Yves Boisset est visiblement plus à l’aise dans le domaine du pamphlet ("Dupont Lajoie", "Le prix du danger") que dans celui du film d’espionnage tiré au cordeau. "Espion, lève-toi" ne manque pas de qualités, mais l’impression générale est celle d’un sous-Melville – avec le hiératisme mais sans l’incandescence sous-jacente, avec la qualité globale du scénario mais sans réelle tension dramatique, quelques éléments bancals (on a du mal à voir Krystyna Janda en activiste gauchiste) et un final raté, auquel on ne croit pas. Lino Ventura en est la première victime : un charisme évident (si on accepte le fait qu’il a quinze ans de trop pour le rôle), mais, balloté par les évènements, il n’a finalement pas grand-chose à faire et semble s’ennuyer – d’autant que Michel Audiard se contente d’assurer le minimum syndical et ne l’abreuve guère en répliques percutantes. En fait, ce sont Michel Piccoli et Bruno Crémer qu’on remarque le plus. Piccoli pour l’ambiguïté, l’empathie lisse et calculée qu’il donne à son personnage, Crémer pour la dureté militaire (on croit le revoir dans "La 317è section"), pas encore atténuée par la rondeur qu’il prendra par la suite. Une scène assez anodine du film, m’a fait penser que vraiment, le monde a bien changé depuis 1982. Celle où Ventura débarque dans un bar homo à la recherche du tueur Ramos (Marc Mazza, très caricatural). On le voit, très "mâle occidental dominant", se baladant au milieu d’une foule louche qu’il regarde d’un air hostile, en attendant de mettre la main sur la petite frappe qui le mènera à son gibier. Aujourd’hui, on ne pourrait plus filmer une scène comme ça. Le bar homo serait devenu un truc "tendance", plein de types festifs, Ventura serait vu comme un beauf ou un mec ridicule. "Espion, lève-toi" était encore un "film d’hommes", comme on disait – et comme on ne dit plus. Oui, vraiment, le monde a changé…