tournage. Et puis je tourne dans l’ordre, ce qui me permet de corriger éventuellement mon cap en cours de tournage."

L’acteur principal du Sel des larmes, Logann Antuofermo, vient de la classe de conservatoire où Philippe Garrel enseigne. "Tous mes jeunes acteurs viennent de là. Avec Louise (Chevillotte), j’avais déjà tourné L’Amant d’un jour, mais elle, je ne l’ai jamais eu comme élève. Les autres sont issus des promotions précédant le film. J’avais travaillé avec eux, fait des petits courts-métrages, comme des essais filmés", précise le metteur en scène.

Le thème de la famille, et notamment la figure du père centrale dans Le Sel des larmes, est récurrent dans la filmographie de Philippe Garrel. "Quand je tournais, j’avais les deux angles en dirigeant André Wilms. Wilms est formidable, il n’y avait jamais de psychodrame avec lui. Il est très artiste et il avait ça en commun avec mon père. Dans le film, je peignais un fils et son père et je bougeais par rapport à l’identification au père et au fils. Ces liens affectifs dans mon cinéma se charpentent à un niveau pré-conscient. Ce processus n’est pas toujours très clair pour moi, comme si je travaillais sur un souvenir latent que l’on n’éclaircit pas, et c’est ça qui colore la scène", raconte le cinéaste.

Depuis L’Ombre des femmes, Philippe Garrel travaille avec le directeur de la photographie Renato Berta. "On travaillait vraiment ensemble sur le tournage. On a été très ambitieux sur les nuits, les intérieurs… J’adore travailler avec des gens en fin de carrière quand ils savent tout de leur métier. Berta est très fort. Les grands chefs opérateur, c’est comme les grands peintres, ils sont très bons sur les visages. Et un grand chef opérateur est toujours très gentil avec les comédiens, c’est très important. Tous ceux avec qui j’ai travaillé étaient comme ça : Raoul Coutard, William Lubtchansky, Willy Kurant, Renato… tous !", confie le réalisateur.