Comment dire ! Samuel Beckett, dans son ultime poème, a fini par dire qu’il échouait à dire tout ce ceci-ci. Je me retrouve dans cette difficulté à bien comprendre et dire ce qui se jouait entre cette Nora et ce Hae Sung. Past Lives est-il bien l’histoire de leur amour impossible ? Je ne l’ai pas perçu ainsi. Mais peut-il être le récit d’autre chose ? Je n’en suis pas beaucoup plus sûr.
Il m’apparut pourtant que jamais Nora et Hae Sung ne cessèrent de s’aimer pendant ces deux fois douze années d’absence et de silence. Que leur amour noué à l’enfance était resté pur, préservé et lucide. Se nourrissant de leur impossibilité même, acceptée, partagée, à l’accomplir dans un vivre ensemble. Que leur amour, ne reposant plus que sur la nostalgie de scènes primitives, exempt de nouvelles expériences vécues, autre que cette parenthèse de quelques heures si intenses et bouleversantes, volées ensemble à New York, s’était poursuivi autrement, par l’acceptation de leur désir et de leur destin. Hae est peut-être l’être au monde qui connait et comprend le mieux Nora. Il est en presque de même de Nora pour Hae, habitée malgré tout par le doute. Ne s’interrogeait-elle pas sur les raisons du voyage d’Hao à New York ?
Noa est devenu écrivaine, elle est celle qui a quitté sa Corée étriquée et sans prix Nobel de littérature, pour réaliser son ambition artistique. Hae Sung est celui qui est resté à Séoul, définitivement Coréen, ordinaire, ingénieur. Il s’est persuadé qu’il ne pourrait pas répondre aux aspirations de Noa. La scène finale ressemble à un transfert sacrificiel. Nora peut à nouveau pleurer, grâce au départ de Hae. Et Arthur, son mari, est auprès d’elle pour écouter et consoler ses pleurs, comme le faisait Hae.
Comment dire que ce film pourrait se passer, en théorie, d’images et d’acteurs... Qu’il est avant tout une somme de dialogues pénétrants, ciselés, d’une grande force romanesque. Le dire serait injuste à l’égard de Céline Song, auteure éprouvée et réalisatrice débutante mais déjà grande, et de ses deux magnifiques incarnations, Greta Lee et Teo Yoo.
On n’oubliera pas l’enfance complice de Nora et Hae Sung, affectueuse et tactile, brossée en quelques scènes. Leurs jeux dans le parc au pied du géant de métal. Leurs bras sillonnés de dessins dont ils se sont mutuellement badigeonnés. Leurs mains enlacées à l’arrière d’une voiture, le visage de Noa lové contre le cou de Hae. Leur petite rivalité scolaire, l’une toujours première de la classe, qui pleure d’avoir, une seule fois sans doute, rétrogradé à la seconde, derrière Hae. Leur retour à pied de l’école par un chemin qui finit par les séparer. Et l’aveu de Noa à sa mère : « Je veux épouser Hae Sung. Il acceptera ! ». « Je ne suis plus la petite fille que tu as connue, mais elle est encore réelle, cette petite fille… », confie Noa à Hae Sung, 24 ans plus tard. En toute ambiguité…
Un film à recommander aux âmes sensibles !