Le réalisateur mexicain Michel Franco, qui est aussi scénariste de « Memory », nous propose un film sur les souvenirs en mettant en scène deux personnages aux prises avec leur mémoire, de façon opposé :
l’un oublie, l’autre n’arrive pas à oublier.
Son film de 1h40 est réalisé de façon très sobre. Il y a peu de musique, à part une vieille chanson très connue de Procol Harum que le personnage de Saul repasse indéfiniment, elle semble lui évoquer quelque part, au fond de sa mémoire
défaillante
, un bonheur passé. La scène où il la repasse en boucle avec son téléphone est une scène d’une très touchante simplicité. Il choisit pour décor le New York un peu underground, le moins glamour possible, il zappe les effets de caméra, les plans audacieux et autres effets de style. Il filme sobre mais ce qu’il filme, il le fait avec le ton et le recul qu’il faut. Par exemple, la scène ou Saul suit Sylvia à la sortie d’une soirée n’a pas besoin de musique ou d’artifice pour susciter une angoisse sourde. Même si je lui concède quelques longueurs, « Memory » est un film réalisé comme il faut, sans esbroufe. Cette sobriété, c’est sans doute pour mieux mettre en valeur les deux interprètes que sont Jessica Chastain et Bill Sarsgaard. Sarsgaard, dans un rôle apparemment plus simple que sa consœur, est très émouvant.
Il semble avoir accepté (si tant est que cela soit possible) sa maladie et en apparence, il en a pris son parti. Il y a quelque chose de très doux dans son interprétation, même quand il est perdu, désemparé, il n’est jamais pathétique.
Jessica Chastain, elle, a un rôle plus difficile. Le scénario ne dévoile que par bribe les souvenirs qui la tiraillent, l’empêche d’avancer, l’empêche d’être heureuse, l’empêche tout cour. Très à fleur de peau, elle semble toujours être sur le point de retomber dans la dépression ou l’alcool. Et puis à d’autres moments, elle rayonne, quand elle est au contact de sa fille, ou des adultes handicapés dont elle s’occupe. Son rôle est complexe, pas forcément très lisible d’emblée, mais Chastain fait très bien le job, ce dont personne de doutait. Et puis j’ajoute une petite mention à Brooke Timber dans le rôle de sa fille Olivia. Sa mère la surprotège, la cloisonne sans doute trop, mais elle ne tombe pas dans le travers désagréable de l’adolescente revêche. Ca aurait été facile d’écrire ce rôle ainsi, de la faire crier, se révolter et claquer les portes. Mais non, Brooke Timber à un joli rôle de fille à composer et elle le fait avec une vraie fraicheur. Comme je l’ai dit le scénario fonctionne par palier, et au début on devine les choses :
Sylvia à trois verrous sur sa porte plus une alarme électronique, elle ne demande expressément des réparatrices pour les interventions à domicile, elle ne parle plus à sa mère, elle vit dans un tout petit appartement alors que sa sœur ainée à une belle maison, elle a été alcoolique, Olivia n’a pas de père, etc… C’est comme une sorte de puzzle dont elle délivre des morceaux au compte-goutte. Ce qu’il lui est arrivé, on l’apprend en deux fois : d’abord le mauvais, puis le pire. Il n’y a rien qui sonne faux dans son histoire, des enfances et des adolescences comme les siennes, il y en a tellement !
Ce qui sonne juste aussi, c’est la tendre histoire qui se noue entre deux êtres déboussolés qui se trouvent. Leur histoire ne peut s’inscrire dans la durée à cause de la maladie de Saul, et pourtant ils s’aiment et se rendent heureux, même pour peu de temps. C’est comme s’ils se réparaient en quelque sorte. C’est une histoire d’amour pleine de pudeur, sans pathos, sans passion débridée. Saul et Sylvia forment un couple aussi improbable qui touchant.
La scène forte du film, celle où le « pire » est dévoilé, est très bien construite et nous prends aux tripes. Il y a beaucoup de choses dans cette scène, dans l’attitude de chacun : ils sont 6 dans cette scène, et tous y apporte quelque chose pour qu’elle soit extrêmement forte
, c’est de la belle direction d’acteur. « Memory », sans être un chef d’œuvre inoubliable, se révèle être au final un très beau film d’amour entre deux être en souffrance. Même si le fond de leur histoire est infiniment douloureux, leur histoire agit comme un souffle d’air pur dans une atmosphère vicié.